La réalité inégalitaire britannique dit le mal du modèle social-démocrate

dimanche 21 février 2010.
 

Le professeur John Hill, mandaté par le gouvernement de Gordon Brown, vient de rendre ses conclusions dans un rapport intitulé « Anatomie des inégalités économiques au Royaume-Uni ». Bilan  : le modèle anglais va mal  ; certes pas pour tout le monde, la richesse des 10 % de ménages les plus riches représentant près de 100 fois celle des 10 % les plus pauvres. La sanction dudit modèle est claire  : inégalitaire. Voire le plus inégalitaire de l’Union européenne, et ce bien plus qu’il ne l’était déjà il y a quinze ans. En France, les apôtres du modèle anglais vont peut-être enfin baisser d’un ton.

En fait, la réalité anglaise dit le mal du modèle social-démocrate, mal français, mal européen, mal américain, mal de tous les États providence occidentaux. Ces sociétés se détournent de plus en plus de l’impératif moral qui les a fondées, à savoir le projet de libération et d’égalité. Au contraire, elles se laissent peu à peu gagner, souligne Jean-Fabien Spitz (1), par l’idée qu’il existe une incompatibilité entre les deux valeurs cardinales de l’époque moderne, l’égalité et la liberté.

Autre mythe qui vole en éclats, celui de l’individualité, habilement déconstruit par l’auteur. L’individualisme, valeur prônée par nos sociétés, n’est qu’une illusion. Dans nos sociétés, l’origine de classe joue au contraire un rôle déterminant. « Nos parcours, nos stratégies matrimoniales, notre lieu de résidence, notre profession, nos revenus, nos goûts, notre façon de nous habiller sont moins le produit de nos décisions personnelles que la marque de notre appartenance à un groupe social. En ce sens, nous sommes moins des individus que des représentants et des porte-parole de nos origines, de notre milieu. Les hiérarchies sociales elles-mêmes ont la forme d’une reproduction qui reconduit sans cesse vers les positions les plus favorisées, non pas les individus les plus talentueux, les plus inventifs ou les plus travailleurs, mais les héritiers. » 
Le bilan de la social-démocratie donne à voir un état relativement sinistré. Pour autant, le philosophe refuse d’en rester là et s’aventure sur des terrains plus compliqués, au demeurant très durkheimiens. Selon lui, il ne suffit plus de vouloir faire payer les riches pour résoudre la situation des défavorisés. Il faut au contraire réfléchir à ce que sera le nouveau mode de répartition des richesses qui recevra l’assentiment des citoyens, qu’ils soient riches ou pauvres.

On ne peut donc passer outre certains questionnements, souvent jugés fictifs, à savoir les questions de mérite, de choix, de hasard ou de chance, de responsabilité, etc. Il en va d’ailleurs de la revendication d’un certain libre arbitre existant tout autant que le déterminisme social. Selon Jean-Fabien Spitz, chaque individu doit avoir le droit de profiter de sa chance (l’héritier ne demande pas à être né là où il est né), de son mérite, de son aptitude à faire des choix judicieux dans la mesure où cela n’est pas incompatible avec l’objet de l’association civile, autrement dit à condition que cela ne nuise pas aux liberté et égalité communes, soit encore à ce droit de tous à une existence décente et autonome. 
Inventer, en somme, au-delà de la société des droits, celle des droits réciproques. Voilà un bel horizon pour un acte II de l’État providence, le premier acte n’ayant scellé que l’émancipation et l’égalité des uns au détriment de celles des autres.

(1) Pourquoi lutter contre les inégalités, de Jean-Fabien Spitz, 2010.


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