Carnet de campagne Rodez, Decazeville, Albi

dimanche 14 mars 2010.
 

Je devais rebondir vers Lyon depuis Narbonne pour le meeting du soir. Mais ici c’est devenu la petite Sibérie et tous les trains sont bloqués. Donc : avion ! Beuark ! Fouille complète, ceinture et chaussures ôtées, plus un zélé qui m’a reconnu et qui veut absolument me faire ouvrir ma petite valise pour vérifier mon « aérosol » car, m’a-t-il répondu avec cet humour délicat qui signale sa finesse : « ce n’est pas écrit sur mon scanner que c’est votre mousse à raser, monsieur Mélenchon ». C’est vrai. D’ailleurs c‘était bien la bombe avec laquelle je comptais faire sauter l’avion. Logique. Surtout ne rien répondre. Sourire et ainsi de suite. Ce genre de zélé fait de l’abus de pouvoir en moins de temps qu’il en faut pour dégainer. Ensuite voici la cabine d’Air France où je reprends mon stage sardine en boite là ou je l’avais abandonné la dernière fois. Cette fois–ci s’y ajoute une variante bien connue des connaisseurs : « le siège de devant s’incline jusqu’à votre front combien de temps vous faut-il pour en faire autant à votre voisin de derrière ? ». Bref, le voyage en avion. Hier ça faisait rêver. Maintenant ça fait trembler. De rage.

Glaçons perdus

Lundi j’étais à Rodez, puis à Decazeville et Albi. Et le soir à Toulouse pour le meeting. Le tout sous la neige et en pataugeant dans les glaçons perdus. A midi, à Decazeville on a fait une pause casse croûte assez réussie pour ce qui est de la fraternité. Ici le Front de gauche c’est le parti pris majoritaire de la gauche. Comme souvent ce sont les communistes qui ont offert le socle de départ militant et qui constituent aujourd’hui toujours le point d’appui le plus large. Mais l’amalgame avec les Pégistes et les non inscrits a formidablement élargi l’impact de la formule politique nouvelle qu’est le Front de gauche dans ce paysage.

Les chiffres que me transmet l’adjoint communiste à la jeunesse de Decazeville, Mazet, me font la démonstration de cette dynamique. Aux élections cantonales de 2008, le candidat communiste a fait 11 % à Decazeville. Aux élections européennes de 2009, la liste du Front de Gauche que je menais a fait 20,5 %. Le paysage politique alentour confirme cette tendance à la remobilisation sur la gauche. A Firmi ma liste a fait un score de 26 % ! Elle est passée devant celle du PS !

Dans ce secteur donc, la dynamique est palpable et la façon d’être s’en ressent de toutes les façons possibles. Guilhem Serieys, le dirigeant du PG est la tête de liste départementale pour les élections régionales. C’est un homme de moins de trente ans qui a déjà été le directeur de la campagne pour les européennes. Son expérience, et sa connaissance du moindre recoin du lieu, forcent le respect de tout un chacun dans le secteur. Il est ici comme un poisson dans l’eau. Je m’amuse de le voir faire les toasts de début de banquet à l’ancienne, comme je les aime. Je me souviens comme je fus glacé d’effroi quand il me fallut faire cet exercice pour la première fois comme ministre. Et spécialement au cours d’une visite en Chine où l’hôte avait décidé de faire de l’humour vache. Il avait dit « nous savons qu’il est difficile de gouverner les Français, un peuple qui a trois cent cinquante fromages comme l’a dit le général de Gaulle »

Ah ! Ah ! J’ai bien compris le deuxième degré : en Chine personne ne mange de fromage car c’est considéré comme aussi dégoûtant que pour nous manger des cafards. Comme on servait à ce moment des limaces de mer en potage je répliquais : « nous reconnaissons le mérite de ceux qui gouvernent un peuple capable de goûter toutes les limaces de leur pays avant de choisir celles qui sont dans la mer pour en faire des potages ». Les nôtres se tenaient les côtes avec la même ostentation aimable que les autres le faisaient juste avant ! On fit la trêve des picotages polis à coup de nombreux toasts à l’alcool de riz. Ici rien de semblable. Mais juste l’art délicat de remercier sans ennuyer et de dire de la politique sans avoir l’air d’en rajouter.

Guilhem s’en sort comme un dieu. D’ailleurs, c’est Guilhem qui a préparé la tournée tout au long de la journée. Et ça roule tout seul, précis comme une horloge. Le soir, à Toulouse, mon vieux frère Jean Christophe Sellin a lui aussi tout millimétré autour de moi avant, pendant et après le meeting. Ceux là, ils font tant et si bien qu’ils s’oublient eux-mêmes. Lui, Jean Christophe, s’est cassé la figure sur les marches en sortant du meeting à cause de la glace qui couvrait traîtreusement les marches. De la glace il y en avait partout ces deux jours là ! Je marchais comme un petit vieux à tout petits pas. Plutôt ça que de me faire photographier dans un vol plané comme celui que je me suis donné à la sortie de la gare de l’est le jour de neige à Paris ! Bon. Je reviens à la politique.

CHANGEMENT DE MENTALITE

Ce qui me frappe dans tous les contacts c’est la nature de ce qui m’est dit. Là haut dans le bassin minier, avec les amis de l’hôpital de Decazeville, puis à Rodez avec les délégués syndicaux du comité d’entreprise de Bosch, et ensuite d’une autre façon quand je me suis trouvé à Albi pour la conférence de presse dans le Tarn, c’est la même chose. On me demande ce que nous comptons faire. Pas sur le plan de la stratégie, ni rien de tout de ça. On me parle de programme. Comment on pourra relancer l’hôpital public, qu’est ce qu’on peut faire pour l’industrie, et ainsi de suite.

C’est pourquoi je parle de gouvernement du Front de Gauche partout où je passe. Et que je n’hésite plus à dire comment je vois les problèmes et leurs solutions plutôt que d’en rester à des formules générales ou des débats à propos de la gauche. Je n’ai pas non plus de pudeur de gazelle pour me situer comme quelqu’un qui sait par quel bout empoigner un problème gouvernemental compliqué. Car je crois sentir dans cette façon de m’interroger un ressort important de notre temps. Les gens ont compris qu’il n’y a pas d’avenir avec le baratin des « libres et non faussés », alors que beaucoup ont cru très longtemps qu’on « ne peut pas faire autrement ».

L’arrogance des puissants, la cupidité des banques et la certitude d’être réduit au rôle de chair à canon du système a miné l’essentiel. Je ne sais pas si je le dis bien au moment où je le dis. Mais au total voici deux éléments de la psychologie du commun que je crois décisifs. D’une part la logique du système, ses fondamentaux, ses repères, ses mots, ses valeurs ont perdu leur force d’évidence et donc leur légitimité, d’autre part les gens ont envie de futur. C’est comme quand on fait beaucoup d’enfants alors même que la crise pourrait être l’éteignoir du goût du futur ! Maintenant dans la déprime, on veut quand même savoir qu’on pourra faire autrement le moment venu. Et quand bien même nous sommes donnés à sept pour cent des intentions de vote, nous, ceux du Front de gauche, devons apprendre à ne pas mettre nos ambitions à sept pour cent mais à cent pour cent de notre programme. J’essaie d’insuffler cet état d’esprit partout où je passe : "il n’y a pas de fatalité à ce tout aille de travers".


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