Martine Billard : le projet de Grand Paris est à l’opposé d’une région capitale écologique et solidaire

mercredi 2 décembre 2009.
 

Intervention de Martine Billard en discussion générale contre la loi « Grand Paris » (Assemblée nationale, mercredi 25 novembre 2009)

"Le projet de Grand Paris est à l’opposé de notre vision d’une région capitale écologique et solidaire, qui planifierait le rapprochement des activités économiques et des lieux de vie et d’habitation des Franciliens, réduisant donc l’étalement urbain. À la perspective d’une société du toujours plus - plus de croissance, plus de compétitivité, plus de vitesse, plus de consommation... -, nous opposons une société du vivre autrement, du lien social et de la coopération, du vivre plus lentement, tout simplement pour vivre mieux, pour vivre bien."

Le Président de la République promettait, au printemps dernier, une véritable révolution dans l’aménagement de la région Île-de-France, pour en faire une grande capitale à l’échelle mondiale. Quel écart avec ce projet de loi, réduit à la réalisation d’un métro circulaire reliant quelques pôles qualifiés de stratégiques, comme La Défense et les aéroports de Roissy et Orly !

Il est assez effarant que ce texte qui promet de revoir les infrastructures de la région capitale passe complètement à côté du défi climatique, à quelques jours du sommet de Copenhague. Alors que les émissions de CO2 atteignent un niveau record, que les conséquences observées du changement climatique s’avèrent chaque année pires que les prévisions les plus pessimistes du GIEC, et qu’il nous faut aussi penser le monde de l’après-pétrole, comment pouvez-vous proposer un projet d’aménagement régional entièrement orienté autour de la civilisation de la vitesse, de la voiture et de l’avion, secteurs particulièrement émetteurs de CO2 ?

Une loi pour la région capitale pourrait être utile. Avec presque un sixième de la population française et 29 % de la richesse nationale, l’Île-de-France est aujourd’hui la région la plus riche d’Europe. Mais c’est aussi une région de détresses, du fait de grandes disparités sociales et territoriales, et notamment des disparités fiscales entre collectivités. Les révoltes de jeunes survenues en novembre 2005, qui ont mis en lumière les réalités de l’Île-de-France avec ses ghettos de riches et ses ghettos de pauvres, sont-elles à ce point oubliées ?

Avec ce projet de loi, nous sommes très loin d’un projet global visant à rééquilibrer les territoires, à réduire les zones de pauvreté et les inégalités, et à faciliter les déplacements de l’ensemble des Franciliens. Le groupe d’architectes, qui a été mandaté par le Président de la République lui-même pour réfléchir à la métropole parisienne de demain et dont les propositions d’avenir étaient cohérentes et pertinentes, est aujourd’hui scandalisé par la pauvreté du projet retenu.

En effet, les Franciliens regarderont passer les trains, puisqu’il n’est pas question de ralentir ce transport express pour managers courant entre pôles d’activités, et il est encore moins question de desservir les zones d’habitation et d’activités qu’il traversera. À aucun moment, la loi n’aborde les conditions de vie des populations et ne résout en rien les problèmes de déplacements de banlieue à banlieue. De plus, le billet d’accès à ce « métro de riches » dénommé « grand huit » ne sera pas compris dans les abonnements de type Navigo. Étonnant, puisque ces pôles de compétitivité sont censés être des zones d’emploi ! Cela coûtera donc plus cher aux salariés et aux employeurs. De plus, dans la majorité des cas, l’absence de connexions avec le reste du réseau de transport collectif et les zones d’habitation provoquera de fait une augmentation des déplacements automobiles : une incohérence de plus par rapport aux grandes déclarations sur l’urgence de lutter contre les émissions de gaz à effets de serre...

Alors que la région Île-de-France, en concertation avec les départements, les communes et les intercommunalités, vient d’élaborer son schéma directeur de développement, le SDRIF, exemplaire tant pour son élaboration démocratique et participative que pour ses préconisations de planification écologique, et alors qu’il existe un syndicat des transports d’Île-de-France, le chef de l’État entend s’emparer du contrôle de tous les projets dans la région. Les manœuvres actuelles visant à déstabiliser la vie institutionnelle de la région sont particulièrement scandaleuses : je pense au refus de transmettre au Conseil d’État le projet de SDRIF, adopté définitivement par la région depuis plus d’un an, et à la tentative de dissoudre progressivement le STIF dans la RATP. Du reste, vous ouvrez plusieurs brèches vers la privatisation de la RATP, notamment par le biais de l’amendement de deux députés UMP qui prévoit sa scission en deux entités juridiquement séparées, l’une en charge des infrastructures du métro, l’autre de l’exploitation des réseaux de transports - à l’image de la division SNCF-RFF dont on voit tous les jours les conséquences en termes de dysfonctionnements. Votre amour du libéralisme et de la concurrence effrénée n’a jamais de limite...

Ce texte vise à permettre à l’État de s’affranchir des consultations et des études nécessaires à la mise en place de ce réseau de transports, dont le tracé est basé sur une vision passéiste de compétition entre territoires. La direction exécutive de la Société du Grand Paris sera directement nommée en conseil des ministres, écartant de la prise de décision les élus locaux. Ce projet tourne radicalement le dos à plus d’un quart de siècle de décentralisation. C’est une totale remise en cause du fonctionnement démocratique de notre République.

De plus, pour trouver les 24 milliards d’euros nécessaires à ce projet, vous proposez l’endettement massif et la saisie de biens et de terrains des collectivités territoriales, et vous escomptez une très hypothétique valorisation foncière des terrains ainsi accaparés. Or ce dernier moyen, sans lequel le projet n’est pas réalisable, est clairement mis en doute par le rapporteur général de la commission des finances. En réalité, les revenus éventuellement dégagés seront sans commune mesure avec les investissements envisagés. Finalement, ce sont les collectivités territoriales qui seront mises à contribution - donc les contribuables - alors que ce projet n’apportera aucune amélioration à leur vie quotidienne. Loin de résoudre les problèmes pour les prochaines décennies, il ne fera qu’accentuer la ségrégation territoriale, les discriminations sociales et géographiques de l’Île-de-France.

En outre, faute d’une réflexion globale d’aménagement du territoire national, votre projet crée, de fait, une compétition entre la région parisienne et les autres. Il a pour objectif, et vous l’assumez, d’attirer encore plus de population en Île-de-France, alors que la vie y est déjà difficile pour les habitants actuels. Les milliards ainsi dépensés seraient plus utiles et même indispensables pour répondre aux besoins criants en matière de transports et de logements, alors que l’État s’est désengagé au cours des dernières années.

La priorité est de favoriser la relocalisation écologique des activités et de réduire les trajets domicile-travail qui sont l’une des principales sources d’émissions de CO2. C’est notamment ce que propose le SDRIF que le Gouvernement a choisi de torpiller. Votre projet de Grand Paris est à l’opposé de notre vision d’une région capitale écologique et solidaire, qui planifierait le rapprochement des activités économiques et des lieux de vie et d’habitation des Franciliens, réduisant donc l’étalement urbain. À la perspective d’une société du toujours plus - plus de croissance, plus de compétitivité, plus de vitesse, plus de consommation... -, nous opposons une société du vivre autrement, du lien social et de la coopération, du vivre plus lentement, tout simplement pour vivre mieux, pour vivre bien. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)


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