Les musulmans européens, pris pour cible dans toute l’Europe, font couler beaucoup d’encre et de fiel

lundi 7 décembre 2009.
 

Laila Lalami, l’auteur de l’article "The New Inquisition", paru le 24 nov. 2009 sur le site de "The Nation", analyse les clichés et contre-vérités véhiculés sur les musulmans installés en Europe, en particulier à travers un livre publié en juillet dernier, "Reflections on the Revolution in Europe" écrit par Christopher Caldwell, journaliste américain.

La Nouvelle Inquisition

Lors d’une fête du livre à New-York, il y a quelques années, j’ai été présentée à un auteur français qui pratiquement tout de suite après les politesses d’usage m’a demandé de quelle origine j’étais. Quand j’ai dit "du Maroc", il a posé son verre et m’a regardée fixement, avec la curiosité d’un anthropologue.

Nous avons discuté de littérature, bien sûr, et nous nous sommes découvert une passion commune pour les œuvres de l’écrivain sud-africain, J.M. Coetzee, mais assez rapidement, la conversation a roulé sur les écrivains marocains, puis les écrivains marocains en France, et pour finir, comme je m’en doutais, les immigrés marocains en France – et c’est là que l’écrivain français m’a dit : "s’ils étaient tous comme vous, il n’y aurait pas de problèmes".

Le ton de sa voix impliquait que c’était pour lui un compliment, même si je trouvais curieux qu’il veuille que le million de Marocains en France soit la copie conforme de quelqu’un dont il venait de faire la connaissance et dont il n’aurait pas trouvé l’opinion sur l’immigration – s’il avait seulement cherché à savoir – tout à fait à son goût.

Ce n’est que plus tard, de retour dans ma chambre d’hôtel, qu’il m’est venu à l’esprit que le profil de l’immigré marocain non problématique qu’il avait sans doute en tête était seulement basé sur des caractéristiques visibles. Certaines d’entre elles comme la couleur de la peau, étaient purement accidentelles ; d’autres, comme les choix vestimentaires ou les pratiques alimentaires, qui étaient pour moi accessoires, impliquaient, peut-être, dans son esprit, un degré moindre de "musulmanitude". Cet homme suggérait-il que j’étais une immigrée bien plus acceptable parce que je n’avais pas l’air musulmane ? Nous avions débuté la conversation sur un pied d’égalité, comme deux amis potentiels, deux écrivains qui discouraient littérature, mais elle s’était terminée entre un juge et une accusée – le premier décrétant que l’autre ferait une immigrée acceptable.

Et pourquoi diable n’avais-je rien dit sur le moment ? Pourquoi n’avais-je pas demandé ce qu’il voulait dire ? Au lieu de cela, j’avais dû lui lancer un regard perplexe et étonné et j’avais changé de sujet. Peut-être que si je l’avais affronté directement, j’aurais pu extirper l’aiguillon de l’insulte qu’il avait planté en plein dans son compliment.

En tous cas, l’affirmation de cet homme n’était que de la spéculation théorique. En pratique, il n’est pas évident que même les musulmans peu visibles soient totalement acceptés en France, ou ailleurs en Europe. Cela s’était avéré parfaitement clair quand Le Monde avait publié en septembre dernier une vidéo où Brice Hortefeux, le ministre de l’intérieur français, rencontrait Amine Benalia-Brouch, un jeune militant français d’origine algérienne.

Hortefeux et Benalia-Brouch, qui participaient tous deux à l’université d’été de l’UMP, étaient sollicités pour poser ensemble pour une photo. Une femme présente alors, tapotait la joue de Benalia-Brouch et d’une voix qui indiquait clairement sa satisfaction, avait dit : "Il est catholique. Il mange du porc et boit de la bière". Cest exact", avait répondu Benalia-Brouch en souriant. "C’est notre petit Arabe" poursuivait la femme.

Hortefeux ajoutait : "très bien. Il en faut un. Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes’’".

Si insultantes que soient les déclarations d’Hortefeux, elles ne sont pas rares. En politique française, les prises de positions anti-immigrés sont comme un rite, qui revient souvent en période d’élections.

Alors qu’il était encore maire de Paris, et qu’il allait se porter candidat pour les présidentielles sous l’étiquette UMP, Jacques Chirac plaignait le sort du ""travailleur français" que rendaient fou "le bruit et l’odeur" de ses voisins de palier, des immigrés "avec un père de famille, trois ou quatre épouses, une vingtaine d’enfants, qui encaissent 50.000 fr de prestations sociales, sans travailler".

A la fin de son mandat présidentiel, Valéry Giscard d’Estaing expliquait dans les pages du Figaro Magazine que les lois sur la citoyenneté devaient remplacer le "droit du sol" (’jus soli" - citoyenneté automatique pour tous ceux nés sur le sol français) par le droit du sang" ("jus sanguinis"- citoyenneté déterminée par la nationalité des parents). Si on ne faisait pas cette distinction, avertissait-il, la France allait se retrouver face à une "invasion".

Si le droit du sang avait été appliqué, et selon l’interprétation qui en aurait été faite, la nationalité française aurait été refusée à l’écrivain Alexandre Dumas, au footballeur Michel Platini, à l’actrice Isabelle Adjani, la physicienne Marie Curie, au compositeur Maurice Ravel, au chanteur Charles Aznavour, ainsi qu’à Nicolas Sarkozy, l’actuel président français, mais peut-être bien que Giscard d’Estaing pensait que la France pouvait se passer de tous ceux-là (euh … d’un de ceux-là, oui ! NDT).

En 2002, Manuel Valls, maire d’Evry et membre du Parti Socialiste, était brusquement propulsé sur le devant de la scène quand il avait cherché à faire fermer un supermarché halal parce qu’ils ne vendaient ni porc, ni vin. Il affirmait que le magasin "devait contribuer à préserver la diversité". Deux ans avant son élection aux présidentielles, Sarkozy avait promis de "nettoyer au karcher" la "racaille" des banlieues parisiennes, où habitent de nombreux musulmans. Des déclarations de ce genre débordent le clivage des partis et constituent ce que la presse française appelle des "dérapages", ou des gaffes.

Les réactions à ces dérapages sont également une sorte de rite. Les membres du parti politique de l’auteur de ces injures font corps avec lui, alors que l’opposition l’accuse de racisme.

Pendant ce temps, les dirigeants des partis d’extrême droite jubilent, disant que – enfin ! – les partis traditionnels conviennent de ce qu’ils répètent depuis des années. Après les déclarations notoires de Chirac sur "le bruit et l’odeur", par ex, Jean-Marie Le Pen, le dirigeant ouvertement raciste et antisémite du FN, se plaisait à répéter que les Français "préfèreraient toujours l’original à la copie".

Et donc, il semblerait que l’immigré musulman idéal en France, ce serait quelqu’un qui ferait le ménage, ramasserait les poubelles, s’occuperait des enfants, ou, comme c’est de plus en plus le cas, réparerait les ordinateurs, soignerait les malades et dirigerait la banque, puis disparaîtrait dans un nuage de fumée, avant que sa présence, ses convictions, ses coutumes, sa façon de s’habiller, son "bruit et ses odeurs" n’agressent les sensibilités de la population.

La France n’est pas la seule à vouloir que ses musulmans soient invisibles. Comme tous ceux qui ont voyagé en Europe ces dernières années vous le diront, la "question des musulmans" est un problème grave. Les musulmans d’Europe ont, sans le vouloir, relancé un genre littéraire ancien – le pamphlet alarmiste, censé révéler des vérités "pénibles" mais "nécessaires" sur la disparition imminente de l’Europe maintenant qu’elle avait permis à des millions de musulmans de s’installer sur ses rivages.

Les titres sont tous plus alarmants les uns que les autres : La rage et l’orgueil, d’Oriana Fallaci (2002) ; Eurabia : l’Axe euro-arabe, de Bat Ye’Or (2005) ; Londonistan, de Melanie Phillips (2006) ; Menace in Europe : Why the Continent’s Crisis Is America’s Too (Menace en Europe : pourquoi la crise sur le continent européen est également celle de l’Amérique), de Claire Berlinski (2006) ; Et "While Europe Slept : How Radical Islam Is Destroying the West From Within" ("pendant que l’Europe dormait : comment l’islam radical détruit l’occident de l’intérieur"), de Bruce Bawer (2006).

Les auteurs s’appuient en grande partie sur des articles de journaux à sensation, les arguments sont simples, ou, plus exactement, simplistes, et la méthode favorite de déduction, c’est l’extrapolation.

La dernière parution du genre est "Reflections on the Revolution in Europe : Immigration, Islam, and the West" (Réflexions sur la révolution en Europe : l’immigration, l’islam et l’occident) de Christopher Caldwell, rédacteur en chef du Weekly Standard, et qui publie également régulièrement des articles dans le Financial Times, le New York Times Magazine et bien d’autres.

Cependant, de même que Chirac et Sarkozy préfèrent prendre des gants pour dire ce que Le Pen dit franchement, Caldwell exprime dans une langue polie et enjolivée ce que Bawer et d’autres disent de façon agressive depuis des années. L’Europe est aujourd’hui envahie par les immigrés musulmans ; ces immigrés ne montrent aucune envie de s’assimiler à la culture et aux coutumes européennes ; et donc, l’Europe risque fort de devenir un avant-poste de l’empire islamique. D’après Caldwell, les "élites politiques et commerciales" européennes ont invité les immigrés à venir travailler sur le continent européen afin qu’ils contribuent à reconstruire les infrastructures qui avaient été détruites au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Ces immigrés, pensaient-elles, combleraient les offres d’emplois dans le bâtiment et, les vagues suivantes prendraient les emplois dont les "autochtones européens" ne voulaient pas parce qu’ils étaient trop subalternes et trop mal payés. Les immigrés ont redynamisé des industries comme le secteur automobile dans les années 50, et, dans les années soixante, ils étaient là pour revitaliser celles, comme l’industrie du textile, qui périclitaient. La désindustrialisation, alliée à la crise du pétrole de 1973, ont entrainé la fermeture des usines et des pertes de milliers d’emplois. A cette époque, les immigrés s’étaient déjà établis en Europe pour une durée indéterminée, ils s’étaient mariés ou étaient revenus avec leurs femmes et avaient fondé une famille.

"Au cours des décennies", écrit Caldwell, "les populations d’Europe occidentale avaient, selon les sondages d’opinion, toujours exprimé leur opposition farouche à une immigration massive. Mais, cela, ce n’est que le début de notre histoire, pas sa conclusion".

Cette histoire, telle que la raconte Caldwell, s’intéresse essentiellement aux musulmans d’Europe.

L’intrigue concerne la séparation physique d’un nombre croissant d’immigrés originaires du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, de Turquie, du Pakistan, du Bangladesh et d’Inde installés dans des banlieues, les taux élevés de criminalité et d’incarcération ; les coutumes misogynes, les affrontements antisémites et les conflits culturels avec le pays d’accueil des populations autochtones.

Le moment crucial de son histoire, c’est quand il parle des "demandes instantes" de la part de la minorité musulmane de concessions vis-à-vis de leur religion, leurs lois et leurs coutumes.

Ce sont les élites européennes qui ont la haine d’elles mêmes, se sont entichées de l’idée d’une société multiculturelle et qui ferment les yeux sur tout ce qui est négatif parce qu’elles pensent qu’il leur faut expier les siècles de colonialisme.

Toutefois, affirme Caldwell, "l’immigration n’améliore ni ne valorise la culture européenne : elle la supplante".

Les musulmans d’Europe, s’alarme-t-il, ont un taux de natalité bien supérieur à celui des autochtones laïques.

En 2005, il y avait environ 5 millions de musulmans en France ; 3 millions en Allemagne ; 1,6 million en Grande Bretagne ; 1 million en Espagne, et moins d’1 million aux Pays-Bas et en Italie. En tout, les musulmans représentent environ 5% de la population totale de l’Europe occidentale ; mais c’est probablement 5% de trop, parce que, d’après Caldwell, "si on ne s’appuie plus sur le postulat que les Européens sont cupides et exploiteurs par nature, et que les Africains, les Asiatiques et d’autres qui désirent immigrer, sont leurs victimes, alors la différence fondamentale entre la colonisation et la migration économique cesse d’être évidente".

La comparaison entre les migrations économiques de ces 50 dernières années et la colonisation (dont l’exemple le plus mémorable du passé récent est le colonialisme européen en Afrique et en Asie) oublie des détails comme les invasions par des troupes armées ; l’expropriation systématique des populations de leurs terres, l’exploitation des ressources naturelles pour le seul profit des colons ; les génocides, comme cela s’est produit pour environ 10 millions de Congolais ; les guerres d’indépendance qui ont coûté la vie à des millions de personnes ; et l’installation de dictatures cruelles.

De façon incroyable, Caldwell persiste à dire que l’immigration d’individus, chacun agissant pour son propre compte, pour des raisons économiques ou politiques et non pas poussé par une politique supranationale collective ou par quelque mission religieuse, n’est rien de moins qu’une colonisation. Pour revenir au récit de Caldwell, les musulmans d’Europe – et naturellement les élites qui leur facilitent la tâche – sont à l’origine d’une catastrophe nationale dans tous les grands pays européens : l’attentat du métro à Londres ; les attentats à Madrid ; les émeutes à Paris ; l’assassinat de Theo van Gogh aux Pays-Bas et l’affaire des caricatures de Mahomet au Danemark. Il termine par une note pessimiste sur les chances de l’Europe de gagner cette lutte existentielle pour sa survie culturelle.

"L’Europe se retrouve en compétition avec l’islam pour s’assurer la loyauté de ses nouveaux arrivants", écrit-il. "Pour le moment, c’est l’islam qui gagne cette compétition, d’abord, évidemment, sur le terrain de la démographie et, de façon moins palpable, sur le terrain philosophique. En de telles circonstances, des termes comme "majorité" et "minorité" ne veulent pas dire grand chose. Quand une culture fragile, malléable, relativiste doit affronter une culture bien ancrée, sûre d’elle, et renforcée par une idéologie commune, c’est en général la première qui s’adapte à la seconde".

Le postulat ici c’est que la culture européenne était un concept rigide qui est resté inchangé jusqu’à ce que les immigrés arrivent. Mais les cultures ne sont pas statiques : elles évoluent tout le temps. Evidemment que la culture européenne va se transformer à la suite des changements démographiques, mais ce changement n’a pas besoin (et certes, ne doit pas) devenir une guerre culturelle entre l’islam et l’occident. La conclusion de Caldwell est également contradictoire, arrivant au bout de 300 pages où il a prétendu le contraire, à savoir que les musulmans sont arriérés, qu’ils ne travaillent pas, que ce sont des délinquants, et jusqu’à récemment, qu’ils ne s’intéressaient pas à la politique. Et au moment où il termine son livre, ils s’avèrent, soudain, de façon inexplicable, suffisamment armés pour "conquérir" l’Europe.

"Reflections on the Revolution in Europe" est le genre de livre qui confortera l’opinion de tous ceux qui sont d’accord avec son auteur. Si vous pensez que l’établissement de ce qu’on appelle aujourd’hui "Eurabia", n’est qu’une question de temps, vous y trouverez un tas de documentation dans les nombreuses statistiques et articles anecdotiques que Caldwell a sélectionnés dans la presse écrite.

Si, en revanche, vous préférez une analyse plus complexe et mieux raisonnée de ces questions, les simplifications, les contradictions et les erreurs que contiennent le livre ne vous convaincront pas. Caldwell reprend à son compte le bobard largement démenti selon lequel les attentats du 11 septembre ont été célébrés dans tout le monde musulman : "c’était un jour de liesse dans la plupart du monde musulman, y compris dans certains quartiers musulmans en Europe". il y a eu, au contraire, des manifestations de solidarité avec les familles des victimes dans presque toutes les grandes capitales des pays musulmans, de Rabat au Caire, en passant par Téhéran.

Ce qui est vrai, en revanche, c’est que, quand les US ont envahi l’Irak, après avoir prétendu qu’il détenait des armes de destruction massive et que Saddam Hussein avait contribué au complot pour les attentats du 11 sept., les bombardements ont été salués aux Etats-Unis par des gens qui scandaient : "U-S-A !".

Ce qui ne veut pas dire que les Américains étaient en majorité d’accord avec le massacre de centaines de milliers de civils. Simplifier les faits est pratique pour Caldwell, cependant, car cela contribue à accréditer la thèse selon laquelle l’islam serait engagé dans un conflit de civilisations inévitable et perpétuel avec l’occident.

Bien qu’une grande partie des immigrés en Europe ne soient pas musulmans, et bien que le continent européen ait dû affronter des crises sociales, économiques et politiques graves à diverses périodes au cours des cinquante dernières années, ce sont les musulmans qui sont accusés de la hausse de la criminalité, des violences contre les femmes, de la résurgence de l’antisémitisme et du terrorisme interne.

Ainsi, Caldwell, en examinant les taux d’incarcération en Europe, fait le constat qu’ils sont proportionnellement plus élevés pour les musulmans et attribue cela à leur religion et leur culture, dont ni l’une ni l’autre, selon lui, ne leur fournit les instruments nécessaires pour réussir en occident. Ce qui manque dans cette évaluation inquiétante, c’est le fait que les musulmans sont plus susceptibles que les non-musulmans d’être poursuivis pour des délits mineurs.

En France, où les juges et les procureurs ont un pouvoir discrétionnaire plus important, les immigrés sont nettement plus susceptibles d’être placés en détention préventive.

Devah Pager, sociologue, qui enseigne à Princeton, a également constaté une importante corrélation entre les mesures de prévention de la criminalité dans les juridictions locales et l’hétérogénéité ethnique de ces juridictions. En clair, cela signifie que la criminalité n’est pas traitée de la même manière par la police pour tous.

Des chercheurs de l’université d’ Utrecht aux Pays-Bas ont constaté le même phénomène. Ils ont publié récemment les conclusions d’une enquête qui montre que les Marocains sont incarcérés pour des crimes moins graves que d’autres commis par les citoyens hollandais.

Jamais la question de la criminalité dans les quartiers musulmans n’a été débattue aussi âprement qu’à l’automne 2005, où les banlieues parisiennes se sont enflammées et où les émeutes ont duré 3 semaines, amenant le président de l’époque, Jacques Chirac, à déclarer l’état d’urgence.

Les émeutes avaient été déclenchées par la mort de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, qui pour échapper à un contrôle de police, s’étaient réfugiés dans un transformateur EDF, où ils sont morts électrocutés.

Au départ, Sarkozy, à l’époque ministre de l’intérieur de Chirac, avait prétendu que les deux garçons étaient soupçonnés de vol, mais il n’y avait aucune preuve tangible qu’ils avaient commis un délit – ils venaient de jouer au foot quand ils ont vu les policiers et ils ont fui pour éviter les tracasseries de l’interpellation par la police.

Dans les interviews qu’ils ont données après les émeutes, les habitants des quartiers ont souvent décrit la mort des deux garçons comme l’étincelle qui avait mis le feu aux poudres, mais disaient que ce qui alimentait leur colère c’était la discrimination, l’exclusion et le chômage. Ces quartiers sont des ghettos et comme l’a écrit James Baldwin : "démolir quelque chose, c’est un besoin chronique du ghetto".

Même si Pascal Mailhos, directeur des RG avait affirmé catégoriquement que les convictions religieuses ne jouent aucun rôle dans les émeutes, plusieurs responsables politiques avaient accusé l’islam de façon persistante et exclusive.

C’est ce que fait Caldwell : "même si ces gens ne croyaient pas en l’islam, ils croyaient en l’islam collectif" ("Team Islam"). Ce qu’il veut dire ici, je suppose, c’est que les musulmans agissent collectivement même quand ils prétendent le contraire.

Caldwell sous-entend également que les musulmans sont bien plus susceptibles de faire subir des violences aux femmes. Dans le chapitre "la virginité et la violence", il écrit : "il y a eu 45 crimes d’honneur en Allemagne seulement dans la première partie de la décennie".

Dans la mesure où il avance que les musulmans sont plus enclins à assassiner des femmes en s’appuyant sur l’idée que "certains violent la propriété sexuelle", il aurait été utile que Caldwell fasse le parallèle avec les chiffres concernant les Allemandes mortes à la suite de violences domestiques, ainsi que ceux de groupes de nouveaux immigrés complètement distincts , comme, par exemple, les Européens de l’est. Sans de telles comparaisons, il est difficile de comprendre comment il peut en arriver à déduire que : "de tels actes font loi. Ils annexent une partie du territoire européen pour y instaurer des lois différentes concernant les femmes".

L’appellation "crime d’honneur" fait passer la violence contre les femmes et les jeunes filles pour un produit d’importation exotique, et occulte la réalité sordide et bien trop fréquente des violences faites aux femmes. Caldwell ne mentionne pas que la violence domestique est considérée comme un crime en Europe depuis les actions des mouvements féministes en Europe dans les années 60 et 70 et qu’aujourd’hui, les féministes musulmanes d’Europe agissent pour qu’il n’y ait aucune tolérance vis-à-vis des crimes d’honneur, également.

De façon encourageante, une enquête Gallup montre que les musulmans à Paris, Berlin et Londres étaient contre les crimes d’honneur et les crimes passionnels pratiquement dans les mêmes proportions que les populations française, allemande et britannique.

Un des arguments fréquents de Caldwell est que les Européens devraient s’inquiéter de l’islamisation du continent européen parce que les femmes musulmanes sont beaucoup plus fécondes que les non-musulmanes. Pour prouver ses dires, il s’appuie sur un document de travail du Vienna Institute of Demography.

Mais des études récentes montrent que les taux de fécondité des musulmanes en Europe baissent considérablement aujourd’hui. Par exemple, le taux de fertilité aux Pays-Bas des femmes d’origine marocaine est passé de 4,9 à 2,9 entre 1990 et 2005. Les femmes d’origine turque avaient en moyenne en 1990 3,2 enfants et 1,9 en 2005. Des tendances similaires ont été observées en France et en Allemagne. Martin Walker, universitaire au Woodrow Wilson Center, souligne : "en gros, le taux de natalité chez les immigrées tend à augmenter ou à baisser selon la norme locale en l’espace de deux générations". En outre, le Financial Times pour qui Caldwell écrit des billets d’humeur, publiait récemment un article qui va à l’encontre de toutes les affirmations alarmistes sur le taux de natalité de la population musulmane, en concluant, "en résumé, l’islamisation – et a fortiori la charia – n’est pas une perspective envisageable grâce à une poussée démographique en Europe". Le problème fondamental que pose "Reflections on the Revolution in Europe", c’est que Caldwell s’intéresse exclusivement aux problèmes que pose la communauté musulmane sans prendre de recul pour juger du statut général de la communauté musulmane en Europe. Alors qu’il dénonce fréquemment l’oisiveté, l’isolement urbain et la criminalité chez les musulmans, il ne juge pas utile de parler de la discrimination qu’ils subissent à l’embauche, pour trouver un logement ou dans le système pénal, ni des succès qu’ils ont remportés dans des domaines comme les sciences, le sport, les beaux arts et le divertissement. Les Français ont un terme pour qualifier cette vague de jeunes musulmans qui ont réussi : ils l’appellent "la beurgeoisie".

Cette faille dans l’approche de Caldwell est, hélas, totalement délibérée. "Reflections", écrit-il dans son introduction, "est un livre sur l’Europe, l’immigration et la place qu’y tiennent l’Islam et les musulmans, ce n’est pas un livre sur les difficultés que rencontrent les musulmans et les minorités ethniques".

Il souligne qu’il utilisera le terme "autochtone" pour parler de ceux qui ont du sang européen et d’"immigrés" pour ceux dont l’origine est autre qu’européenne, même s’ils sont citoyens de pays européens depuis deux ou trois générations.

Mais en simplifiant la terminologie et en ne s’intéressant exclusivement qu’aux problèmes que posent les immigrés, et non pas à ceux qu’ils rencontrent, Caldwell fait toujours pencher la balance d’un seul côté : il ne présente pas une vue globale des relations entre les immigrés et les autochtones.

Dans les rares occasions (j’en ai compté deux) où il parle effectivement de discrimination, c’est pour la minimiser : "il y a, certes, une discrimination importante sur les marchés de l’immobilier et de l’emploi, mais elle est minime par rapport à celle que pourraient avoir subie certains aux US il y a quatre décennies".

Comme c’est facile d’ignorer la discrimination quand on n’en est pas la cible. Pourtant, les chiffres concernant la discrimination à l’embauche échappent à la minimisation : alors que 27% des jeunes d’origine nord-africaine qui ont un diplôme universitaire ne trouvent pas de travail en France, le taux global de chômage des diplômés n’est que de 5%.

En réalité, le manque de contexte reflète la façon dont les immigrés musulmans (même ceux de la deuxième et troisième générations, ou ceux qui ne sont musulmans que par le nom seulement) sont traités dans la presse écrite et audiovisuelle : leur religion est au centre de tout débat, comme si le seul élément qui détermine leur convictions politiques, leur relation avec les voisins, avec des personnes d’autres religions ou avec des membres du sexe opposé, c’était leur capacité à faire la différence entre les "nisabs" (revenu brut) et les khums ( taxe).

La théorie selon laquelle l’islam seul serait responsable de la prétendue incapacité des musulmans à s’intégrer en Europe est bien trop simpliste pour résister à l’épreuve de la réalité. En fait, c’est tout aussi simpliste que l’argument défendu par l’extrême droite musulmane, qui est que l’islam est le seul remède à tout ce qui affecte les musulmans. Quand on observe les musulmans sur un autre continent (l’Amérique, par ex), le modèle dont Caldwell persiste à dire qu’on en retrouve la réplique sur tout le continent européen (la ghettoïsation, la criminalité, la violence envers les femmes, la résurgence de l’antisémitisme, le terrorisme interne et les exigences pour le logement) n’a pas cours.

En réalité, les niveaux de revenus et d’instruction des musulmans aux Etats-Unis reflètent ceux de l’ensemble de la population. Mais, à part deux paragraphes, qui arrivent dix pages avant la fin du livre, Caldwell évite ce parallèle, sans doute parce qu’il ne colle pas avec ce qu’il veut démontrer. Caldwell, certes, fait le parallèle entre l’immigration des musulmans en Europe et l’immigration des latino-américains aux US, affirmant :

"Les particularités culturelles des immigrés latino-américains sont en général des versions archaïques de celle des US-américains. Les latinos ont moins d’argent, participent davantage à la population active, ont des structures familiales plus rigides, des taux de divorce moins élevés, vont davantage à l’église … ont des habitudes alimentaires plus mauvaises et s’engagent davantage dans l’armée que les citoyens US-américains.

Cela rend la culture latino parfaitement compréhensible à tout Américain patient qui a déjà parlé du passé avec ses parents.

Mais l’intelligibilité n’a pas empêché Glenn Beck d’affirmer que les immigrés "essaient de dominer notre culture", ou Lou Dobbs de laisser entendre que l"i’nvasion des immigrés clandestins’" est responsable d’une augmentation énorme (sans aucun fondement scientifique) de cas de lèpre aux Etats-Unis.

L’universitaire Anouar Majid cite de nombreuses similarités entre le traitement des immigrés latinos aux US et les immigrés musulmans en Europe dans son livre " We Are All Moors" ("Nous sommes tous Maures"). Comble d’ironie, Caldwell se comporte comme un nouveau converti : ayant trouvé un dogme qui lui convient, il ne cherche que ce qui va justifier ses convictions et ignore tout le reste.

Le jugement de Caldwell sur l’Europe, comme son jugement sur les musulmans en Europe, laisse, évidemment, peu de place à la nuance et à la complexité. Il décrit le continent comme un lieu homogène politiquement, racialement et culturellement, et décrit les autochtones comme des gens extrêmement tolérants, respectueux des droits de l’homme et essentiellement laïques.

Selon lui, les Européens pensaient naïvement que les travailleurs musulmans qui sont arrivés à la fin de la Seconde Guerre Mondiale retourneraient chez eux. Ils avaient accueilli favorablement les immigrés, mettant en sourdine leurs préoccupations de peur d’être traités de racistes. Caldwell fait apparaître tout le processus d’immigration comme une énorme supercherie que des musulmans sournois auraient commise à l’encontre des Européens innocents.

Les Européens de souche, écrit-il, n’ont plus osé, par crainte ou de peur de blesser, exprimer publiquement leur opposition à l’immigration". Mais dans la réalité, les Européens, en particulier ceux d’extrême-droite, n’ont jamais éprouvé de scrupules à exprimer leur opposition à l’immigration. La haine de l’immigré est aussi ancienne que l’immigration elle-même, et l’Europe ne fait pas exception à la règle. Depuis ces dernières décennies, la politique de l’immigration revient constamment dans les programmes électoraux de plusieurs pays européens, dont la France, l’Italie et l’Espagne.

Pourtant l’Européen décrit dans "Reflections" a honte de son pays et est incapable de tenir tête aux immigrés.

Caldwell écrit, de façon plutôt grotesque, "chanter l’hymne national et brandir le drapeau, c’est devenu, dans certains pays, l’apanage des skinheads et des hooligans".

Ailleurs, affirme-t-il, les Européens de souche se sont tellement entichés de l’idée du multiculturalisme qu’ils "en savent plus sur la calligraphie arabe et le tissu en kente que sur Montaigne ou Goethe".

Evidemment, il s’agit là de dramatisation. Mais curieusement, Caldwell ne se pose pas la question de savoir comment les musulmans d’Europe, dont nombre d’entre eux ont des diplômes d’écoles européennes, que ce soit sur le continent européen ou ailleurs, ont bien pu étudier ces matières.

Tout en mettant sur le compte des immigrés toute une série de problèmes, Caldwell réserve une part de son mépris au "clinquant spirituel" de l’Europe – qui d’après lui, détient peut-être la plus grande part de responsabilité dans l’appauvrissement de sa culture. La sécularisation croissante de l’Europe lui a fait perdre ses repères et l’a exposée peu à peu à la colonisation par des cultures "primitives". "Dans sa quête de modernisation, sont apparus en Europe ", écrit-il, " les centres commerciaux, les piercings au nombril, le casino en ligne, un pourcentage de divorces de 50%, et un pourcentage élevé d’anomie et de détestation de soi. Qu’est ce qui nous rend si sûrs que cette européanisation est la voie que veulent suivre les immigrés ?". Mais, en réalité, les sondages montrent que l’attitude des musulmans d’Europe varient d’un pays à l’autre et affichent les mêmes différences locales qu’on trouve dans les diverses populations européennes. Ainsi, les sondages Gallup montrent que les musulmans de Paris sont plus enclins que ceux de Berlin ou de Londres à penser que l’adultère est "acceptable moralement", une tendance qui reflète les pourcentages plus élevés de Français de souche qui trouvent l’adultère plus "acceptable" que leurs homologues britanniques ou allemands.

Pour Caldwell, il y a une l’"européanité" spécifique, qui, d’une part, risque de disparaître à cause de l’immigration musulmane massive, et d’autre part, est si particulière qu’elle ne peut se transmettre facilement aux nouvelles générations de musulmans d’Europe.

Il semble impliquer que cette qualité est innée : l’expansion de l’UE a soulevé l’espoir que les besoins en main d’œuvre de l’Europe occidentale pourraient être comblés par des gens qui pensaient plus ou moins comme des Européens (les femmes de ménage hongroises ou les machinistes bulgares, par ex.) plutôt que par ceux qui ne le faisaient pas (comme les femmes de ménage et des machinistes pakistanais ou algériens). Caldwell affirme que l’immigration intra-européenne est bien plus fructueuse parce que les immigrés que se déplacent au sein de l’UE partagent les convictions religieuses et culturelles avec les autochtones.

Cette vision si optimiste occulte les faits historiques qui n’entrent pas dans ce moule.

Dans les premières décennies du siècle dernier, la France avait fait venir des milliers de Polonais pour travailler dans les mines et les usines. Beaucoup d’entre eux vivaient dans les ghettos en banlieue et bien que chrétiens, ils étaient considérés par les autochtones comme étant trop attachés à leurs traditions et trop dévots (ils avaient été surnommés "les calotins"). Certains intellectuels et responsables politiques français ont alors parlé d’"invasion". (des accusations similaires étaient formulées plus tard à l’encontre des Espagnols, des Italiens et des Belges).

Pendant la crise économique des années trente, le gouvernement français faisait monter les Polonais dans les trains manu militari pour les renvoyer chez eux. Et donc, le processus d’intégration des immigrés dans les sociétés européennes a toujours été historiquement lent même quand les immigrés "pensent" comme des Européens.

Cette approche obtuse conduit Caldwell à de graves erreurs de jugement. Il est de plus en plus inquiétant de constater que tant de leaders d’extrême-droite se voient réhabilités d’une façon ou d’une autre dans "Reflections".

Enoch Powell, élu du parti conservateur britannique – qui, tout le monde s’en souvient, avait prononcé un discours (en 1968, NDT), disant que si la Grande Bretagne ne cessait pas de faire entrer les étrangers non-blancs, il y aurait bientôt un "fleuve écumant de sang" – est décrit comme quelqu’un qui a "tort moralement" mais "raison dans les faits".

Ailleurs, Caldwell dénonce le portrait qu’ont fait les médias hollandais de Geert Wilders, le leader d’extrême-droite, qualifié de "plouc paranoïaque et sinistre", alors que "le ridicule est épargné" à ceux qui sont plus complaisants vis-à-vis de l’islam.

Geert Wilders avait comparé le coran à Mein Kampf et suggéré qu’il soit interdit. En septembre dernier, il proposait de prélever un impôt de 1000 € aux femmes musulmanes qui portent le foulard parce qu’elles "polluent le paysage".

Pim Fortuyn , le leader raciste notoire de l’extrême droite hollandaise, "n’était pas raciste," nous apprend Caldwell, "et sa sortie haute en couleur sur les hommes marocains avec qui il avait couché le plaçait au-dessus de tout soupçon de l’être".

Dans la même logique, faut-il passer sur le fait que Strom Thurmond soutenait les lois ségrégationnistes simplement parce qu’il avait une fille noire ?

Caldwell déplore dans son livre : " Fortuyn aurait bien pu devenir premier ministre s’il n’avait pas été assassiné peu de temps avant les élections de 2002 par des défenseurs des droits des animaux, qui affirmaient agir pour protéger les musulmans hollandais".

Même si les musulmans n’avaient rien à voir avec l’assassinat de Fortuyn, cette formulation laisse entendre que, d’une certaine façon, c’était le cas.

Il n’est pas fortuit que plusieurs parmi ceux qui prédisent la chute de l’Europe se soient naguère distingués pour leurs opinions antisémites. Nick Griffin, le dirigeant du British National Party, a un jour qualifié l’Holocauste de "mensonge extrêmement lucratif". Aujourd’hui, il demande que les musulmans ne soient pas autorisés à prendre l’avion ni pour venir en GB ni pour en partir et il réalise des pubs avec le slogan : "Enoch Powell avait raison". Le Vlaams Belang, le parti flamand d’extrême droite, comptait également des négationnistes parmi les dirigeants du parti, même si actuellement, ils semblent se consacrer davantage à empêcher les femmes musulmanes qui portent un foulard de travailler pour les services municipaux.

Quant à Le Pen, le fondateur du Front National en France, il avait qualifié les chambres à gaz de "simple détail de l’histoire" et avait appelé un opposant politique, Michel Durafour, "Durafour crématoire". Aujourd’hui, il dit que ce n’est qu’une question de temps avant que le maire de Marseille, M. Gaudin, ne devienne M."Ben Gaudin".

Il est apparu récemment que le Vlaams Belang et d’autres groupes d’extrême-droite avaient créé une coalition appelée "les villes contre l’islamisation".

L’Europe a déjà suivi cette voie et elle n’en est pas sortie grandie pour autant.

Les sociétés européennes connaissent actuellement des évolutions démographiques qui ont des conséquences économiques, sociales et éducatives.

Jusqu’à présent le débat sur ces évolutions ne s’est cantonné qu’à l’islam en Europe. Pourtant, parmi tous ces intellos et ces experts, personne ne semble avoir remarqué que les voix des musulmans d’Europe se font rarement entendre. On débat sur eux, pas avec eux. Et, en effet, les articles de presse US concernant Reflections on the Revolution in Europe ont été en majorité rédigés par des non-européens, et encore moins par des musulmans.

Pas étonnant alors, que l’argument qui veut que les musulmans soient en train de conquérir l’Europe "rue après rue" pour en faire un avant-poste de l’islam ait été pris au premier degré. Mais cet argument ne constitue en rien une critique sérieuse car il se fonde sur des preuves empiriques. C’est du racisme tout simplement.

Quand on entend parler des musulmans d’Europe, c’est souvent sur la question de la religion, et en général à chaud, après une catastrophe provoquée par un de leurs coreligionnaires.

Les dirigeants politiques, désireux de montrer qu’ils dialoguent avec les "immigrés" (dont la grande majorité d’entre eux sont des citoyens de la deuxième ou troisième génération), citent le coran ou invitent quelque imam à prendre le thé au palais présidentiel. La discussion tourne au débat sur la religion, sur qui a la bonne interprétation de quel verset, au lieu de s’intéresser aux questions plus importantes sur l’intégration des musulmans en Europe – des questions comme l’emploi, l’accès au logement, l’éducation et les droits des citoyens. Le débat actuel met bien trop l’accent sur l’islam en tant que système de valeurs et sur le coran en tant que texte à prendre à la lettre, au lieu de parler de l’islam tel qu’il est vécu et le coran en tant que texte ancien. Un Marocain peut être très pieux et cependant travailler comme sommelier dans un restaurant à Paris. Une adolescente turque peut ne pas être particulièrement dévote mais faire quand même le ramadan parce que c’est le seul moment de l’année où elle retrouve les membres de sa communauté. Un Algérien d’un certain âge peut très bien être l’imam de la mosquée locale et être parallèlement à découvert à la banque. L’islam ce n’est pas seulement ses textes ; ce sont des millions de gens dont chacun a trouvé une façon personnelle d’adapter sa foi à la vie moderne.

Nos convictions religieuses ne constituent pas l’ensemble de notre vie. En débattre comme si c’était le cas remet nos vies mêmes en question. La question de l’immigration n’est pas exclusive à l’Europe. Dans cette société de plus en plus mondialisée, les immigrés se déplacent dans toutes les directions, couvrant de longues distances et bien plus rapidement qu’avant.

Ce que les Européens – ce que nous tous – devons admettre, c’est l’inévitabilité de vivre ensemble. (…).

Laila Lalami, originaire du Maroc, enseigne aujourd’hui à l’Université de Californie.


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