Retour sur un communisme pluriel

lundi 8 février 2010.
 

Le sociologue Julian Mischi analyse les mobilisations communistes durant la phase d’essor du PCF. Une démarche qui éclaire aussi la réalité du communisme d’aujourd’hui.

Servir la classe ouvrière, sociabilités militantes au PCF de Julian Mischi. Éditions Presses universitaires de Rennes, 2009, 341 pages, 19 euros.

Fruit d’un patient travail d’enquête dans quatre départements (Allier, Isère, Meurthe-et-Moselle, Loire-Atlantique) et d’une analyse poussée des archives communistes (celles du Comité central, ouvertes en 1998, mais aussi celles des fédérations visitées), Servir la classe ouvrière contribue à repolitiser la question du déclin du Parti communiste, à rebours de ceux qui voudraient voir dans ce phénomène l’effet mécanique d’un recul de l’influence sociale des ouvriers.

Chercheur en sciences sociales à l’Inra et enseignant à Sciences-Po Paris, Julian Mischi montre, à partir de l’étude de situations locales, toute la complexité du rapport du « parti de la classe ouvrière » aux classes populaires en général.

L’exemple du marais de Brière (Loire-Atlantique) met particulièrement en évidence ce que la puissance passée du PCF doit aux usages dont il a fait l’objet de la part de sociabilités populaires qui lui préexistent. Dès les années 1950 et 1960, le marais est la cible de projets immobiliers et touristiques menaçant les « us et coutumes » d’une population à la fois rurale et ouvrière (beaucoup travaillent dans les industries et les chantiers navals de Saint-Nazaire). Mobilisée pour la défense de son cadre de vie, elle se saisit du PCF comme d’un relais, à partir du moment où celui-ci développe une rhétorique en faveur du « tourisme populaire » contre le « tourisme de classe ».

On observe des formes similaires d’investissement du PCF en Lorraine, lorsque, dans les années 1970, la désindustrialisation fragilise une cohésion ouvrière jusqu’alors structurée davantage sur un mode syndical. Par sa démarche, Julian Mischi se distingue notamment de la sociologie de Bourdieu, lequel soulignait dans l’engagement politique des classes populaires une certaine tendance à la « remise de soi », c’est-à-dire la délégation absolue au Parti. Lorsqu’il y a « remise de soi », c’est en fait toujours de façon « négociée ». Ce qui signifie que les classes populaires ne soutiennent l’appareil partisan que dans la mesure où elles y sont représentées et valorisées.

Pour expliquer le « déclin » du Parti communiste à partir de la fin des années 1970, Julian Mischi se penche donc sur certaines « inflexions du discours idéologique » de l’organisation, les évolutions de sa sociologie interne, le fossé qui a pu se creuser entre permanents et classes populaires, ou encore l’autonomisation croissante des élus locaux par rapport à l’institution partisane et ses militants. Mais il ne nie pas pour autant l’existence d’un lien entre le déclin observé et les « transformations des conditions de vie et de travail des classes populaires ». Un ouvrage qui interpelle par l’acuité de ses analyses.

Laurent Etre


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