Quatorze questions sur la grippe A (article du Monde)

lundi 14 décembre 2009.
 

Le dispositif de vaccination contre la grippe A(H1N1) va être renforcé. Nicolas Sarkozy en a fait l’annonce vendredi 27 novembre de Trinité-et-Tobago (Caraïbes) où il s’était rendu pour le Sommet du Commonwealth. Un plus grand nombre de centres devrait être ouvert et les plages d’ouverture élargies. Selon le président de la République, « il faut prendre au sérieux cette épidémie de grippe ».

M. Sarkozy s’est exprimé quelques heures après la publication d’un communiqué de l’Institut de veille sanitaire (InVS), faisant état de mutations dans le génome du virus H1N1 chez deux patients décédés par la suite. Et ce, alors que la grippe se répand de plus en plus vite en France et dans le monde. Dans l’Hexagone, le bilan des cas graves nécessitant une hospitalisation en réanimation ou en soins intensifs comme celui des décès s’alourdissent.

Même si la maladie reste bénigne dans la majorité des cas, sa propagation et la mutation de son virus relancent le débat sur la nécessité ou non de se faire vacciner. Et de faire vacciner ou non ses enfants. Certains ont déjà fait leur choix, comme en témoignent l’affluence et parfois la cohue dans les centres de vaccination.

Aujourd’hui, plus de 750 000 personnes ont déjà été vaccinées. Restent plusieurs dizaines de millions de Français potentiellement concernés par la vaccination. Les volontaires sont priés d’attendre avec civisme l’arrivée par courrier de leur convocation. Quant aux opposants à la vaccination, ils campent sur leurs positions.

En réalité, la majorité de la population hésite encore, entre informations alarmantes sur l’accentuation de l’épidémie et discours alarmistes sur les dangers supposés de la vaccination, qui fleurissent sur Internet. Beaucoup pèsent le pour et le contre.

Il serait illusoire de négliger les risques. Le risque zéro n’existe pas : il y aura des effets indésirables, parfois graves chez des personnes ayant préalablement reçu le vaccin. Les enquêtes de suivi détermineront s’il existe un lien de causalité entre l’injection et l’effet indésirable. Même si les deux événements se succèdent dans le temps, cela ne peut suffire néanmoins à emporter la conviction que le premier a entraîné le second. Mais il serait absurde de négliger les bénéfices de la vaccination, même si la proportion de cas graves sur l’ensemble des personnes infectées par le virus grippal A(H1N1) reste faible. Le bilan de l’InVS publié le 27 novembre recense depuis le début de l’épidémie, 420 personnes ayant développé une forme grave (pneumonie virale, etc.) et 76 décès.

Si elle ne protège pas à 100 %, la vaccination offre l’intérêt de prémunir des formes graves d’une maladie, en « éduquant » le système immunitaire à reconnaître un agent infectieux contre lequel il faut lutter. Nul - exception faite des personnes immunisées (ayant déjà eu la grippe A(H1N1) ou vaccinées -, ne peut se prétendre à l’abri. Et surtout pas les 15-64 ans, ou les enfants de moins de 15 ans qui représentent respectivement 74 % et 18 % des cas graves hospitalisés. Même en l’absence de facteurs de risque, il est possible d’avoir une forme grave de la grippe : 19 % des personnes ayant dû être hospitalisées en réanimation ou en soins intensifs ne présentaient aucune pathologie particulière.

Comme la fréquence d’effets indésirables graves après la vaccination est nettement moindre que celle des effets néfastes de la grippe pandémique, y compris dans la survenue du syndrome de Guillain-Barré, la balance entre le bénéfice et le risque penche en faveur de la vaccination.

1. La grippe A est-elle dangereuse ?

Dans la majorité des cas, la grippe A(H1N1) demeure bénigne. Mais trois éléments sont à noter :

- La circulation du virus s’accélère en France et dans le monde. En une semaine (du 16 au 22 novembre), 730 000 consultations pour une infection respiratoire aiguë liée à la grippe A H1N1) ont été enregistrées dans l’Hexagone, soit une augmentation de 72 % par rapport à la semaine précédente. En Italie, en Suède, en Norvège, la grippe se répand aussi très rapidement.

- Les cas graves et les décès progressent. En une journée (du 25 au 26 novembre) le nombre de cas graves identifiés par l’Institut de veille sanitaire (InVS) depuis le début de l’épidémie est passé en France de 357 à 420. Et celui des décès est passé de 68 à 76, auxquels il faut ajouter les 28 décès enregistrés dans les territoires d’outre-mer. Dans le monde, selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publiés vendredi 27 novembre, le virus a tué près de 8 000 personnes depuis son apparition en avril, dont 650 en Europe (+ 300 décès en une semaine).

- On assiste à des mutations dans le génome du virus H1N1. Ces mutations déjà observées en Norvège et au Danemark, viennent de l’être en France. Vendredi, l’InVS annonçait que deux patients porteurs d’une mutation du virus étaient décédés. Les deux malades n’avaient aucune relation entre eux et étaient hospitalisés dans des villes différentes. Cette mutation, explique l’InVS, pourrait augmenter les capacités du virus à atteindre les bronches et le tissu pulmonaire. De plus, l’un des deux malades avait un virus comportant une mutation conférant une résistance à l’oseltamivir (Tamiflu). Il s’agit de la première souche résistante à ce médicament antiviral en France parmi les 1 200 souches analysées jusqu’ici.

2. Les vaccins sont-ils efficaces ?

Les vaccins ont été élaborés à partir de prototypes mis au point contre le virus de la grippe aviaire H5N1, en remplaçant les éléments propres à ce dernier par ceux de la souche A(H1N1) fournie à l’ensemble des laboratoires pharmaceutiques par l’OMS. Les autorisations de mise sur le marché ont été accordées aux vaccins remplissant des critères d’efficacité et de sécurité. Par efficacité, les agences de sécurité sanitaire entendent la capacité du vaccin à engendrer une réponse du système immunitaire (production d’anticorps spécifiques), conférant un niveau de protection d’au moins 70 %. Les études montrent également qu’une seule dose de vaccin permet de conférer un niveau de protection suffisant.

Cette efficacité biologique peut ne pas correspondre parfaitement à une efficacité clinique. Les vaccins ne protègent donc pas à 100 % mais « diminuent fortement le risque de maladie », indique l’OMS. Il faut un délai de deux ou trois semaines après la vaccination pour que la protection soit effective. Une personne qui serait en contact avec le virus A(H1N1) quelques jours après la vaccination pourrait attraper la grippe. Enfin, les personnes vaccinées peuvent être infectées par d’autres souches de virus, y compris par celui de la grippe saisonnière, contre lesquelles le vaccin ne protège pas.

3. Restent-ils efficaces en cas de mutation du virus ?

Selon l’OMS, les mutations actuelles du génome du virus de la grippe A ne remettent pas en cause l’efficacité des vaccins fabriqués. Un avis partagé, en France, par l’InVS. Mais il est vrai que les virus grippaux, en particulier ceux de type A, sont susceptibles de connaître des mutations dans leur génome. Cette propension à muter explique pourquoi il faut modifier chaque année le vaccin contre la grippe saisonnière.

Les mutations ont différentes origines. Elles sont liées notamment aux erreurs qui surviennent lors de la transcription de l’ARN du virus à l’occasion de sa réplication. C’est probablement ce qui s’est passé pour les mutations signalées chez deux malades en France. A ce phénomène de « dérive génétique » s’ajoute celui de « réassortiment » : un hôte, qui est fréquemment le cochon, héberge simultanément deux virus d’origines différentes, par exemple humaine et aviaire, qui peuvent se recombiner. « Ces variations se produisent lentement. Il faut deux ou trois ans pour qu’un virus grippal soit suffisamment distant du virus de départ pour que l’immunité due au vaccin ne soit plus efficace », indique néanmoins le professeur Claude Hannoun, spécialiste des virus de la grippe.

4. Quelles différences y a-t-il entre les quatre vaccins utilisés en France ?

La France a commandé 50 millions de doses de vaccin Pandemrix au groupe pharmaceutique GSK ; 28 millions de doses de Panenza à Sanofi-Aventis ; 16 millions de doses de Focetria à Novartis ; et 50 000 doses de Celvapan à Baxter.

Panenza et Celvapan sont des vaccins sans adjuvant. Celvapan est aussi le seul vaccin préparé sur culture cellulaire, et non cultivé sur œuf comme les trois autres. Il peut donc être utilisé chez les personnes ayant une allergie à l’œuf. « Tous les vaccins proposés offrent le même niveau d’efficacité et de sécurité. Aussi, il n’est pas prévu d’offrir le choix du vaccin aux personnes qui viendront se faire vacciner », indique le site français du ministère de la santé. Les vaccins sans adjuvant sont réservés aux femmes enceintes, aux enfants de 6 à 23 mois et aux personnes porteuses d’une maladie dite « de système » (lupus, sarcoïdose...), ou d’une immunodéficience associée à une affection sévère.

5. Ont-ils été suffisamment évalués ?

Pandemrix, Focetria et Celvapan ont reçu une autorisation de mise sur le marché de l’Agence européenne du médicament. Une autorisation accordée par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), dans le cas du Panenza. La partie administrative de la procédure a été raccourcie dès lors que les fabricants ont utilisé le même procédé que pour les vaccins prototypes élaborés contre le virus H5N1. Concernant leur efficacité et leur sécurité d’emploi, ils ont fait, en revanche, l’objet d’essais cliniques préalables au moins aussi rigoureux que pour les vaccins contre la grippe saisonnière.

6. Les adjuvants sont-ils dangereux ?

Concernant les adjuvants à base de squalène qui sont les plus utilisés pour les vaccins pandémiques, l’Afssaps affirme que les expérimentations sur l’animal et les études cliniques (chez l’homme) « n’ont pas fait apparaître de signal de risque hormis une augmentation des réactions locales au point d’injection de type rougeur et douleur. »

7. Quelle est la probabilité d’observer des effets indésirables après une vaccination ?

Le syndrome de Guillain-Barré est une maladie auto-immune inflammatoire du système nerveux périphérique. Il se traduit par une paralysie progressive, généralement à partir des membres inférieurs. Si la récupération est la plupart du temps complète (jusqu’à un an dans les formes les plus graves), 5 % des personnes atteintes décèdent, et 10 % conservent des séquelles motrices. L’association possible entre vaccination antigrippale et syndrome de Guillain-Barré a été évoquée pour la première fois après la vaccination en 1976 de plus de 40 millions d’Américains contre le virus de la grippe porcine. Lors de cet épisode, le risque a été évalué à 1 cas pour 100 000 personnes vaccinées. Plusieurs études concernant la vaccination contre la grippe saisonnière n’ont pas montré d’association. Seule une étude américaine a mis en évidence un risque d’environ un cas pour 1 million de personnes vaccinées.

8. Quelle est l’incidence « habituelle » du syndrome de Guillain-Barré ?

L’incidence annuelle du syndrome de Guillain-Barré en France est d’environ 2,8 cas pour 100 000 habitants. Environ 1 700 personnes sont hospitalisées chaque année dans l’Hexagone pour cette affection. Dans les deux tiers des cas, indique l’Afssaps, le syndrome de Guillain-Barré survient après un épisode infectieux, viral ou bactérien, dans les trois semaines précédentes. Une étude française a chiffré entre 4 à 7 cas pour 100 000 individus, l’incidence du syndrome de Guillain-Barré chez les personnes ayant eu une grippe confirmée par sérologie.

9. Comment les effets indésirables sont-ils détectés ?

Un dispositif renforcé de pharmacovigilance a été mis en place pour la détection d’effets indésirables survenant après une vaccination contre la grippe A(H1N1). L’Agence européenne du médicament a également imposé des cohortes de suivi, comprenant 9 000 personnes pour chacun des vaccins autorisés. En France, l’Afssaps publie sur son site un bulletin hebdomadaire de suivi des effets indésirables notifiés. Les particuliers peuvent signaler eux-mêmes des effets indésirables survenant en période post-vaccinale sur le site de l’Agence (www.afssaps.fr).

10. Y a-t-il un risque à avoir plusieurs vaccins ?

Un intervalle minimal de vingt et un jours doit être respecté entre une vaccination contre la grippe saisonnière et celle contre la grippe A(H1N1). Dans le cas d’une administration successive du vaccin contre la grippe A(H1N1) et de toute autre injection prévue dans le cadre du calendrier vaccinal (pour les enfants et les adolescents), il n’y a pas lieu de respecter un délai particulier entre les vaccinations. Seule contrainte : elles ne doivent pas avoir lieu le même jour, précise le ministère. De son côté, le Haut Conseil de la santé publique a affirmé dans un avis du 2 octobre 2009 que « les autres vaccinations du calendrier vaccinal, en particulier celles des enfants et des adolescents, doivent être poursuivies, en évitant les coadministrations, sans avoir de délai à respecter entre l’administration de ces vaccins. »

11. Quelles sont les contre-indications formelles à la vaccination ?

Les vaccins pandémiques sont formellement contre-indiqués chez les personnes ayant présenté par le passé « une réaction allergique soudaine menaçant le pronostic vital » à l’un des composants du vaccin. La contre-indication est « relative » en cas d’antécédent de réaction allergique ne menaçant pas le pronostic vital. La vaccination sera reportée en cas d’épisode infectieux avec fièvre élevée. Elle n’est pas recommandée chez les femmes enceintes au cours du premier trimestre de grossesse - sauf en cas de facteurs de risque.

12. A partir de quel âge faut-il faire vacciner les enfants ?

Avant l’âge de 6 mois, cela n’est d’aucune utilité : le système immunitaire n’est pas encore assez mature pour que la vaccination soit efficace. Après l’âge de 6 mois, la vaccination contre la grippe A(H1N1) est possible. Le ministère de la santé a indiqué jeudi 26 novembre qu’une seule injection était nécessaire, sauf pour les enfants de moins de 9 ans, qui recevront deux injections.

13. Quel recours en cas de non-vaccination à l’école ?

Même si les parents souhaitent que leur enfant se fasse vacciner au collège ou au lycée, et signent un formulaire en ce sens, la décision revient in fine à l’adolescent. Si ce dernier refuse de se faire vacciner mais contracte le virus sous une forme grave, les parents pourront-ils se retourner contre l’établissement scolaire qui n’aura pas procédé à la vaccination ? Au ministère de l’éducation nationale, on s’empresse de répondre que « les collèges et les lycées ne sont responsables que de l’organisation de la vaccination, et que cette dernière est sous l’autorité du préfet ».

14. N’est-il pas trop tard pour se faire vacciner ?

L’épidémie de grippe A(H1N1) n’a sans doute pas encore atteint son pic, et, après ce dernier, même d’une manière moins importante, le virus continuera de circuler. La vaccination dans les semaines à venir conserve donc son intérêt.

Marie-Béatrice Baudet et Paul Benkimoun

* Article paru dans le Monde, édition du 29.11.09


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