Peut-on se passer de l’expérimentation sur les singes ?

mercredi 3 mars 2010.
 

Les essais biomédicaux sur les primates sont-ils indispensables à la recherche ? Après la plainte déposée en octobre 2009 par la Coalition européenne pour mettre fin à l’expérimentation animale (ECEAE), le médiateur européen, Nikiforos Diamandouros, vient d’ordonner l’ouverture d’une enquête sur l’un des rapports utilisés par la Commission européenne pour préparer la révision de la directive de 1986 relative à la protection des animaux de laboratoire.

100 000 singes et grands singes sont utilisés chaque année dans le monde pour la recherche.

De 10 000 à 12 000. Le nombre de primates destinés aux laboratoires européens chaque année sur les 12 millions d’animaux au total utilisés par la recherche biomédicale. Rongeurs et lapins représentent 77,5 % du total.

50 000. Le nombre de primates utilisés chaque année aux Etats-Unis qui, contrairement à l’Union européenne, n’excluent pas le recours aux grands singes. Huit centres nationaux en abritent près de 30 000, auxquels s’ajoutent des importations provenant d’Indonésie et de Chine. Sur le même sujet

Ce rapport consacré à la "nécessité de primates non humains dans la recherche biomédicale" a été rédigé par l’influent Comité scientifique des risques sanitaires et environnementaux (CSRSE) rattaché à la Commission. L’association le juge "partial" et "rempli de lacunes scientifiques".

La révision de cette directive, prévue pour aboutir fin 2009, a pris du retard et n’interviendra pas, au mieux, avant juin 2010. Un temps suffisant pour relancer les passions que suscite le sujet, autour de deux aspirations en partie antinomiques : l’exigence de sécurité et de recherche qui accompagne les avancées médicales et l’exigence éthique visant à réduire le recours aux animaux de laboratoire. En particulier aux primates non humains (lémuriens et singes), nos plus proches cousins.

Cobayes sans équivalent

Constituant, par leur système immunitaire et leur physiologie, des modèles sans équivalent pour étudier les maladies humaines, ces espèces posent aussi, par cette même proximité, les questions éthiques les plus délicates.

Fin 2008, une première proposition de révision de la directive déclarait ainsi leur utilisation interdite dans les expériences, à l’exception de celles menées contre des maladies "invalidantes et potentiellement mortelles".

Le texte fut adopté en première lecture en mai 2009 par le Parlement européen mais avec plusieurs amendements visant à assouplir cette règle, jugée trop contraignante pour la recherche biomédicale.

A une large majorité (540 voix pour, 66 voix contre et 34 abstentions), les députés ont rejeté l’idée que l’utilisation des primates non humains soit restreinte aux seules maladies précitées, ce qui risquerait "d’entraver sérieusement" les recherches portant sur "certains cancers, la sclérose en plaques ou la maladie d’Alzheimer".

De même ont-ils refusé de restreindre durement le recours aux ouistitis et aux macaques, car cela pourrait "pénaliser la recherche européenne au profit de ses concurrents américains ou asiatiques, moins stricts en termes de bien-être animal".

"Toute la difficulté est de trouver la voie médiane entre les pro-expérimentation, qui estiment travailler pour le bien de l’humanité, et les antivivisection, pour qui toute utilisation d’animaux devrait être abolie", résume le docteur Jean-Louis Touraine. Député socialiste du Rhône et coauteur d’un récent rapport sur l’expérimentation animale en Europe réalisé à la demande de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), il souligne que les chercheurs n’utilisent les espèces supérieures que "lorsqu’il n’y a vraiment aucune autre solution", ne serait-ce que pour des raisons de coût.

Rappelant que les primates représentent moins de 0,1 % des douze millions d’animaux utilisés chaque année par la recherche européenne (publique et privée), M. Touraine considère qu’"en neurobiologie et en neurotoxicologie, comme pour les essais finaux de vaccins ou de traitements, le singe reste incontournable".

Le CSRSE, chargé par la Commission européenne de lui fournir un avis sur la question, n’a pas dit autre chose. Même si des alternatives permettent, de façon de plus en plus efficace, de diminuer le recours aux singes, il est peu probable, dans un avenir proche, que des méthodes de laboratoire ou des essais sur d’autres espèces animales remplacent complètement l’expérimentation sur les primates non humains, a-t-il conclu en substance.

C’est sur ce point que porte la plainte déposée par l’ECEAE, qui reproche à ceux qui devaient étudier les méthodes alternatives "d’avoir manqué d’expertise en la matière". "Seul un membre du groupe de travail avait une connaissance - limitée - des alternatives à l’utilisation des singes", précise l’association Groupe d’action dans l’intérêt des animaux (GAIA), représentante de l’ECEAE en Belgique, selon laquelle la Commission doit aussi se justifier d’avoir ignoré "une montagne de preuves scientifiques remettant fortement en question l’expérimentation sur les singes".

Pour Michel Vandenbosch, président de GAIA, "les chercheurs ont reçu un chèque en blanc pour poursuivre leurs expériences sur les animaux". Le médiateur européen, dans l’enquête qu’il vient d’ordonner, demande que soit précisé le niveau d’expertise des chercheurs sollicités par le CSRSE, ainsi que "les procédures et critères retenus pour sélectionner les experts de ce groupe de travail".

Le président de la Commission européenne a jusqu’au 30 avril pour lui répondre.

Catherine Vincent


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