AFFAIRES DRAY ET FREDERIC MITTERRAND : LES PRINCIPES C’EST PLUS SIMPLE

mercredi 30 décembre 2009.
 

Donc il n’y avait pas « d’affaire Dray ».

On se souvient comment j’ai rappelé sur ce blog que nous ne sommes ni juge ni policier. Dans une société civilisée, ces fonctions sont dévolues à des organismes spécialisés. Donc nous n’avions pas à spéculer sur ce qui se colportait quant au « fond de l’affaire », c’est-à-dire au sujet des faits que d’aucuns prétendaient voir révélés. La connaissance du « fond de l’affaire » est précisément l’objet de l’action de justice. Je recommandais de s’en tenir à la règle du respect de la présomption d’innocence. Et je la rappelle dans les termes de la déclaration des droits de l’homme : tout accusé est innocent aussi longtemps qu’il n’est pas reconnu coupable.

Au cas concret, Dray n’était même pas accusé. De toute façon dire qui est coupable et qui est innocent résulte de l’action de justice qui, comme vous le savez est rendue « au nom du peuple français ». Si les affaires sont ainsi mieux traitées que par n’importe quel autre procédé est le résultat du long cheminement du droit au droit, enfant des lumières. En face, la horde confuse des braillards, lyncheurs petits et grands, qui de tous temps ont pullulé aux abords des places où l’on a disposé des piloris.

Aujourd’hui la fonction du pilori est accomplie par les médias. Le goût du sang et celui du scandale leur fait placer des chiens d’arrêt qui hurlent à la mort aux premiers effluves d’un parfum indiscret, selon la vieille loi de la rumeur mortelle « il n’y a pas de fumée sans feu ». Ce lamentable système a déjà ses grandes pages de gloires et ses trophées : le martyr des accusés d’Outreau, l’ignominie faite à Dominique Baudis par exemple. Auparavant il y avait eu l’assassinat de Pierre Bérégovoy. Rassurons les amis des lapidations : tout cela est aussi vieux que tous les vices humains et cela durera encore longtemps. Le devoir de l’honnête homme consiste à le savoir et à se refuser d’y participer. Quel dénouement amusant a tout cela !

Dray est donc appellé à retrouver une première place en tête de liste en Essonne. Pauvres socialistes qui jouent si mal au billard à dix bandes ! Car pour finir leur tête de liste régionale, condamné lui en bonne et due forme, bénéficie ainsi de quelqu’un pour l’aider qui aura été expulsé du droit au vote sur la base d’une rumeur et rétabli sur la base d’un accord familial. He oui ! C’est ça la grande blague finale. Julien Dray devient tête de liste des socialistes en Essonne. Mais il n’a jamais été élu par personne à la tête de cette liste qu’il conduit désormais. Trop fort ! Je n’en dis pas davantage car sinon on va suspecter quelque nouvelle alliance secrète entre lui et moi comme cela faillit devenir l’évènement dès l’annonce du classement de son affaire.

SIGNES DE CULPABILITE

J’avais dit la même chose à propos de Frédéric Mitterrand

Pas même inculpé, lui non plus, lapidé sur la base de cinq lignes d’un roman glauque publié quatre ans plus tôt et trainé séance tenante au pilori médiatique avec obligation de dire avec qui il avait couché au cours d’un séjour en Thaïlande et quel âge avait son partenaire. La journaliste hagarde à qui l’on avait confié cette besogne voyeuriste reconnut n’avoir jamais lu le livre incriminé. Une scène à vomir.

Dans l’un et l’autre cas ceux qui se crurent autoriser à poursuivre leurs harcèlements brillèrent spécialement en infamie. D’abord, à propos de Frédéric Mitterrand, ce fut Manuel Valls qui insulta tous ceux qui appelaient à la fin du lynchage par une phrase qui doit rester dans les annales et dont j’assurerai la mémoire autant de fois qu’il faudra jusqu’à ce qu’il la retire. Selon lui, en effet le refus d’accabler Frédéric Mitterrand signalait un « clivage générationnel autour de ce que doivent être la liberté et les règles ». S’agissant d’une accusation de pédophilie on mesure ce que cette formule ostensiblement euphémisante implique ! Selon Manuel Valls donc, les personnes de plus de quarante sept ans (son âge) ont une complaisance pour la pédophilie et le tourisme sexuel que la bienheureuse génération post soixante huit n’aurait pas. C’est beau comme de l’extrême droite !

En ce qui concerne Julien Dray, j’ai trouvé même parmi les commentateurs de mon blog, qui sont pourtant des nuques raides sur les principes, des dérapages nombreux. J’appelle un dérapage quelqu’un qui me dit « vous défendez Dray alors qu’il a un train de vie pareil ! ». J’ai déjà répondu sur le point de savoir ce que je défendais en la circonstance. Mais j’y reviens avec une histoire que j’ai déjà peut-être déjà raconté ici (Manuel vous dira qu’après quarante sept ans on a tendance à se répéter). Elle me vient du passé profond, les années soixante dix, quand un notaire de Bruay en Artois fut accusé d’avoir violé et assassiné une jeune femme de son coin. Pure rumeur. Mais elle vécut bien sa belle vie des semaines durant.

Un jour de ce moment je diffusais des tracts d’étudiants devant l’usine Rhodia de Besançon. En même temps que nous tractaient une variété de maos car il y avait foule en ce temps là à la porte des usines. Sur le sol, ils avaient dessiné des slogans et disposés des panneaux d’explications à propos de l’affaire de Bruay. Evidemment le notaire était coupable à leurs yeux. C’était un bourgeois et la victime une prolétaire. Seuls les aveugles et les ennemis de classe pouvaient ignorer quelle conclusion judiciaire tirer de cette évidence. Parmi les nombreux arguments de cette sorte l’un m’avait frappé. Ils disaient en effet : « la veille du crime il avait mangé un beefsteak de 350 grammes." On comprenait nettement à ce détail que c’était bien un riche que ce notaire. Son aptitude à violer et à tuer était ainsi démontrée.

L’âge, la condition sociale, sont les avatars délicats dans une société ou la couleur de peau et la religion n’autorise pas encore les mises à mort de principe. Ce n’est pas toujours le cas. J’y pense en me souvenant de cette exposition de brutes montrée à Arles cet été. Je dis de brutes parce qu’il n’y avait rien pour prévenir de ce qu’on allait voir. Et rien pour mettre à distance ce qu’on voyait. J’avais fini par trouver tout cela suspect. En fait ce n’est pas davantage qu’une illustration de la banalisation de l’horreur qui est une des normes esthétique les plus actives de notre temps. Là, c’était des photos de lynchage de noirs dans le sud des Etats Unis dont on pouvait se repaitre entre deux cornets glacés et deux expositions sur les cailloux japonais et les effets de lumière. Les malheureux s’y voyaient brulés, pendus, battus à mort au milieu de foules hilares et de gens faisant des signes à l’objectif du photographe pour souligner leur excitation. C’était des noirs que l’on martyrisait en foule et dans la joie dans ce pays de rêve que sont les Etats unis. C’était seulement des noirs, donc évidemment coupables des meurtres et des viols qui se produisaient dans leur voisinage. Les apparences construisent des tyrannies très puissantes. Mais ce jour là, cet été, sous le soleil de la Provence, le spectacle de leur torture n’a pas été considéré comme une offense au droit à la dignité humaine. Ici tout est répugnant, l’exposition, ce qu’elle montre et le fait qu’elle en fasse un spectacle. Le spectacle ne s’arrête jamais, n’est ce pas ?


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