Le syndrome du Titanic (film de Nicolas Hulot) Il est temps de descendre du bateau

lundi 23 novembre 2009.
 

Après les films d’Al Gore (Une vérité qui dérange, 2006) ou de Yann Arthus-Bertrand (Home, 2009), le dernier film de Nicolas Hulot et Jean-Albert Lièvre interroge une nouvelle fois les limites d’un système qui conduit à la destruction de la planète.

Sur le plan cinématographique, l’enchaînement de plans fixes ne rend guère le rythme du film palpitant. De nombreuses images sont déjà bien connues (explosion d’une bombe nucléaire, défilés de bidonvilles ou d’échangeurs autoroutiers). D’autres sont plus originales comme l’opposition entre ces chiens japonais dans leurs caissons à oxygène et ces ouvriers chinois qui ont pour seul logement des cages grillagées.

Mais l’originalité de la réflexion est, cette fois-ci, que les auteurs du film défendent l’idée que la crise environnementale ne trouvera pas de solution sans réponse à la misère. Hulot aborde d’une certaine façon la question sociale à partir de plusieurs constats.

Tout d’abord, ce que Nicolas Hulot appelle la « faillite du progrès ». Nous vivons dans un monde où règnent « la profusion des moyens et la confusion des intentions » (Einstein). Dans cette fulgurance du progrès, il y a des oubliés : le décrochage entre le progrès technique et le bien-être des populations est bien réel. Dans « un univers connecté par internet et les antennes satellites, tout se sait et tout se voit ». Le spectacle de l’opulence de quelquesuns y est encore plus insupportable pour la majorité qui a si peu.

Ensuite, la société de consommation. « On ne consomme pas, on consume » déclare Hulot dans le film. Les ressources sont gaspillées et simultanément les besoins superflus sont nourris et entretenus par la société marchande. Alors que se profile la fin du tout pétrole, la question énergétique va inévitablement bousculer les modes de vie. C’est pourquoi Hulot en arrive à la conclusion que « la croissance n’est plus la solution mais le problème.

Qu’il faut se prononcer sur des croissances sélectives et des décroissances choisies » [1].

La star de TF1 part de loin et le constat qu’il dresse est intéressant. Mais pour celui qui aspire à influer le débat politique sur l’écologie en France, la capacité à proposer des réponses politiques fait cruellement défaut : N. Hulot se déclare d’ailleurs à plusieurs reprises « perdu ». Cette défaillance tient notamment à un diagnostic qui reste finalement superficiel car il n’analyse pas les causes qui ont conduit à cette situation.

Découvrir aujourd’hui les ravages de la société de consommation, plus de 40 ans après Mai 68, c’est tout de même un peu étonnant. Mais mieux vaut tard que jamais ! L’ancien participant du Paris-Dakar qu’est N. Hulot a compris que l’ultralibéralisme nous conduit à la faillite, mais il a oublié que ce système à des origines.

L’ultralibéralisme n’est que le produit exacerbé et poussé à son extrême du fonctionnement capitaliste, dont les fondements ont été posés au XVIIe siècle et ont animé l’ensemble de la société progressivement à partir du XIXe siècle. La propriété privée des principaux moyens de production est un handicap majeur quand on veut préserver l’environnement, c’est un obstacle explosif quand il s’agit de répartir les richesses !

Au contraire, le discours de N. Hulot dans le film s’inscrit plutôt dans une logique de culpabilisation individuelle. Face à un avenir présenté comme possiblement apocalyptique, chaque individu se retrouve seul avec sa conscience. En cela, N. Hulot commet plusieurs erreurs.

D’un point de vue méthodologique, il ne faut pas isoler l’individu de la société dans laquelle il vit, ni opposer individu et société. En fait, la « société » n’est qu’un nom pour désigner la pluralité d’individus vivants. L’activité pratique de ces individus s’insère dans des rapports sociaux dont ils ont hérités et qu’ils contribuent à animer et à faire évoluer. Aussi, la réponse politique ne peut être trouvée que dans une modification des rapports sociaux tissés entre ces individus.

En conséquence, l’être humain n’est pas seul face à un monde déréglé. Il y a bien un système socio-économique qui est le résultat de choix politiques et d’une lutte de forces contradictoires sur un temps long. La libéralisation de la finance internationale, l’utilisation des progrès techniques (notamment dans le transport) et technologiques (notamment dans les communications) pour mettre en concurrence les économies et les systèmes sociaux sont le produit d’une combinaison d’impérialismes cherchant de nouveaux marchés et de choix politiques affirmés dans le cadre d’institutions internationales (comme l’OMC) pour favoriser la marchandisation de la société. Dans cette lutte pour la conquête de nouveaux marchés, il y a l’alternance de luttes et de compromis entre les détenteurs des moyens de production (le capital) et cette grande majorité qui n’a que sa force de travail pour vivre (le monde du travail). Si N. Sarkozy est à l’écoute des propos de N. Hulot, c’est qu’en bon représentant du capital, il a conscience du caractère explosif de la simultanéité de ces deux crises écologique et sociale. Et il est vital pour son camp de traiter la crise écologique pour continuer à produire (ce sera la croissance verte), sans remise en cause des intérêts dominants. Mais, contradiction suprême, la course au profit maximum est souvent difficilement compatible avec la défense de l’environnement.

Par ailleurs, le choix fait dans le film de ne présenter que des images ternes et peu attrayantes peut être interrogé. Cela souligne certes que les ravages des crises environnementales et sociales sont bien réels et qu’il est urgent d’agir. Cependant, la vision « apocalyptique » gomme la complexité de la réalité : il y a déjà eu des progrès sociaux mais aussi écologiques importants. Mais la marchandisation du monde avance d’un pas plus ferme et plus rapide.

C’est à ce problème qu’il faut s’attaquer.

Il est également possible de déplorer certains contresens dans l’analyse d’Hulot. Il est à tout fait juste de s’insurger contre les murs construits aux frontières des pays riches pour empêcher les flots de migrants. Mais il est tout à fait faux d’assigner au mur israélien la même fonction que le mur bordant la frontière mexicaine aux États-Unis.

Ensuite, le regard assez conservateur posé par Hulot sur la jeunesse et le monde de la nuit est aussi regrettable. Si cet univers est façonné par la société de consommation, il n’en reste pas moins que chaque génération s’insère et adapte son environnement à sa façon. On peut ne pas partager une certaine façon de faire la fête (et notamment la surenchère dans les tenues vestimentaires d’une partie de la jeunesse métropolitaine en Asie)… mais un regard condescendant ne permet pas de faire avancer l’heure des prises de conscience hors desquelles il n’y a qu’aventures sans lendemain.

Enfin, un certain malaise demeure face aux contradictions de la « machine » Hulot. La fondation Nicolas Hulot vit notamment grâce aux subsides d’EDF (grande adepte du nucléaire), de L’Oréal, Ibis et TF1, mais aussi Norauto et Autoroutes du Sud de la France (dans le film, Hulot regrette certes les dégâts d’une civilisation du « tout autoroutier »), Bouygues télécom ou encore Banque Populaire. La « machine » N. Hulot, c’est aussi un lot de produits dérivés (des T-shirts aux savons Ushuaia). L’engagement pour transformer le monde nécessite des moyens mais peut-on réellement construire un modèle de société plus « sobre » avec des donateurs qui illustrent, chacun dans leur domaine, les excès du monde actuel ?

On a trop souvent tendance à oublier que le choix des moyens détermine la fin !

Nicolas Hulot a commencé par l’environnement et a découvert en chemin le social. Il n’a pas encore tiré les conclusions politiques qui s’imposent de son diagnostic. Pour le moment, il propose au capitaine du Titanic de changer d’allure mais aussi de cap. C’est un bon début mais ce ne sera pas suffisant. Il faut descendre du paquebot (y laisser le capitaine) et reconstruire un nouveau bateau à taille humaine ! C’est tout le sens du combat socialiste : trouver une issue progressiste et collective à la crise sociale, environnementale et économique.

Simon Thouzeau


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