Multiculturalisme et démocratie dans le monde musulman (Interview avec Moha Ennaji)

dimanche 7 mars 2010.
 

Professeur à l’Université Ben Abdellah de Fès, Moha Ennaji sort son nouvel ouvrage intitulé « Multiculturalisme et démocratie dans le monde musulman », édité aux éditions « ImageriePub » avec le concours de l’Institut royal de la langue amazighe (IRCAM).

Le Matin : Que pouvez-vous nous dire à propos de ce nouveau livre ?

Moha Ennaji : C’est un collectif sur le thème « multiculturalisme et démocratie dans le monde musulman ». Il comprend un ensemble de chapitres motivés par l’intérêt grandissant pour les études du multiculturalisme, et il explore différents aspects de la diversité culturelle dans les sociétés musulmanes dans une perspective sociologique et culturelle. C’est un forum académique et une occasion d’assouvir la curiosité intellectuelle des lecteurs, étudiants, professeurs et experts de la société civile, ainsi que des décideurs sur tout ce qui concerne la problématique de la diversité culturelle et la démocratie dans les sociétés musulmanes.

Quelle en est l’idée directrice ?

L’idée directrice c’est que la pluralité caractérise tout : la nature, la société, la réalité linguistique, les peuples, les coutumes, les traditions, les orientations, les changements et les différents espaces. Le but essentiel est de poser la problématique du multiculturalisme et de la démocratie dans son contexte le plus large et de soulever des questions relatives notamment au « multiculturalisme et pluralité politique dans les pays musulmans », « multiculturalisme, laïcité et Islam », « multiculturalisme, culture démocratique et mondialisation », « multiculturalisme et pluralité linguistique », « diversité et dialogue interculturel » et « multiculturalisme et création artistique ».

Ce livre est-il le résultat d’une enquête ?

Oui, ce livre est en partie le résultat de plusieurs enquêtes et études de terrain sur la situation culturelle et politique dans les pays musulmans. Il est aussi basé sur des réflexions et des analyses comparatives de la diversité culturelle et des droits de minorités dans le monde musulman et dans les pays européens à forte communauté musulmane.

Quel est le message que vous voulez transmettre aux lecteurs ?

L’ouvrage a pour objectif de sensibiliser le lecteur sur la problématique du multiculturalisme dans les pays musulmans et dans les pays occidentaux où vivent des communautés musulmanes, notamment les musulmans en Europe. Un autre message que ce livre transmet est qu’une plus grande importance doit être accordée à la coopération, au développement et au dialogue sur la démocratie dans le monde arabo-musulman. Le multiculturalisme peut aussi permettre des réconciliations historiques telles que : la réconciliation avec soi-même, la réconciliation entre les élites du monde musulman, et l’harmonisation avec les changements internationaux qui favorisent la démocratie et le respect de la diversité.

Quels chapitres vous nous proposez de lire en avant-première ?

Je vous propose de lire le chapitre sur le multiculturalisme et le droit à la différence. Ce chapitre montre que le multiculturalisme encourage la diversité et que la réalité reste un constat et non un objectif. Ainsi, la civilisation islamique (dans toutes ses écoles philosophiques et traditions soufies) a légitimé le multiculturalisme et la diversité, et les multiples interprétations à travers les époques (Hassan Hanafi). Le chapitre sur les femmes et l’Islam dans les médias occidentaux est aussi intéressant à lire, car il analyse l’importance d’engager les voix des femmes pour la question de la démocratie et le multiculturalisme.

Que pensez-vous de la gestion du multiculturalisme au Moyen-Orient ?

Il est évident que la bonne gestion de la diversité et du multiculturalisme est la clé de la stabilité et de la sécurité intérieure et extérieure des peuples de la région ; elle est aussi la clé du progrès et du développement économique, social, politique et culturel des peuples et le garant de la coexistence pacifique entre les nations. Le contraire conduirait à des conflits religieux, sectaires, ethniques, nationalistes et politiques, et pourrait également donner lieu à des organisations extrémistes et à des régimes autoritaires répugnants fondés sur le racisme et sur le chauvinisme religieux et le sectarisme menant vers la marginalisation et l’exclusion des citoyens et l’oblitération de leur identité. La bonne gestion de la diversité culturelle conduirait à la construction d’une société démocratique avec des institutions civiles susceptibles de promouvoir un sentiment de citoyenneté, d’identité, de respect des libertés publiques et individuelles.

La partie de cet ouvrage qui vous a le plus marqué ?

C’est la partie sur les défis culturels en Palestine. Depuis l’invasion du reste des territoires palestiniens en 1967, les occupants israéliens ont saisi l’importance voire la nécessité de dissimuler et de déshonorer l’histoire culturelle de la civilisation du peuple palestinien. L’occupant, de toutes ses forces, tient à changer la réalité culturelle et civilisationnelle de ce peuple afin de démontrer que le sol revient à la descendance de David jusqu’au dernier jour. Ainsi, les défis auxquels fait face la culture arabo-islamique en Palestine restent dangereux en raison de l’occupation offensive des territoires palestiniens. L’occupant est habitué à la destruction du patrimoine culturel et civilisationelle arabo-islamique et continue à nourrir d’une façon satanique les idées du radicalisme, de la répugnance et de l’animosité qu’il sème par la terreur et la destruction quotidienne sur le sol palestinien afin qu’il reste attaché à la croyance qu’Israël est une petite nation victime et que les Arabes veulent les jeter dans la mer au moment où il cantonne les Palestiniens dans un Sahara de vagabondage, de détérioration et de tuerie.

Quels sont vos projets à venir ?

Dans l’avenir prochain nous inaugurerons l’Institut international des langues et cultures à Fès que nous venons, Fatima Sadiqi et moi, de fonder . D’autre part, je mène un travail de terrain au Maroc et en Europe en vue de terminer mon livre sur les Marocains résidant en Europe. Je travaille également sur un projet de dictionnaire amazigh-amazigh qui sera publié dans un an. Nous préparons aussi avec d’autres chercheurs marocains et étrangers un collectif sur l’enseignement de l’amazigh au Maghreb, et un autre collectif sur le genre et la violence au Moyen Orient à paraître chez l’éditeur britannique Routledge.


Moha Ennaji en quelques mots…

Chercheur dans des axes variés allant de la linguistique, le genre, la société civile aux problèmes de la migration. A la fois consultant international, professeur des universités et professeur-visiteur à l’université de Rutgers aux Etats-Unis. Il est également directeur de la revue internationale Langues et Linguistique paraissant depuis 1998, président du centre Sud Nord pour le dialogue Interculturel et les études sur la migration. Il est aussi l’auteur de plusieurs articles et ouvrages dont les plus récents sont : Migration and Gender, The Impact on Women Left Bhind (Red Sea Press, 2008, en collaboration avec F.Sadiqi), Multilingualism, Cultural Identity, and Education in Morocco (2005 Springer- New York), Women in the Middle East and North Africa (2010, Routledge avec F.Sadiqi), Women Writing Africa, The Northern Region (2009, The Feminist Press-New York, Collectif), Language and Gender in the Mediterranean Region (2008, Mouton de Gruyter-Berlin, Collectif). Migration et Diversité Culturelle (2007, Collectif), La Culture Amazighe et le Développement Humain (2007, Collectif). Le Brassage de la Culture Amazighe et de la Culture Arabe (2009, Collectif). Par Afaf Sakhi | LE MATIN


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