Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, lors de l’hommage rendu à M. Nelson Mandela à l’occasion de sa visite en France le 6 juin 1990

samedi 26 janvier 2019.
 

Nelson Mandela, ce nom sonne et résonne sur tous les continents avec la puissance irrésistible du destin car vous avez montré ce que peut la force fragile d’un homme. Plus on a nié votre humanité et vos droits, plus le monde se persuadait de l’inhumanité de vos juges et l’on vous respectait, plus on vous mettait au secret et plus votre nom courait sur toutes les lèvres dans les discours comme dans les chansons des peuples et l’on vous aimait.

Nul ne connaissait plus votre visage de prisonnier depuis trente ans, mais votre dernier portrait d’homme libre était sur toutes les poitrines et dans les coeurs de la jeunesse. Je n’accueille pas seulement la liberté que vous incarnez ce soir mais aussi le mari de Winnie qui attendit vingt-deux ans avant de pouvoir un instant l’embrasser, le grand-père qui aura attendu trente ans pour voir enfin le visage de ses petits-enfants. Mais s’il en est besoin avez-vous dit homme parmi les hommes, prisonnier pour cause d’opinion hélas et parmi des milliers c’est vous qui le disiez et je vous cite, "Je hais intensément la discrimination raciale sous toutes ses formes, je l’ai combattue pendant toute ma vie, je la combats ici et je le ferai jusqu’à la fin de mes jours".

Qui ne se reconnaîtrait dans ces paroles que vous avez prononcées voilà encore trente ans devant le Tribunal de l’Apartheid où l’on vous accusait d’être, de vouloir être simplement un homme comme les autres, trente ans de bagne et de prison pour ce seul crime, avoir osé affirmer la dignité humaine.

C’est encore vous qui le disiez "j’ai combattu la domination blanche et la domination noire, j’ai chéri l’idéal de la démocratie et d’une société libre dans laquelle les individus pourraient vivre en harmonie avec une égalité de chances, c’est un idéal pour lequel j’ai vécu dans l’espoir de le réaliser mais s’il en est besoin ajoutiez-vous c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir".

Oui, vous êtes l’homme de liberté au fond des cachots, l’homme d’égalité au pire de la discrimination, l’homme de la fraternité face au fratricide du racisme.

Eh bien, si la France est la Patrie des Droits de l’Homme, elle est la vôtre mais au moment même où vous êtes parmi nous, comment oublier que vous n’êtes pas même citoyen de votre propre pays, vous qui en êtes l’incarnation et le symbole pour le monde entier et cependant plus dénué de droits qu’un étranger dans la terre de ses pères.

Eh bien oui, j’admire, nous admirons, nous qui vous accueillons ici, l’homme que nous avons vu sortir de sa prison le 11 février à 15 h 14 après vingt sept ans, six mois, six jours, le visage calme, sage, grave, sans amertume, sans un mot de colère ni de vengeance, inflexible, indomptable, face aux outrages subis sans compromission et plein de compréhension, capable d’aller au devant de ceux qu’hier vous rejetaient, respectueux de ceux qui vous avaient si longtemps méprisé, prêt à discuter avec les successeurs de ceux qui vous avaient condamné, de ceux qui vous avaient emmuré dans le silence des bagnes.

Telle est la force des Droits de l’Homme lorsque l’opinion des peuples soutient leur défenseur. Aujourd’hui c’est le prisonnier qui guide ses geôliers sur les chemins de la liberté, c’est lui qui montre à ceux qui se croyaient les maîtres qu’ils étaient esclaves de leurs préjugés et qui leur enseigne comment on peut s’affranchir ensemble du système où fut enfermée la patrie commune. Voilà ce que je désirais vous dire ce soir Nelson Mandela au nom de mon pays.


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