« On bosse ici ! On vit ici ! On reste ici ! » Manifeste du collectif des cinéastes pour les "sans-papiers" (5 articles)

dimanche 2 octobre 2016.
 

Un travailleur sans papiers et un travailleur avec carte de séjour, c’est quoi la différence ? Pas visible à l’œil nu, pas visible même avec une caméra. Et pourtant, ils sont là. Ils travaillent, ils construisent nos immeubles, réparent nos rues, posent les rails de nos tramways. Ils nettoient nos bureaux, font le ménage dans nos appartements, s’occupent de nos malades et des plus vieux d’entre nous. Ils lavent la vaisselle et les cuisines de nos restaurants, s’occupent de la sécurité de nos grands magasins, sont la main d’œuvre secrète de nos agences d’intérim… Avec ou sans papiers, leurs tâches sont les mêmes.

Avec ou sans papiers, les obligations des uns et des autres sont aussi les mêmes : ils payent les cotisations sociales, l’assurance-chômage, la sécurité sociale, les impôts... Comme tout le monde.

Alors, quelle est la différence ?

La différence, c’est qu’un « sans-papiers » au chômage ne touchera pas d’allocation. La différence, c’est qu’un « sans-papiers » cotisera pour la retraite mais n’en touchera jamais un centime...

Les mêmes devoirs, mais pas les mêmes droits. Et cela parce qu’il lui manque un papier, un seul : la carte de séjour.

On peut fabriquer une voiture en Roumanie pour la vendre en France, on ne peut pas délocaliser les métiers du bâtiment ou les services à la personne. Alors on délocalise sur place, on emploie des « sans-papiers ».

Un « sans-papiers », c’est d’abord un travailleur sans droits !

Un travailleur qui vit dans la peur d’être expulsé, et qui s’il est licencié, n’a aucun recours mais une seule perspective : la reconduite à la frontière. Cette injustice est insupportable pour qui attache de la valeur à la devise de la République inscrite sur les frontons de nos écoles.

C’est pour cela que nous avons décidé de nous mobiliser aux côtés de ces travailleurs, comme nous l’avions fait pour les enfants de « sans-papiers » avec le film « Laissez-les grandir ici ! ».

C’est avec nos regards de cinéastes que nous voulons à nouveau marquer notre solidarité.

« On bosse ici ! On vit ici ! On reste ici ! » proclament les travailleurs sans papiers en grève. L’égalité des droits est l’exigence de tous.

Régularisation de tous les travailleurs sans papiers, c’est ce que nous exigeons avec eux.

2) Collectif des cinéastes pour les « sans-papiers »

Hiam Abbass Lionel Abelanski Jean Achache Mona Achache Isabelle Adjani Chantal Akerman Ali Akika Barmak Akram Karin Albou Merzak Allouache Siegrid Alnoy Mathieu Amalric Jean-Pierre Améris Rabah Ameur-Zaïmèche Martin Amic Christophe Andréi Frédéric Andréi Anne Andreu Michel Andrieu Solveig Anspach Sophia Aram Pierre Arditi Elizabeth Arnac Simon Arnal Stéphane Arnoux Ariane Ascaride Yvan Attal Jacques Audiard Serge Avedikian Myriam Aziza Edwin Baily Josiane Balasko Jeanne Balibar Hervé Baslé Xavier Beauvois Azouz Begag Jean-Jacques Beineix Lucas Belvaux Lisa Benchikh-Pellier Yamina Benguigui Caroline Benjo Luc Béraud Emmanuelle Bercot Jacob Berger Charles Berling Anne Bernard Mélanie Bernier Catherine Bernstein Fabienne Berthaud Diane Bertrand Julie Bertucelli Martin Bidou Juliette Binoche Jane Birkin Louis-Charles Bitsch Simone Bitton Christophe Blanc Dominique Blanc Manuel Blanc Bernard Blancan Pascal Bonitzer Jérôme Bonnell Claudine Bories Marie Borrelli Caroline Bottaro Sami Bouajila Nicolas Bouaziz Rachid Bouchareb Laurent Bouhnik Carole Bouquet Myriam Boyer Pascale Breton Chantal Briet Stéphane Brizé Yann Brolli Camille Brottes Isabelle Broué Bénédicte Brunet Dominique Cabrera Bernard Campan Robin Campillo Sonia Cantalapiedra Laurent Cantet Christian Carion Isabelle Carré Jean-Michel Carré Brice Cauvin Patrice Chagnard Youssef Charifi Chad Chenouga Patrice Chéreau Laurent Chevallier Malik Chibane François Chilowicz Jean-Paul Civeyrac Philippe Claudel François Cluzet Benoît Cohen Renaud Cohen Jean-Louis Comolli Antony Cordier Catherine Corsini Brigitte Coscas Costa Gavras Isabelle Czajka Benoît d’Aubert Sébastien de Fonseca Liliane de Kermadec Eliane de Latour Marie de Laubier Olivier de Plas Agnès de Sacy Fejria Deliba Claire Denis Jacques Deschamps Arnaud Desplechin Antoine Desrosières Pascal Deux Nico Di Biase Marie Donnio Ariane Doublet Evelyne Dress Karim Dridi

Léa Drucker Olivier Ducastel Sandrine Dumas Jean-Pierre Duret Xavier Durringer Nadia El Fani Rahma El Madani Licia Eminenti Amalia Escriva Philomène Esposito Laurine Estrade Abbas Fahdel Bertrand Faivre Hicham Falah Jacques Fansten Joël Farges Philippe Faucon Léa Fehner Mohamed Fellag Lydie Ferran Pascale Ferran Maud Ferrari Laurence Ferreira-Barbosa Jean-Michel Fête Laurent Firode Marina Foïs Dan Franck Denis Freyd Brahim Fritah Valéry Gaillard Juliette Garcias Vincent Garenq Tony Gatlif Isabelle Gély Fabrice Génestal Sylvain George Denis Gheerbrant Khaled Ghorbal Thomas Gilou Hippolyte Girardot Jacques-Rémy Girerd Stéphanie Girerd Stéphane Giusti Chloé Glotin Pascal Goblot Fabienne Godet Gabriel Gonnet Romain Goupil Sophie Goupil Jacqueline Gozland Sébastien Grall Robert Guediguian Christian Guerinel Marc Guidoni Eric Guirado Lara Guirao Mahamat Saleh Haroun Michel Hazanavicius Henri Helman Laurent Herbiet Laurent Heynemann Aline Holcman Jean-Baptiste Huber Nathalie Hubert Jean-Pierre Igoux Aline Issermann Olivier Jahan Agnès Jaoui Salam Jawad Yves Jeuland Nelly Kafsky Roger Kahane Cédric Kahn Pascal Kané Sam Karmann Abdellatif Kechiche Rahmatou Keita Cédric Klapisch Bernard Kleindienst Nicolas Klotz Jan Kounen Gérard Krawczyk Pascale Krief Daniel Kupferstein Philippe Laïk Serge Lalou Daisy Lamothe Christophe Lamotte Véronique Landolfini Valérie Lang Eric Lartigau Marie-Annick Le Guern Didier Le Pêcheur Serge Le Péron Gildas Le Roux Luc Leclerc du Sablon Alexandra Leclère Olivier Lécot Gilles Lellouche Jalil Lespert Barbara Letellier Michel Leviant Laurent Levy Lorraine Lévy Pierre-Oscar Lévy Xavier Liébard Jean-Paul Lilienfeld Vincent Lindon Virginie Linhart Philippe Lioret Jean-Louis Livi Florence Loiret-Caille Christophe Loizillon Olivier Lorelle François Luciani Noémie Lvovsky Benoît Magimel Jacques Maillot Alain Maline Gilles Marchand Jean-Pierre Marchand

Yvon Marciano Hélène Marini Tonie Marshall François Marthouret Jacques Martineau Patrice Martineau Séverine Mathieu Bania Medjbar Macha Méril Frédéric Mermoud Jean-Henri Meunier Radu Mihaileanu Claude Miller Dominik Moll Gérard Mordillat Stéphanie Murat Philippe Muyl Alain Nahum Jean Nainchrik Anna Novion Agnès Obadia Bulle Ogier Mariana Otero Christophe Otzenberger Luc Pagès Euzhan Palcy Raoul Peck Patrick Pelloux Elisabeth Perez Monique Perez Aurélia Petit Laurence Petit Laurence Petit-Jouvet Nicolas Philibert Nicolas Picard-Dreyfuss Frédéric Pierrot Mazarine Pingeot José Pinheiro Marie-France Pisier Oriane Polack Gilles Porte Olivier Pousset Milena Poylo Manuel Pradal Martin Provost Atiq Rahimi Pierre-Loup Rajot Jack Ralite Alain Raoust Sandrine Ray Michèle Ray-Gavras Aurélien Recoing Manu Rewal Chantal Richard Jean-Henri Roger Bruno Rolland Vincent Rottiers Brigitte Rouän Richard Rousseau Christophe Ruggia Carine Ruszniewski Jean-Paul Salomé Gilles Sandoz Riad Sattouf Pierre Schoeller Carole Scotta Abraham Segal Joël Séria Fabienne Servan-Schreiber Léa Seydoux Michel Sibra Caroline Silhol Charlotte Silvera Claire Simon Jean-Pierre Sinapi Florent-Emilio Siri Abderrahmane Sissako Karin Sitbon Marianne Slot Christophe Smith Patrick Sobelman Bruno Solo Heiny Srour Marion Stalens Boulomsouk Svadphaiphane Brigitte Sy Laure Tarnaud Bertrand Tavernier Pascal Tessaud Sylvie Testud Pascale Thirode Pascal Thomas Danièle Thompson Jean-Pierre Thorn Marie-Claude Treilhou Annie Tresgot Pierre Trividic Laurent Tuel Thomas Verhaeghe Marie Vermillard Marion Vernoux Pascal Verroust Sandrine Veysset Arnaud Viard Karin Viard Vanina Vignal Daniel Vigne Jacques Vigoureux Catalina Villar Christian Vincent Pascal-Alex Vincent Marianne Visier Patrick Volson Virginie Wagon Régis Wargnier Dominique Welinski Félicité Wouassi Luc Wouters Paule Zajdermann Christian Zerbib Erick Zonca

3) Un grand écran pour sortir de l’ombre

De Jacques Audiard à Isabelle Adjani, 350 personnalités du cinéma signent un « film manifeste » pour la régularisation des travailleurs sans papiers. Objectif : rendre visible cette lutte qui dure depuis quatre mois.

Un film politique, court et efficace. En trois minutes et trente secondes, On bosse ici ! On vit ici ! On reste ici ! dresse le portrait d’une lutte oubliée : celle des 6 000 travailleurs et travailleuses en grève depuis le 12 octobre 2009 pour obtenir une circulaire de régularisation. Le gouvernement et la grande majorité des médias, à l’exception de l’Humanité, ignore cette lutte pourtant inédite. Un silence à l’origine du projet du Collectif des cinéastes pour les sans-papiers (1). « L’idée est venue au moment de la galette des rois, raconte Jean-Henri Roger, cinéaste et professeur de cinéma à Paris-VIII. Malgré une présence nombreuse des personnalités sur le piquet de grève de la rue du Regard, nous avons eu douze lignes dans le Monde et cinq dans Libération… »

Au début du mois, cinéastes, acteurs, politiques, scientifiques signaient l’appel « Nous les prenons sous notre protection » (lire l’Humanité du 18 février) pour soutenir les grévistes de la rue du Regard menacés d’évacuation. « L’idée du film s’est imposée, raconte le cinéaste Laurent Cantet. En peu de temps, on a réactivé notre réseau. » Celui-ci compte des noms prestigieux du septième art : Isabelle Adjani, Jacques Audiard, Abderrahmane Sissako, Dominique Blanc, Romain Goupil, Cédric Klapisch ou encore Riad Sattouf. Les plus fidèles étaient déjà là en 1997 pour le film Nous, sans-papiers de France. D’autres les ont rejoints en 2007 pour Laissez-les grandir ici. Cette fois-ci, ce ne sont pas moins de 350 cinéastes qui ont signé l’appel en quelques jours. « On voulait faire ce film le plus vite possible, précise le cinéaste Christophe Ruggia. Pour se caler sur les élections régionales et peser sur le débat public afin de sortir les travailleurs sans papiers de l’ombre dans laquelle ils sont depuis quatre mois. » Le court métrage, qui sortira le 10 mars dans plus de 500 salles en France, est déjà disponible sur Internet.

Face caméra, les grévistes racontent la réalité d’un système hypocrite : l’un a rénové l’Assemblée nationale ; un autre la tour Axa de la Défense ; celle-ci, couturière, travaille pour « Etam, Naf-Naf, Camaïeu… » Pas un secteur de l’économie française qui ne sorte indemne de cette litanie des entreprises embauchant des travailleurs sans papiers. Et en connaissance de cause, précisent les grévistes. Car cette situation permet ensuite aux employeurs de les exploiter sans merci. « Quand tu dis « Hé patron ! ça c’est de l’amiante », il te répond : « Si tu travailles pas, vas te faire foutre ». » Payés une misère, les travailleurs sans papiers ne sont pourtant pas inconnus du ministère des Finances qui encaisse cotisations multiples et impôts…

En trois minutes, les cinéastes ont réussi à retranscrire la tristesse, la colère et la détermination de ces hommes et de ces femmes qui se battent beaucoup plus que pour une carte de séjour. Et le cinéaste Michel Andrieu de préciser : dans le contexte « violent du débat sur l’identité nationale », ce film se veut un « contre-feu indispensable ».

Marie Barbier, L’Humanité

4) Quand Duygu Kaplan a découvert qu’elle « n’était plus seule »

En 2007, cette jeune Kurde était filmée dans Laissez-les grandir ici. Trois ans plus tard, devenue majeure mais toujours sans papiers, elle revient sur cette expérience unique.

« Est-ce que c’est normal d’avoir peur quand on va à l’école  ? » En mars 2007, à un mois de l’élection présidentielle, le Collectif des cinéastes pour les sans-papiers réalise Laissez-les grandir ici. Trois minutes pendant lesquelles des enfants menacés d’expulsion racontent leurs rêves suspendus et la peur au quotidien. Parmi eux, Duygu Kaplan, jeune fille kurde de quinze ans, en France depuis dix mois. Trois ans après sa courte célébrité, Duygu est devenue une belle jeune femme, intelligente et sûre d’elle. Lycéenne en terminale scientifique à Paris, elle est retombée dans l’anonymat, mais pas dans la clandestinité. Certes, elle est toujours sans papiers, mais sans honte ni crainte. Elle raconte sa vie haut et fort, même à ses copains de classe  : « Pour eux, une carte d’identité, c’est comme un portable, on ne peut pas vivre sans. Je leur montre que si. » Elle poursuit : « J’ai crié au monde entier que j’étais sans papiers, il ne s’est rien passé. Donc je continue, ça ne peut faire que du bien. » Plus que le témoignage public, la rencontre avec les cinéastes a été essentielle dans cette prise de conscience. Duygu découvre que des Français ne sont pas d’accord avec la vie qu’on lui inflige, que « ça n’est pas normal ». « Je n’étais plus seule », dit-elle simplement. Au moment du tournage, Duygu vient de recevoir une obligation de quitter le territoire français. « On faisait tout pour ne pas attirer l’attention, se souvient-elle. Quand on croisait un policier, on faisait comme si tout allait bien alors qu’à l’intérieur on mourait de peur. » Dix mois plus tôt, elle était expulsée d’Angleterre et débarquée sur le tarmac de Roissy en uniforme d’écolière londonienne, cartable sur le dos.

Les parents de Duygu, communistes kurdes, ont fui la Turquie en 2004. Comment ont-ils traversé clandestinement l’Europe  ? « Vous avez vu le film Welcome ? On a fait pareil… » Le réalisateur Philippe Lioret y racontait comment des migrants se cachent dans des camions. « On a vu la mort », dit-elle. Arrivée en France, la famille est placée en centre de rétention et rapidement expulsée vers la Turquie. Sauf que les parents refusent. Deux mois de prison. Duygu est placée par l’Aide sociale à l’enfance. À leur sortie de prison, les Kaplan rejoignent la Grande Bretagne où ils resteront un an avant d’être renvoyés vers la France, premier pays où leur demande d’asile a été déposée. Mais où ils ne sont toujours pas les bienvenus : Samu social, demande d’asile rejetée, la famille tombe dans la clandestinité et la pauvreté. Il y a deux semaines, les parents de Duygu ont enfin reçu une lettre de l’Ofpra leur accordant le statut de réfugiés politiques. Dommage pour la jeune fille qui, majeure depuis août, ne profite pas de cette régularisation. « Je ne peux pas avancer, dit celle qui rêve d’intégrer Polytechnique. J’ai besoin de papiers pour mes études, pour ma vie. »

Marie Barbier

5) De Guangzhou à Paris : la vie de la pasionaria cantonnaise

Arrivée il y a six ans en France, Fengqun Yang est sortie de la clandestinité il y a quatre mois pour rejoindre le mouvement des travailleurs sans papiers. Elle est la déléguée des 700 grévistes chinois.

Elle est de tous les combats  : dans les manifestations, les meetings, on l’aperçoit toujours, en première ligne, le poing dressé pour exiger la régularisation des travailleurs sans papiers. Celle que tout le monde appelle « Feng », et dont le nom complet est Fengqun Yang, affiche un look très coquet  : maquillage impeccable et petit foulard à paillettes. Seule francophone parmi les quelque 700 grévistes chinois sans papiers, elle est devenue leur porte-parole, dénonçant leurs conditions de vie, et évoquant leurs attentes et leurs combats.

Comme ce lundi 27 février, à la Cinémathèque de Paris. Des cinéastes sont venus présenter leur « film-manifeste » pour la régularisation des sans-papiers. Aux côtés de Laurent Cantet, Tonie Marshall et Mathieu Amalric, Feng prend la parole. Un public médusé l’écoute raconter l’histoire de ces centaines de chinois sans papiers sortis de la clandestinité pour entrer dans la lutte  : « Nous travaillons dans la restauration, l’aide à domicile, la confection pour des marques comme Camaïeu, Naf Naf, Etam. Ne pas avoir de papiers, c’est trop dur pour tout le monde, c’est pour ça que nous avons besoin que vous nous souteniez. »

Dans sa famille, l’exil est presque une tradition. Les deux frères de Feng sont partis avant elle. L’un pour le Canada, l’autre pour la Nouvelle-Zélande. Les parents vont bientôt rejoindre l’aîné. « On ne part pas pour des raisons politiques, explique-t-elle. Je suis venue ici pour gagner un peu d’argent. » Originaire de Guangzhou (Canton), dans le sud de la Chine, Feng a étudié l’anglais avant de trouver un poste de professeur remplaçante. Mais son maigre salaire ne suffit pas pour élever son petit garçon, né en 2000. Elle décide de partir et choisit Paris, pas pour la butte Montmartre ou la tour Eiffel, mais pour le prix du visa  : 3 000 euros, beaucoup moins cher que celui pour les États-Unis, qui atteint la somme astronomique de 15 000 euros.

Elle était à mille lieues d’imaginer ce qui l’attendait ici. Feng pense partir pour « cinq ans au maximum » avant de revenir les bras chargés de cadeaux. La vie à Paris est tout autre… Arrivée avec un visa touristique en juin 2004, la jeune femme se retrouve rapidement sans papiers. Un restaurateur chinois l’embauche, au noir. Elle travaille six jours sur sept, dix heures par jour, pour 1 000 euros par mois. Deux ans de galère avant de changer de patron. Un meilleur salaire, de meilleurs horaires et une conception bien particulière du conflit social… « C’est mon patron qui m’a envoyée en grève », assure Feng, même pas étonnée du paradoxe  : « Il nous a dit qu’il voulait nous régulariser, a appelé la CGT pour demander comment on pouvait faire. On a lancé la grève, il nous soutient beaucoup. »

Le 23 octobre 2009, 26 sans-papiers chinois occupaient le siège du Medef en Seine-Saint-Denis. Rapidement évacués par les forces de l’ordre, ils investissent, le même jour, l’organisme paritaire de l’hôtellerie, la Fafih. Par le biais des sites communautaires, Feng informe les Chinois vivant en France du mouvement de grève  : 700 travailleurs les rejoignent. Mais le 29 décembre, ils sont à nouveau évacués.

Depuis, les grévistes chinois n’ont plus de piquet de grève, la lutte s’étiole… « Certains ont repris le boulot, mais pas beaucoup, assure Feng. Il faut bien qu’ils nourrissent leur famille. » Elle, avec d’autres délégués du mouvement, occupe un bureau au siège de la CGT, à Montreuil, où elle tente de récupérer les indispensables promesses d’embauche auprès des employeurs.

Son petit garçon de dix ans lui manque. « Il est très intelligent, dit-elle fièrement. Plus que mon mari. » Lui ne comprend pas la lutte dans laquelle Feng s’est jetée. Il s’inquiète, l’appelle en lui demandant d’arrêter. « Il me dit que c’est dangereux de faire la grève, je lui ai expliqué que ce n’est pas pareil ici qu’en Chine. Il ne comprend pas. » Elle secoue la tête, déçue. Ajoute que « c’est très dur pour une femme d’être seule ici et sans papiers ».

Aujourd’hui, le retour n’est plus envisageable pour Feng, qui est bien décidée à faire de ce pays, qui l’a si mal accueillie, sa deuxième patrie. En Chine, elle assure qu’elle est trop vieille (trente-six ans  !) pour trouver du travail. Son mari galère pour 200 euros par mois. Elle s’est trop battue pour redescendre tout en bas de l’échelle.

Marie Barbier


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