Moulinex  : un parfum de revanche sur l’injustice

mercredi 23 décembre 2009.
 

11,6 millions d’euros, c’est le montant total des indemnités attribuées par la cour d’appel de Caen au titre de l’indemnisation pour « licenciement abusif » et « non-
respect de la procédure » de 594 anciens salariés du groupe d’électroménager.

La salle des fêtes de Ranville, dans la banlieue de Caen, mérite bien son nom. Hier, elle accueillait les quelque 600 – 594 exactement – anciens salariés de Moulinex des sites de Cormelles-le-Royal, Falaise et Bayeux et leurs proches qui avaient, en septembre 2005, saisi le tribunal des prud’hommes afin de demander réparation pour licenciement abusif et non-respect de la procédure du plan social d’octobre 2001 et qui viennent d’obtenir gain de cause.

C’est en effet en tout début d’après-midi que la cour d’appel du tribunal de Caen a rendu public son jugement  : au total l’association de garantie des salaires (AGS), organisme qui supplée les entreprises défaillantes, doit verser à ces anciens salariés 11,6 millions d’euros d’indemnités. La cour d’appel a ainsi confirmé le premier jugement, celui des prud’hommes, en procédant tout de même à certains ajustements. Globalement, elle a ramené les indemnités des requérants dans une fourchette située entre 15 000 et 20 000 euros, baissant les plus élevées et relevant les plus basses. Seule fausse note dans ce jugement, huit des onze responsables syndicaux impliqués dans le procès se sont vu attribuer des indemnités dérisoires autour de 2 300 euros.

« C’est une victoire », se sont exclamés à l’unisson malgré tout les deux anciens dirigeants syndicaux du site de Cormelles, Lionel Muller, responsable CGT, et Jean-Louis Jutan, animateur du Sydis – syndicat de défense des intérêts des salariés, issu d’une scission de la CFDT –, et principaux animateurs de l’association de défense créée par les licenciés de Moulinex, l’Apic-Mx, qui avec le syndicat SUD et une autre association d’anciens de l’entreprise, Actives, de Falaise, a saisi le tribunal.

soldat blessé sur le front du travail

Une victoire de la solidarité et contre l’injustice. Qui pourrait en douter ici  ? Contre l’injustice qui a frappé Jean-Claude, cinquante-sept ans, ancien régleur, trente-deux ans d’ancienneté chez Moulinex et qui a failli y laisser sa vie. Il est dans la salle, avec son air triste, sa moustache en berne, sa silhouette fragile, soldat blessé sur le front du travail. Il souffre d’une grave insuffisance respiratoire. Pendant des années, il a travaillé dans le secteur des fours à micro-ondes et respiré les poussières de béryllium, métal toxique utilisé sans précaution par l’entreprise. « Cela n’a été reconnu comme maladie professionnelle qu’en 2004 », confie-t-il. Il perçoit pour cela une rente de 220 euros par mois. « Pas chère payée, la “négligence” patronale  ! » dira l’un de ses anciens collègues.

Les anciens de Moulinex ont aujourd’hui pour la plupart cinquante-six, cinquante-huit, soixante-deux ans, vivent avec de petites rentes, de petites allocations, de petites retraites et souvent de grosses douleurs, physiques et morales. Les deux tiers d’entre eux n’ont jamais retrouvé de travail. Un paradoxe les accable cependant. Il est terrible à formuler ce paradoxe, mais Josette, une ouvrière de cinquante-six ans, trente-trois ans d’usine, le dit quand même  : « L’amiante nous a sauvés », lâche-t-elle. Et quand elle dit cela, l’on fait silence autour d’elle. On approuve et en même temps, l’on pense aux quatre camarades de Cormelles tués par le terrible produit.

le salaire de la souffrance

Nombre d’anciens Moulinex se sont retrouvés au bout de quelques années avec des allocations dérisoires et n’ont pu sortir la tête de l’eau que grâce à l’allocation amiante. Les sites de production de Moulinex ont été homologués « amiantés » à partir de mai 2002, des démarches ayant été entreprises précédemment par la CGT de l’usine de Mayenne en 1999 et validées en mars 2001. Cela a établi une jurisprudence dont les salariés des autres sites ont bénéficié. Josette, qui touchait 880 euros d’allocation équivalent retraite, perçoit depuis mars 2007 1 026 euros d’allocation amiante. C’est le salaire de la souffrance, d’une souffrance collective.

Victorieuse, la solidarité  ? Claire, cinquante-six ans, qui se définit elle-même comme une battante, n’en a aucun doute. « Ce qui m’a aidé à tenir, dit-elle, c’est l’association (l’Apic-Mx). Avec elle, l’on a pu se rendre service les uns les autres, connaître nos droits et au fur et à mesure, on est devenus plus forts. » Son voisin, Guy, soixante-deux ans, ancien électricien, renchérit  : « Pour beaucoup, l’association représentait la seule possibilité d’avoir des rapports humains. »

Mais la justice n’en a pas fini avec Moulinex. Parallèlement à ce jugement, une autre procédure judiciaire est en cours, au pénal cette fois-ci. À la suite de la plainte déposée en 2003 par la CGT Moulinex et le Sydis, une enquête est conduite par le parquet de Nanterre. Elle a abouti à la mise en examen d’anciens dirigeants du groupe, notamment des deux anciens PDG. Au fait, les 350 Moulinex adhérents de l’Apic ont décidé de verser une partie de leur indemnité aux militants syndicaux lésés. C’est la victoire de la solidarité, vous dit-on.

Pierre Ivorra


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