1956 : Insurrection ouvrière en Pologne

lundi 3 septembre 2012.
Source : Hebdomadaire
 

Après un article de Jacques Serieys sur l’insurrection hongroise du 23 au 26 octobre 1956, un "Appel du Conseil Central des usines et des arrondissements", un communiqué actuel du PCF, un article récent de Roger Martelli (PCF)et un interview de Jean Paul Sartre en 1956, voici un article de la LCR sur l’insurrection ouvrière de Poznan en Pologne qui a servi de détonateur pour la Hongrie.

Le soulèvement insurrectionnel de la ville polonaise de Poznan, en juin 1956, a été un révélateur de la crise du stalinisme. Précédé par un événement similaire à Berlin-Est et suivi, quatre mois plus tard, de l’insurrection hongroise, il ouvre le grand cycle polonais des luttes ouvrières contre la dictature bureaucratique (1970, 1976, 1980-1981).

En Pologne, le renversement du régime bourgeois, après la Deuxième Guerre mondiale, et l’incorporation du pays dans le glacis européen de l’Union soviétique ont été suivis d’une véritable révolution industrielle que, dans le cadre du développement capitaliste retardé et dépendant, la bourgeoisie polonaise n’avait pas été capable d’accomplir. En six ans, le gigantesque effort volontariste du « pouvoir populaire » et des masses mobilisées avait changé la société de fond en comble.

Un nouveau et puissant prolétariat industriel a surgi en tant que force sociale décisive. L’avancement social et culturel de larges couches laborieuses, apporté par le régime de « démocratie populaire » et par l’industrialisation, n’avait pas de précédent dans l’histoire du pays. Il a fait naître de grandes aspirations ouvrières à une vie meilleure sur le plan matériel, moral et culturel, mais aussi à un rôle dans la gestion des entreprises et dans la direction de l’ensemble de l’économie, de la société et de l’État.

Le régime stalinien, lui, entrait en crise. À la fin des années 1940, deux événements avaient marqué sa consolidation. Le premier concernait la suppression par la police du courant prétendant suivre une « voie polonaise au socialisme » - « nationaliste de droite », selon la terminologie stalinienne, c’est-à-dire autonome vis-à-vis de l’URSS. Wladyslaw Gomulka, grand dirigeant communiste de ce courant, fut arrêté en 1947. Le deuxième consistait en une prétendue « unification du mouvement ouvrier » - en réalité, la liquidation des partis ouvriers, communiste et socialiste, « unifiés » dans un seul parti bureaucratique, le Parti ouvrier unifié polonais (Poup), en 1948.

La dictature terroriste, se situant même au-dessus de la direction du Poup et concentrée dans le sinistre 10e département du ministère de la Sécurité publique et des Renseignements militaires, prolongement de la police politique soviétique, avait été démantelée après la mort de Staline, en mars 1953. Dans le processus de « dégel » et dans l’ambiance de lutte de fraction au sein de la bureaucratie, le régime s’ouvrait un peu et se libéralisait très timidement.

Mais, en même temps, les tensions et les contradictions de la gestion bureaucratique de l’économie, de la révolution industrielle et de l’État, commencent à éclater. Les promesses d’une élévation substantielle du niveau de vie, après le grand effort de reconstruction et d’industrialisation, s’évaporent.

Affrontements armés

La bureaucratie au pouvoir, incapable d’augmenter la productivité via le progrès technique, intensifie l’exploitation en élevant les normes de rendement, baisse les salaires réels en les payant au-dessous de la valeur de la force de travail, prélève des impôts sur les salaires, diminue la rémunération des heures supplémentaires et des primes, etc. C’est justement la résistance à la surexploitation qui déclenche le mouvement de protestation des métallos de l’énorme usine Staline de Poznan. Alors que les négociations de la délégation ouvrière avec les représentants du gouvernement traînent, les meetings de masse, les élections des délégués, l’élaboration des cahiers de revendications, la construction des liaisons interentreprises et la naissante démocratie ouvrière rendent la situation explosive. Le soulèvement se produit le 28 juin à 6 heures du matin, avec le déclenchement de la grève générale dans la ville, qui gagne d’abord les plus grandes entreprises, suscite la sortie en masse pour la manifestation et le rassemblement de 100 000 travailleurs sur la place de la mairie afin d’obtenir la suppression des nouvelles normes de rendement, la hausse des salaires et la baisse des prix.

À 10 heures, le mouvement prend la forme d’une insurrection : la prise d’assaut de la prison, la libération de 257 prisonniers politiques et de droit commun, la destruction de la documentation carcérale, la prise et l’incendie des bâtiments du tribunal et du parquet de la ville, les assauts successifs, toute la journée durant, contre les dix dépôts d’armes. La violence ouvrière frappe presque exclusivement l’ensemble des institutions répressives.

Vers midi, les manifestants assiègent et attaquent le noyau du système répressif : le bâtiment central de la Sécurité d’État, institution criminelle la plus haïe du régime bureaucratique. On tire sur ce bâtiment depuis une vingtaine de points différents. Les foules désarment une partie des élèves d’une école militaire envoyés au secours - avec l’interdiction d’ouvrir le feu - et freinent l’avance d’une colonne de seize chars de combat. Les insurgés s’emparent de deux chars et tentent de les lancer contre le bâtiment de la Sécurité.

Bureaucratie réformée

À partir de 16 heures, la ville est investie, peu à peu, par deux divisions blindées et deux divisions d’infanterie - au total, 10 000 soldats, avec environ 360 chars, sous le commandement du vice-ministre de Défense nationale, le général Stanislaw Poplawski, un militaire soviétique d’origine polonaise détaché pour servir dans l’armée polonaise. La grève générale dure trois jours, les affrontements armés, de plus en plus sporadiques, quatre.

Bilan : 57 morts, dont 49 civils, ainsi que huit militaires et agents de la Sécurité, environ 600 blessés des deux côtés, 746 arrêtés (parmi eux, 80 % d’ouvriers), souvent battus et torturés pour déclarer que le soulèvement était une œuvre des services de renseignement des États-Unis et d’Allemagne de l’Ouest et d’une organisation clandestine anticommuniste, en réalité inexistante.

Mais, lors de trois procès, seulement 22 personnes sont jugées. Dix sont condamnées, par ailleurs, à des peines relativement modérées de deux à six ans de prison. Un paradoxe : le dernier procès, celui de dix personnes accusées d’avoir formé un groupe armé, se termine... sans aucune sanction pour les accusés, défendus très couragement par leurs avocats qui déclarèrent coupables « les bureaucrates au pouvoir qui avaient cessé d’être une élite idéologique pour devenir une élite consommatrice ».

Le soulèvement de Poznan a ébranlé le pouvoir bureaucratique et déclenché une forte crise politique. Quatre mois plus tard, en octobre, un grand mouvement antibureaucratique de masse gagnait le pays : les travailleurs formaient les conseils ouvriers dans les entreprises, le Parlement votait une loi établissant que « le conseil ouvrier gère l’entreprise au nom de ses travailleurs », et Gomulka prenait triomphalement la direction du Poup avec un immense soutien populaire... pour mettre la fin à la révolution politique et rétablir un ordre bureaucratique réformé et formellement déstalinisé.

Zbigniew Kowalewski


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message