1er janvier 1994 dans l’état du Chiapas au Mexique : Début de l’insurrection zapatiste

lundi 3 janvier 2022.
 

- A) 1er janvier 1994 dans l’état du Chiapas au Mexique : Début de l’insurrection zapatiste

- B) « Dix-huit ans plus tard, 
les zapatistes sont toujours là »

C) On fait quoi maintenant ? (par le sous-commandant Marcos)

Lorsque nous avons fait irruption et interruption en 1994 par le sang et le feu, la guerre pour nous, nous les zapatistes, ne commençait pas.

La guerre d’en-haut, avec la mort et la destruction, la spoliation et l’humiliation, l’exploitation et le silence imposé au vaincu, nous la subissions depuis les siècles précédents.

Ce qui a commencé pour nous en 1994, c’est l’un des nombreux moments de la guerre de celles et ceux d’en-bas contre celles et ceux d’en-haut, contre leur monde.

Cette guerre de résistance qui jour après jour ferraille dans les rues de chaque recoin des cinq continents, dans les champs et dans les montagnes.

Elle était et est la nôtre, comme celle des nombreux hommes et nombreuses femmes d’en-bas, une guerre pour l’humanité et contre le néolibéralisme.

Face à la mort, nous revendiquons la vie.

Face au silence, nous exigeons la parole et le respect.

Face à l’oubli, la mémoire.

Face à l’humiliation et le mépris, la dignité.

Face à l’oppression, la révolte.

Face à l’esclavage, la liberté.

Face à la contrainte, la démocratie.

Face au crime, la justice.

Qui pourrait, ayant un tant soit peu d’humanité dans les veines, remettre en question ces revendications ?

Et en cela, beaucoup nous ont écouté.

La guerre que nous menons nous a donné le privilège de parvenir jusqu’aux oreilles et aux cœurs attentifs et généreux, et jusqu’à des géographies proches et lointaines.

Il nous manquait et nous manque encore et toujours quelque chose, mais nous étions alors parvenus à accrocher le regard de l’autre, son écoute, son cœur.

Nous nous sommes alors retrouvés face à la nécessité de répondre à une question décisive :

On fait quoi maintenant ?

Au milieu des sombres comptes du passé, il n’y avait pas de place pour nous poser de question. Cette question nous en a alors amené bien d’autres :

- Préparer ceux qui vont suivre sur la voie de la mort ?

- Former plus et de meilleurs soldats ?

- Investir nos ressources dans l’amélioration de notre piteuse machine de guerre ?

- Simuler le dialogue et les dispositions à la paix, mais continuer de préparer de nouveaux coups ?

- Tuer ou mourir, comme unique destinée ?

Ou devions-nous reconstruire le chemin de la vie, celui qu’ils avaient détruit et qu’ils continuent d’abîmer depuis en-haut ?

Le chemin non seulement des peuples originaires, mais aussi des travailleurs, des étudiants, des professeurs, des jeunes, des paysans, en plus de toutes les différences qui sont célébrées en-haut, et qui en-bas sont poursuivies et punies.

Devions-nous inscrire notre sang sur le chemin que d’autres dirigent depuis le Pouvoir, ou devions-nous tourner le cœur et le regard vers ce que nous sommes et vers ceux qui sont ce que nous sommes, c’est à dire les peuples originaires, gardiens de la terre et de la mémoire ?

Personne ne l’a alors entendu, mais dans les premiers balbutiements que fut notre parole, nous avertissions que notre dilemme n’était pas négocier ou combattre, mais bien vivre ou mourir.

Celui qui aurait alors été averti que ce dilemme précoce n’était pas individuel, aurait peut-être mieux compris ce qui s’est passé dans la réalité zapatiste ces 20 dernières années.

Mais je vous disais, moi, que nous nous heurtions à cette question et ce dilemme.

Et nous avons choisi.

Et au lieu de nous dédier à la formation de guérilleros, de soldats et d’escadrons, nous avons préparé des promoteurs d’éducation, de santé, et ils ont bâti les bases de l’autonomie qui aujourd’hui émerveille le monde.

Au lieu de construire des casernes, d’améliorer notre armement, bâtir des murs et des tranchées, nous avons bâti des écoles, des hôpitaux et des centres de santé ont été construits, nous avons amélioré nos conditions de vie.

Au lieu de lutter pour avoir une place au Panthéon des morts individualisés d’en-bas, nous avons choisi de construire la vie. Et cela au milieu d’une guerre qui, bien que sourde, n’en était pas moins meurtrière.

Parce que, camarade, c’est une chose de crier « vous n’êtes pas seuls » et c’en est une autre d’affronter avec son seul corps une colonne blindée de troupes fédérales, comme c’est arrivé dans la zone de Los Altos du Chiapas. On verra alors si avec un peu de chance quelqu’un s’en rend compte, si avec un peu plus de chance celui qui sait s’indigne, et si avec un peu plus de chance encore celui qui s’indigne fait quelque chose. Pendant ce temps, les chars sont freinés par les femmes zapatistes, et à défaut de matériel ce fut sous les insultes à leurs mères et des pierres que le serpent d’acier a du battre en retraite.

Et dans la zone nord du Chiapas, subir la naissance et le développement des gardes blanches, recyclées désormais en paramilitaires ; et dans la zone Tzotz Choj les agressions continues des organisations paysannes qui « d’indépendant » n’ont parfois même pas le nom ; et dans la zone de la Forêt Tzeltal le cocktail de paramilitaires etcontras.

Et c’est une chose de crier « nous sommes tous Marcos » ou « nous ne sommes pas tous Marcos », selon le cas ou la cause, et la répression en est une autre, accompagnée de toute la machinerie de guerre, l’invasion des villages, le « ratissage » des montagnes, l’utilisation de chiens dressés, les pales des hélicoptères armés qui chahutent la houppe des érythrimes, le « mort ou vif » né dans les premiers jours de janvier 1994 et ayant atteint sont paroxysme en 1995 et le reste du sextennat du dorénavant employé d’une multinationale, et que cette zone de la Forêt Fronteriza subissait depuis 1995 et à laquelle s’ajouta par la suite la même séquence d’agressions d’organisations paysannes, utilisation de paramilitaires, militarisation, harcèlement.

S’il y a un mythe dans tout cela ce n’est pas le passe-montagnes, mais bien le mensonge qui se répète depuis ces jours-là, repris même par des personnes ayant fait de longues études, qui dit que la guerre contre les zapatistes n’a duré que 12 jours.

Je ne ferai pas de décompte détaillé. Quelqu’un avec un peu d’esprit critique et de sérieux peut reconstituer l’histoire, et ajouter et soustraire pour faire l’addition, et dire si les reporters étaient et sont plus nombreux que les policiers et les soldats, si les flatteries étaient plus nombreuses que les menaces et les insultes, si le prix qui était mis l’était pour voir le passe-montagnes ou pour la capture « mort ou vif ».

Dans ces conditions, quelques fois avec nos seuls forces et d’autres avec l’appui généreux et inconditionnel de bonnes personnes du monde entier, la construction toujours inachevée, c’est vrai, mais pourtant définie, de ce que nous sommes, a avancé.

Ce n’est pas alors une phrase, heureuse ou malheureuse, selon qu’on regarde d’en-haut ou d’en-bas, celle de « nous sommes ici les morts de toujours, mourant à nouveau, mais maintenant pour vivre ». C’est la réalité.

Source : http://espoirchiapas.blogspot.fr/20...

B) Jérôme Baschet « Dix-huit ans plus tard, 
les zapatistes sont toujours là »

Le zapatisme continue de tisser sa toile dans un Mexique en proie au narcotrafic, aux violences et à la corruption. Entretien avec Jérôme Baschet, maître de conférences à l’Ehess à Paris et enseignant à l’université autonome du Chiapas.

Le 1er janvier 1994, l’armée zapatiste lançait son appel contre le néolibéralisme  : «  Ya basta  !  ». Dix-huit ans plus tard, le mouvement, qui avait la faveur des médias et de personnalités, n’est plus à la mode. Qu’est-il devenu  ?

Jérôme Baschet. Les zapatistes sont toujours là. S’ils ne sont plus aussi présents dans les médias, c’est le fait même de l’histoire de leur mouvement et de leurs revendications. Le soulèvement armé a eu un écho très important. Dans une deuxième phase, leur lutte s’est centrée sur la reconnaissance légale des droits des cultures indigènes et l’application des accords de San Andres, qui avaient été négociés avec le gouvernement fédéral en 1995-1996. La lutte pour la reconnaissance de ces droits, qui a culminé lors de la grande marche de la dignité indigène en 2001, a été extrêmement visible. Mais les partis politiques ont trahi leur parole donnée de reconnaître les accords de San Andres. Le texte qu’ils ont voté a été dénoncé comme une trahison par les zapatistes et l’ensemble des mouvements indigènes du Mexique. Ils sont entrés dans une phase de réaction contre l’ensemble de la classe politique, qui les a amenés à se retirer de la scène politique. Ils se sont alors consacrés à la mise en pratique de l’autonomie dans les communautés zapatistes et les territoires du Chiapas où ils sont présents.

Qu’est-ce que cela veut dire sur le plan politique ou encore de l’organisation sociale  ?

Jérôme Baschet. Les zapatistes ont construit des autorités communales et régionales qui forment des gouvernements propres à ces régions, c’est-à-dire des conseils municipaux, des communes autonomes, et cinq conseils de bon gouvernement, «  Juntas de buen gobierno  » qui, au niveau régional, sont chargés de coordonner l’action des différentes communes autonomes. Les communes élisent leurs représentants pour deux ou trois ans. Les gens ne sont pas candidats pour exercer les charges mais désignés par la communauté et ne perçoivent aucune rétribution. Leurs mandats sont impératifs et révocables à tout moment. La philosophie générale est une construction politique du bas vers le haut et qui ne passe pas par l’État.

Y a-t-il eu des avancées sociales dans la vie quotidienne des Indiens  ?

Jérôme Baschet. Oui, mais dans des conditions précaires. La pression du gouvernement est permanente. Des groupes dits paramilitaires, souvent liés au Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, droite), sont chargés par l’État d’envahir les terres zapatistes. Le gouvernement fait miroiter aux habitants des aides financières à la condition qu’ils cessent d’être zapatistes. Les zapatistes ont pour eux d’avoir récupéré des terres lors du soulèvement armé de 1994, qu’ils exploitent aujourd’hui de manière collective. L’une des fonctions des autorités autonomes est justement d’assurer le travail collectif. Il existe un système de santé, d’éducation, et de justice. L’école autonome, par exemple, se base sur la transmission du savoir, de l’identité. Ils travaillent sur leur capacité à s’organiser eux-mêmes, à s’autogouverner sans être assistés par le gouvernement. Ils se démontrent à eux-mêmes, et à qui veut bien le voir, qu’il est possible de construire une société plus juste et fraternelle que celle qu’offre le système dominant. Des personnes ont d’ailleurs fait le choix de se soigner dans des centres de santé zapatistes, qui sont ouverts à tous. Toutes les communes ont deux gouvernements  : l’officiel et le zapatiste.

Où se situe la nature du rejet de l’État  ? Dans son orientation libérale ou dans l’idée même d’État qui pourrait pourtant être garant de justice sociale et d’une juste reconnaissance des droits des indigènes  ?

Jérôme Baschet. Il y a au départ, le rejet d’un État corrompu et hostile aux zapatistes. Puis, dans la dynamique de l’expérience, on trouve l’idée de construction d’une autre société, d’une transformation radicale de la société qui ne passe pas par le modèle étatique. L’armée zapatiste était une organisation marxiste-léniniste, guévariste, qui avait la culture de la transformation par l’État. Elle s’est défaite de ces certitudes au contact des indigènes. Les zapatistes en sont arrivés à critiquer la tradition léniniste de construction révolutionnaire à travers l’État, consistant à prendre le pouvoir d’État puis à le changer. Selon eux, il y a un maintien de l’État qui va à l’encontre de la transformation sociale. Dans la pratique, ils formulent la construction d’une autre société hors de ce modèle de l’État, en partant du bas, c’est-à-dire de l’autonomie locale, d’une autre fédération de cette autonomie au niveau régional puis au niveau fédéral.

Pourtant, nombre de gouvernements se réclamant de la gauche ou du combat contre le néolibéralisme en Amérique latine ont fait le pari de cette transformation de la société et de l’État avec des avancées notables.

Jérôme Baschet. Les zapatistes ne veulent pas prendre le pouvoir d’État car ils estiment qu’ils seront pris dans l’État tel qu’il existe, dans la logique du système capitaliste mondialisé. Les États qui ont fait le choix inverse sont d’ailleurs confrontés à ces contradictions.

Depuis 2006, le Mexique est pris dans l’étau de la militarisation et des cartels de la drogue. Le Chiapas échappe-t-il à la spirale de violence  ?

Jérôme Baschet. Le Chiapas est militarisé en raison du conflit avec les zapatistes. Mais le choc frontal entre les forces fédérales et les narcos est moins sensible dans cet État. L’armée zapatiste a soutenu la marche de Javier Sicilia, journaliste et poète, contre les narcotrafiquants et la manière dont les autorités fédérales ont lancé la guerre contre les cartels. Près de 25 000 zapatistes ont participé à un rassemblement d’appui à San Cristobal, où ils ont publiquement rejeté la politique de l’ancien président Felipe Calderon. Cette manifestation prouve également que les zapatistes n’ont pas disparu.

Jérôme Baschet a publié la Rébellion zapatiste. Insurrection indienne et résistance planétaire (Paris, Flammarion, 
col. «  Champs  », 2005) et présenté un recueil de textes du sous-commandant Marcos, Saisons de la digne rage, aux éditions Climats (octobre 2009).

Entretien réalisé par Cathy Ceïbe, L’Humanité

A) 1er janvier 1994 dans l’état du Chiapas au Mexique : Début de l’insurrection zapatiste

Le 1er janvier 1994 marque l’apparition sur la scène politique mexicaine et sur la scène médiatique internationale du mouvement révolutionnaire "zapatiste" [1] des indigènes [2] du Chiapas au cri de « ¡Ya Basta ! ».

L’État du Chiapas se situe à la pointe sud du Mexique, au bord de l’océan pacifique, entre le Guatémala à l’ouest et l’État de Oaxaca à l’est. [3] Le Chiapas possède des ressources naturelles (55% de l’énergie hydroélectrique, 35 % du pétrole, près de 50 % du gaz naturel et 35 % du café du Mexique) ce qui en fait un état riche économiquement. Mais comme c’est souvent le cas, le peuple ne profite que rarement de la redistribution des richesses. En effet, sur le plan social, le Chiapas est l’un des plus pauvres du Mexique : en 2000, près des 2/3 des logements du Chiapas n’avaient ni électricité ni eau courante, 72 % des enfants ne dépassaient pas la première année de scolarisation, et 80 % des Chiapanèques n’étaient pas affiliés à la sécurité sociale (source : wikipedia).

Le 1er janvier 1994 [4], des centaines d’indigènes descendent des montagnes et prennent par les armes quatre villes de l’État puis huit. Mairies et édifices publics sont brièvement occupés, les prisons ouvertes ! Les insurgé.es affichent partout la première Déclaration de la forêt Lacandone [5], et se replient rapidement. Les buts des opérations n’étaient pas en effet la prise de contrôle des institutions du Chiapas, mais de faire la preuve de l’étendue et de l’organisation de la révolte, pour amener le gouvernement à négocier des mesures améliorant la situation des Chiapanèques, en particulier en reconnaissant aux communautés mayas le droit à décider de leur sort et à ne pas être cantonnés dans des "réserves".

L’armée fédérale réplique violemment en faisant quelques jours des centaines de morts et de prisonniers. Les forces insurrectionnelles de l’EZLN [6], avec son célèbre porte-parole : le sous-commandant Marcos, se retirent dans la selva profonde (forêt) pendant que l’armée cerne les zones rebelles et installe des dizaines de campements en différents points de la région pour mater l’insurrection populaire.

Devant la résistance zapatiste, l’État mexicain décrète un cessez-le-feu unilatéral et des négociations s’engagent par l’intermédiaire de Pablo Ruiz, archevêque de San Cristobal de las casas. Négociations qui aboutiront aux accords de San Andrès en 1996.

Malgré les accords signés et le retrait officiel de l’armée en 1996, les exactions des militaires et des paramilitaires, liés aux partis conservateurs ou directement à la solde de grands propriétaires, n’ont jamais cessé (assassinats, enlèvements…) et se poursuivent encore. La lutte aussi continue…


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