Finie la retraite à 60 ans. Martine ! Ça va pas ?

jeudi 28 janvier 2010.
 

J e suis à Strasbourg. Je fais cette note depuis l’hémicycle. Je parle de la déclaration de Martine Aubry sur les retraites parce que les élus de droite ici nous narguent.

DOGME ET TABOU MONTENT DANS UN BATEAU

Quelle mouche l’a piquée ? Martine Aubry a passé par-dessus bord la retraite à soixante ans. Avant même le début de la bataille sur les retraites, et avant même que le gouvernement ait confirmé son intention de reporter l’âge légal de la retraite, Martine Aubry a rendu les armes lors du grand Jury RTL LCI Le Figaro dimanche 17 janvier. Citons : Martine Aubry : « Il nous faut réfléchir à la façon d’organiser la retraite de manière juste. S’il faut donner un peu plus de temps de travail ou autre, je pense que les Français y sont prêts. » […] Jean Michel Aphatie : « La règle qui donne la possibilité de départ à 60 ans, elle est terminée d’après vous ? On a encore les moyens de financer cela ? » Martine Aubry : « Moi je pense qu’on doit aller, qu’on va aller très certainement vers 61 ou 62 ans. Je n’imagine pas qu’on aille plus loin. » Se rend-on compte ? La retraite à soixante ans c’est la grande mesure du programme commun, entrée en vigueur en 1983, celle qui a marqué l’esprit des générations d’hommes et de femmes qui s’étaient battus pour cela ! Pendant un temps, les arpèges contre la retraite à soixante ans étaient déclinés dans le cadre global du dénigrement de la retraite par répartition. Cette guerre au système de retraites était menée parce qu’il s’agissait de pousser les gens dans le dos vers le système par capitalisation. Maintenant personne n’oserait plus parler de ça après la déroute du système bancaire qui a ruiné un nombre considérable d’épargnants piégés dans cette chausse trappe ! Les pianos mécaniques sur le sujet ont remisé leurs ritournelles un peu partout.

C’est le moment que choisit Martine Aubry pour prendre à revers les syndicats à la veille d’un bras de fer sur le sujet avec le pouvoir de droite. CGT, FO, CFTC et Solidaires se sont à l’inverse déjà prononcés contre tout recul au-delà de 60 ans du droit au départ à la retraite. Même la CFDT exprime des réserves sur le report de l’âge légal : « Si on remet en question les 60 ans, on sanctionne ceux qui ont commencé à travailler tôt, donc les ouvriers. A la CFDT, nous privilégions la durée de cotisation pour réformer sur le long terme. » (Chérèque 8 janvier 2010, interview aux Echos). « Le Figaro », malicieux, ne se trompe pas sur l’énormité de la situation. Gros titre : « retraite après soixante ans la fin d’un tabou ». Tabou. Vous connaissez. C’est toujours la même musique. Une conquête sociale est un tabou. Les privilèges honteux des dominants sont des récompenses pour leurs efforts et ils ne doivent pas être « démotivés ». Madame Parisot a eu le nez creux – ou bien des informations privilégiées – quand elle déclare à son point de presse mensuel : « Le sujet beaucoup plus consensuel qu’on ne le dit » « nous pensons que nous pouvons avancer significativement sur ce dossier, à la fois en faisant bouger le paramètre clef, tabou jusqu’alors, de l’âge légal de départ à la retraite » Evidemment elle ne renonce à rien pour le reste. Elle rappelle donc comment les idées s’enchainent à ce sujet. Car elle précise que cette remise en cause de l’âge du départ à la retraite doit se faire « en commençant à réfléchir à d’autres systèmes que la répartition ». En page intérieure du Figaro, on pavoise « Aubry renonce au dogme de la retraite à soixante ans ». Le « dogme », bien sûr. Décidément la bataille du vocabulaire continue.

Mais en réalité, Martine Aubry peut-elle tenir cette ligne ? Pas sur qu’il y ait une majorité sur ce sujet dans la direction du PS. Et comme nous sommes en pleine campagne électorale, je recommande de demander largement autour de nous aux électeurs de gauche ce qu’ils pensent de cette trouvaille. J’avais très explicitement pointé ce sujet dans mon discours de lancement de la campagne au Palais des congrès. Nous aurons des renforts dans la place. Benoit Hamon, lors du point presse du PS lundi 18 janvier 2010, a contredit la première secrétaire : « aujourd’hui l’âge légal du départ à la retraite est de 60 ans et le PS a toujours dit qu’il était attaché à ce que ce soit l’âge du départ à la retraite » affirme-t-il. « Nous disons qu’il faut négocier avec les partenaires sociaux et diversifier les recettes. La pénibilité ne peut pas être une contrepartie au recul de l’âge du départ à la retraites ». Mais que valent ces résistances ? Il est impossible d’être sur que ce soit davantage qu’un moment de honte. Le « réalisme » d’appareil pourrait revenir bien vite.

UN SYMBOLE MAJEUR

Ce serait alors un pas de plus vers la normalisation « démocrate » du Parti Socialiste, à la sauce européenne. Car cette affaire des retraites est au cœur de ce modèle que certains nomment « l’état providence » dont la social démocratie en Europe a construit l’essentiel. C’est la marque de fabrique de ce nouvel âge de la social démocratie que de passer par-dessus bord les conquêtes du passé. C’est un symbole très fort de le faire. Par conséquent la sortie de Martine Aubry est un très mauvais coup pour la cause. On voit bien qu’elle veut cotiser pour entrer dans le club des « responsables courageux » qu’affectionne la bien pensance des pages saumon du Figaro et tutti quanti. On connait la musique. La retraite se doit d’être à la carte pour « tenir compte » des parcours individuels. Ces hypocrites mettent en avant la pénibilité du travail comme motif de différenciation. Ils se croient imparables de ce côté. Je les attends au pied du mur le jour où ils devront expliquer au plus grand nombre que son travail n’est pas assez pénible pour bénéficier de considération particulière ! Mais qui avale la mer doit aussi digérer les poissons. La pénibilité est un sujet immaitrisable. Le thème ne fonctionne que comme une pente. Car le MEDEF a déjà attaqué l’épisode suivant. « Pénibilité, » disent les patrons ? « Mais cela dépend des réactions de chaque personne ! » Vu ? La marche vers l’individualisation complète des droits sociaux n’est pas prêt de trouver sa buttée. C’est sans fin. Martine Aubry ne pourra pas se contenter de manger son chapeau. Il lui faudra aussi avaler ses chaussettes. Ou résister pour de bon en commençant par cesser de donner des gages à nos adversaires.


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