La semaine du climat (par Denis Sieffert, Politis)

vendredi 18 décembre 2009.
 

Le moins que l’on puisse dire, c’est que par son enjeu – l’avenir de la planète – et par sa dimension – 192 pays réunis dans une même enceinte, mais aussi des milliers de militants de la société civile –, le sommet de Copenhague sur le climat a une forte légitimité à occuper la une de nos journaux. Il y a cependant toujours quelque chose de troublant quand un événement vampirise tout. Et quand nous autres, journalistes, sommes priés de revêtir l’uniforme. Un seul sujet, une seule information. Symbole de cette mondialisation forcenée, l’étrange idée d’un éditorial unique (traduit de l’anglais, nous dit-on incidemment), publié le même jour par cinquante-six journaux de quarante-quatre pays. Les mots et les arguments ont été pesés et choisis à notre place par on ne sait quelle plume anonyme. C’est elle qui nous dit l’ampleur de la menace et nous enjoint d’unir nos efforts « pour prendre des mesures décisives », faute de quoi « le changement climatique va ravager notre planète et, ce faisant, perturber fortement notre prospérité et notre sécurité ».

Sans abuser de la sémantique, gageons que le vocabulaire est nettement d’inspiration « nordiste ». Qui donc, dans ce bas monde, est réputé « prospère » ? Résumons-nous. La planète sera « ravagée » – on imagine immédiatement un paysage d’après tsunami, englouti, submergé. Quelque chose comme la Route de Cormac McCarthy. Voilà pour le Sud. Quant à nous, pas de panique ! Tout au plus, notre « prospérité » s’en trouvera-t-elle « perturbée ». Tout comme notre « sécurité » – un mot qui renverrait presque à d’autres débats, franco-français, et que l’on ne s’attendait guère à trouver ici. Même cette « justice sociale » que le Nord doit au Sud est évoquée en des termes un rien caricaturaux.

Le « monde industrialisé », nous dit-on, va devoir « racler » « ses fonds de poche » pour aider les pays les plus pauvres à s’adapter au changement climatique. Pauvre monde industrialisé ! Ce qui n’incite guère à la solidarité, et semble oublier les pauvres du Nord, de plus en plus pauvres. Le tonitruant cri d’alarme de nos régions s’époumone et s’essouffle en consensus mou. C’est d’autant plus fâcheux que Copenhague, selon nous, pose surtout une question sociale et politique. Le problème scientifique semble, lui, résolu. On entend bien ici ou là les derniers coups de feu de snipers isolés qui tentent de nous expliquer que l’activité humaine n’est pas la cause principale du réchauffement climatique. Mais, pour ceux-là, la bataille est perdue. On regrettera Claude Allègre, qui a l’art de faire rapidement adhérer son auditoire à la thèse qu’il combat. Plus finauds, quelques-uns de ses substituts parviennent encore à insinuer le doute dans les esprits. Mais, à la différence de leur illustre maître en désinformation, ils admettent qu’une cure de « sobriété » et un peu moins d’émissions de CO2, de toute façon, ne peuvent pas faire de mal. Ce qui affaiblit leur argumentaire. Quant bien même subsisterait-il un doute, un raisonnement de simple logique, du type « pari de Pascal », devrait inciter les États à suivre les recommandations des scientifiques du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), que Pierre Radanne rappelle dans ce journal.

Si le doute scientifique n’est plus guère permis, quelles seront les pierres d’achoppement à Copenhague ? En gros, c’est la crainte des États de devoir affronter leurs opinions publiques qui subiraient le double contrecoup de contraintes individuelles et de restructurations industrielles massives. Leur crainte est d’autant plus compréhensible qu’ils exigeraient des restrictions, des comportements moins aveuglément consuméristes, sans rien changer à l’ordre social, sinon dans le sens d’une aggravation. Comment convaincre de renoncer à la bagnole alors que l’on ferme des gares et renchérit les tarifs SNCF ? Que l’on éloigne les postes et les hôpitaux, et parfois les écoles, de certaines agglomérations rurales ? Bref, le sommet de Copenhague pose d’énormes questions politiques.

Les objectifs définis par les scientifiques pour limiter le réchauffement climatique heurtent la logique même des politiques libérales qui prévalent en Europe. Si la réalité des déséquilibres sociaux n’est pas absente du sommet, elle se présente sous la forme quasi exclusive d’une aide de 140 à 300 milliards (selon les chiffrages) d’euros des pays du Nord vers les pays en développement. Mais où donc iront ces sommes ? Il n’y aura pas de solution au problème climatique sans une remise en cause de l’ordre social actuel. Beaucoup d’écologistes font le pari que l’impératif climatique constituera un aiguillon pour ces changements. On peut émettre des doutes sur la validité de ce raisonnement. Mais, là encore, les incertitudes ne doivent pas justifier l’inaction. Redoutons seulement le scénario d’un succès en trompe-l’œil, qui ne serait pas suivi d’effets. C’est aussi la crainte que nous inspire le tapage médiatique. L’oubli après l’engouement. C’est la contrepartie ordinaire des roulements de tambour, genre « un seul éditorial », journée de la pensée unique. Le risque, c’est une « semaine du climat », une fois l’an.


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