Il faut augmenter les salaires (mars 2010)

samedi 20 mars 2010.
 

1) Quatre bonnes raisons de relever les salaires

Les luttes commencent à payer. Un peu partout dans le pays, dans différents secteurs d’activités, des travailleurs se mobilisent pour obtenir des augmentations salariales annuelles à la hauteur de leurs besoins ou, plus simplement, des résultats de leurs entreprises. Chez Materne, à Boué (Aisne), une majorité des 250 salariés ont bloqué les chaînes de production de compotes pendant trois jours en fin de semaine dernière  : à l’issue de ce mouvement, les personnels touchant les plus bas salaires – une centaine, au total – ont obtenu, en plus des 0,9% conventionnels, une augmentation de 3%. Chez l’équipementier automobile Knorr Bremse, à Lisieux (Calvados), les salariés ont débrayé une journée à l’appel de la CGT et de la CFDT à la troisième séance de négociations à la mi-février et, alors que la direction ne leur proposait qu’une augmentation de 1%, salaires et primes confondus, ils ont gagné une augmentation générale de 2,5% des salaires, ainsi qu’une hausse de 2,5% des différentes primes. Chez Shelbox, à Alès (Gard), après une grève de dix jours, suivie à 98% par le personnel, la direction a dû octroyer une augmentation générale des salaires de 3%.

Chez EDF, quatre organisations syndicales (CGT, CFDT, CFTC et CGC) ont signé un accord salarial prévoyant une augmentation totale de plus de 4% pour les salariés. Tout n’est pas réglé dans bien des boîtes, cependant. Chez Thales, plus d’un tiers des 33 000 salariés employés en France ont signé une pétition pour contester la « politique salariale » du groupe qui prétend limiter à 1% les augmentations générales cette année. Les salariés d’Ikea tentent encore d’empêcher la fin d’une négociation salariale au ras des pâquerettes, avec des augmentations générales à 1%. Dans la société de services informatiques Atos Origin, les salariés sont appelés à la grève, demain jeudi, pour dénoncer le « gel des salaires », alors que le groupe vient de publier ses résultats  : 32millions d’euros de bénéfices net, contre 23millions en 2008  !

Thomas Lemaheu

Les quatres bonnes raisons

- UN ANTIDOTE À LA CRISE

La primauté accordée aux revenus du capital sur ceux du travail est, on le sait, au coeur de la crise que nous traversons depuis 2008. En sortir implique de renverser ce choix et d’augmenter les revenus salariaux. La demande intérieure reste en effet le moteur numéro un de l’activité économique. La consommation, qui, jusqu’alors, avait relativement bien résisté à la crise, profitant notamment de la faiblesse de l’inflation et de mesures de soutien comme la prime à la casse, ainsi que de l’existence des minima sociaux, donne désormais de sérieux signes de faiblesse (la consommation des ménages a chuté de 2,7 % en janvier, selon l’Insee). Les prix sont repartis à la hausse (+ 1,1% sur un an), la prime à la casse a diminué. La revalorisation des salaires doit prendre le relais. L’annonce de confortables profits en 2009 par une série de grands groupes montre, si besoin était, qu’il n’y a là rien d’irréaliste. Répondre à la demande salariale permettrait aussi de s’attaquer au déficit de la Sécurité sociale, qui s’est considérablement creusé (30 milliards d’euros prévus en 2010) du fait de la baisse des recettes qu’elle tire avant tout des cotisations assises sur les salaires.

- FAVORABLE À L’EMPLOI

Selon l’antienne du patronat, céder aux revendications salariales reviendrait à favoriser les délocalisations et, en fin de compte, à mettre en péril des emplois. Faux, rétorque Nasser Mansouri, économiste de la CGT, citant une étude récente de la direction des politiques économiques de Bercy sur la désindustrialisation, qui « montre que les délocalisations vers les pays à bas salaires n’expliquent que partiellement la perte de l’emploi industriel en France », davantage imputable aux délocalisations vers les pays développés. « L’argument du coût salarial est donc non pertinent. Les statistiques officielles le confirment : en termes de coût salarial, la France se situe dans la moyenne européenne, alors que, pour la productivité horaire, on est dans le peloton de tête », note Nasser Manssouri. Plutôt que de « culpabiliser la demande », de bloquer les salaires, pour, prétendument, éviter d’augmenter les importations, il s’agit d’« accroître le potentiel productif ». Ce qui suppose de remettre en question les choix financiers des entreprises qui consacrent une plus grande part de la valeur ajoutée aux dividendes qu’aux investissements. « Si on divisait les dividendes par deux, on dégagerait 120 milliards d’euros. De quoi financer les investissements, mais aussi les salaires. »

- UNE URGENCE SOCIALE

La multiplication des conflits salariaux exprime clairement la volonté des salariés, corroborée par les sondages d’opinion, de tourner une page : celle des politiques, tant patronales que gouvernementales, d’agression multiforme contre les salaires. Depuis des années, tandis que le dividende de l’actionnaire est à la fête, la feuille de paye est à la diète. Rançon des exonérations de charges accordées aux entreprises sur les bas salaires, mais aussi de la multiplication des emplois précaires, les rémunérations se sont tassées vers le bas. Un salarié sur deux doit vivre avec moins de 1 500 euros environ, près de 4 millions perçoivent une rémunération au-dessous du seuil de pauvreté… Signe de l’acuité du problème (même si ce type de réponse tend à le pérenniser), la mise en place du RSA, censé compenser la misère des salaires perçus par de nombreux travailleurs. Donner un vigoureux coup de pouce aux salaires, ce serait donc, d’abord, accorder à des millions d’hommes et de femmes les moyens de vivre décemment. Ce serait aussi répondre à un problème lancinant : la dévalorisation du travail qualifié. « On a une main-d’oeuvre dont le niveau de qualification, en général, s’élève, alors que le salaire ne suit pas », constate un économiste.

- DES LEVIERS POUR AGIR

Alors que le chef de l’État continue de discourir sur la nécessité de rééquilibrer « le partage de la valeur ajoutée », laissant de marbre la patronne du Medef, qui refuse de négocier sur le sujet, le gouvernement, s’il en avait la volonté, aurait les moyens de modifier la donne sur la question salariale. Cette année encore, quelque 30 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales vont être accordées aux entreprises, sans véritable contrepartie. De plus en plus largement critiquées, ces aides pourraient être assorties d’une condition : que des accords, majoritaires, sur l’augmentation des salaires soient signés dans les entreprises bénéficiaires. Outre la revalorisation des traitements des fonctionnaires, le gouvernement dispose, pour le secteur privé, d’un autre puissant levier : le smic, auquel, cette année encore, il a refusé de donner un coup de pouce. Or, d’après une étude de la Dares, les hausses du smic ont des répercussions, directes ou indirectes, sur 35 % des salariés, note l’économiste Antoine Rémond. Toutes les entreprises ne sont certes pas sur le même pied. Changer la politique salariale implique pour les PME de faciliter leur accès au crédit bancaire et de rééquilibrer leurs rapports entre donneurs d’ordre et sous-traitants.

Yves HOUSSON

2) La flexibilité des rémunérations augmente

Une étude souligne la progression des augmentations de salaire individuelles et réversibles, à côté des hausses générales.

Les entreprises sont de plus en plus friandes des solutions « hybrides » de rémunération, alliant augmentations générales et individuelles, et primes fixes ou réversibles, le tout dans une recherche de plus grande flexibilité. C’est ce que souligne une récente étude de la Dares, portant sur les pratiques salariales des entreprises de plus de 10 salariés en 2007 (*). Cette année-là, 86 % des entreprises interrogées ont accordé une augmentation de salaire, mais, parmi elles, un bon tiers seulement a procédé à une augmentation générale (37 %), tandis que 20 % procédaient seulement par hausses individuelles, et 43 % choisissaient de panacher augmentation générale et individuelle.

L’individualisation, qui « a connu un essor important à partir des années 1980 », concerne en premier lieu les cadres, qui sont 33 % à n’avoir reçu qu’une augmentation individuelle. De même, l’absence totale de revalorisation salariale dans une entreprise concerne plus souvent les cadres (31 %) que les autres catégories (15 %). Comme motif de revalorisation des salaires des non-cadres, les entreprises citent en premier l’application de la hausse du smic (dans 49 % des cas) et l’application de la convention collective (47 % des cas), autrement dit, des motifs non choisis… Derrière, arrive l’inflation (24 % des cas), suivie des résultats financiers de l’entreprise (20 %) et de la nécessité de maintenir un bon climat dans l’entreprise (20 %).Les primes, qui « s’ajoutent au salaire de base et se substituent parfois aux augmentations », soulignent les auteurs de l’étude, peuvent être fixes (13e mois, ancienneté, contrainte de poste, pénibilité) ou liées à la performance collective ou individuelle (intéressement, participation, épargne retraite), ces dernières présentant l’intérêt de pouvoir varier ou d’être supprimées dans le temps.

Fanny Doumayrou

(*) Les Pratiques de rémunération des entreprises en 2007, Dares, février 2010.

3) Bluff sur la « valeur ajoutée »

Le chef de l’État renvoie encore la question du partage des profits après les élections.

En février 2009, Nicolas Sarkozy, en butte à un mouvement social d’ampleur, sortait une idée de son chapeau  : il faut partager la valeur ajoutée (comprendre, en fait, les profits des entreprises) en « trois tiers », une part devant revenir à l’investissement, une autre aux actionnaires, et une autre aux salaires. Le 14 mai, soit moins d’un mois avant les élections européennes, le chef de l’État sommait, dans un courrier, les organisations syndicales et patronales d’« ouvrir des discussions » sur le sujet, les menaçant de les contraindre par la loi s’il n’aboutissait pas dans les deux mois suivants. Un an après ses premières menaces, sitôt oubliées après les élections, le président de la République rejoue la même pièce. Lors du dernier sommet social à l’Élysée, le 15 février, soit un peu plus d’un mois avant les élections régionales, il a demandé aux partenaires sociaux « de démarrer au plus tôt des négociations qui devront être conclues dans trois mois », faute de quoi « le gouvernement préparera un projet de loi ». La ficelle est grosse. De nouveau, Nicolas Sarkozy renvoie la question après les élections, en nourrissant l’électeur de promesses sans lendemain. Raison de plus pour se saisir des élections et envoyer une « bonne gauche » à Nicolas Sarkozy, et d’exiger par le vote, en lieu et place d’une fumeuse division de la « valeur ajoutée », une vraie revalorisation des salaires et des minima sociaux.

Sébatien Crépel

4) Encore et toujours les salaires

Les plus grands efforts de la droite depuis 2006 avaient porté sur cette ambition  : rayer des revendications sociales celle des augmentations de salaire. La clé de voûte du programme présidentiel de Nicolas Sarkozy n’était-elle pas la phrase fameuse « travailler plus pour gagner plus »  ? La mayonnaise a pris le temps d’un scrutin. Peu à peu, les manifestations ont résonné du slogan « travailler plus pour gagner moins », qui dépeignait hélas précisément le sort de la majorité des salariés. Le séisme de la crise du capitalisme aurait pu enfouir le sujet sous les angoisses de l’avenir, la crainte de perdre son emploi, la recherche de boucs émissaires parmi ses collègues immigrés. Il a au contraire dévoilé un peu plus les inégalités monstrueuses générées par le système, l’enrichissement au long des spéculations, les sommes englouties ou accaparées au fil des opérations financières. N’y a-t-il pas du ridicule à entendre un gouvernement pousser les hauts cris pour 5 milliards de déficit des retraites quand il a engouffré des dizaines de milliards d’euros en quelques jours pour secourir les banques ou les multinationales de l’automobile  ?

BNP Paribas offre un exemple saisissant. Les contribuables, parmi lesquels les salariés du groupe bancaire, ont déboursé 5,1 milliards pour rétablir sa situation en 2009 et la Banque centrale européenne lui a prêté des sommes à 1 % d’intérêt. Infligeant à ses clients des taux d’emprunt 5 à 11 fois plus forts, l’établissement a rapidement redressé ses comptes, réalisant près de 6 milliards d’euros de profits. Et, comme si de rien n’avait été, la direction de BNP Paribas s’est empressée de réserver 1 milliard d’euros pour 4 000 traders. Gain individuel de 250 000 euros alors qu’elle ne veut accorder à ses salariés « ordinaires » que 1 % d’augmentation, soit 320 euros annuels pour plus de la moitié d’entre eux. Les experts médiatisés nous ressassent qu’on « n’y peut rien, puisque c’est le système »… Eh bien celui-ci est injuste et la majeure partie de la population ne s’y résout pas. Les conflits sociaux qui revendiquent des hausses de salaire sont 
de plus en plus nombreux et ils touchent aussi des secteurs qu’on voyait peu souvent à l’avant-scène de ces conflits, comme les groupes de la grande distribution. Cela témoigne aussi des conditions de vie insupportables que subissent de plus en plus de Français pour qui, comme le disait un humoriste, le pire écart de salaire, c’est un mois (et souvent plus) entre deux paies.

Si ces conflits dévoilent la mystification sur laquelle s’est en grande partie construite la victoire de l’UMP, ils accusent aussi la timidité d’une grande partie de l’opposition. Ne parlons pas du Modem, qui prônait en 2007 « le libre jeu des heures supplémentaires pour gagner plus » afin de « permettre aux salariés qui le souhaitent d’améliorer leur revenu ». Ça avait le goût et la couleur de Sarkozy, mais c’était du Bayrou. Aujourd’hui encore, ce dernier privilégie les baisses de charges pour le patronat. Du côté du Parti socialiste, on propose des augmentations de salaire pour stimuler la croissance, mais on reste très imprécis sur les montants, cependant qu’une rengaine insistante se fait entendre, prêchant des lendemains de rigueur et d’efforts pour la population. François Hollande l’a dit très ouvertement sans susciter d’indignation dans les rangs du PS. Se distinguant de cette gauche timorée, j’allais écrire platonique, le Front de gauche est très engagé aux côtés des salariés en lutte. Son influence, si elle est renforcée au sortir des élections régionales, fera pencher la gauche du côté des aspirations sociales face à une droite que ses défaites annoncées par tous les sondages auraient affaiblie. De quoi fortifier les luttes sociales et donner de l’ampleur à la revendication de plus d’égalité.

Patrick Apel-Muller


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