Le procès de l’Angolagate : un symbole de la collusion entre élites économiques et politiques françaises et africaines

dimanche 29 novembre 2009.
 

INTRODUCTION

L’Angolagate est le plus grand procès de trafic d’armes sur fonds d’enjeux pétroliers de la fin du XXe siècle. L’histoire est celle de la privatisation de la guerre en Angola et de l’organisation du pillage biens publics de l’Etat. Les condamnations de Charles Pasqua, de Pierre Falcone, Arcadi Gaydamak notamment, sont tombées le 27 octobre 2009. Ce procès dévoile la réalité d’une partie non négligeable du pouvoir non démocratique et illégal exercé par nos élites.

Cette guerre civile aura débuté en 1975, se terminera 27 ans plus tard en 4 avril 2002 et aura fait 500 000 morts. Sa durée s’explique notamment par la fourniture très importante d’armements par certaines grandes puissances, via Falcone et Gaydamak notamment. Parmi ces ventes, on compte un arsenal de morts impressionnants, 420 chars, 150. 000 obus, 12 hélicoptères, six navires de guerre recensés par les enquêteurs, 170 000 mines, antipersonnel, 650.000 détonateurs.

La lutte entre grandes puissances régulièrement derrière les conflits locaux

En 1975, trois mouvements indépendantistes luttent alors pour prendre le pouvoir. Tandis que l’UNITA est soutenu par les puissances occidentales (USA-France), le Zaïre mobutiste et l’Afrique du Sud, le MPLA fait parti des pays luttant contre l’apartheid dans ce dernier pays et est appuyé par le camp opposé (URSS, Cuba, Brésil, Portugal). Cela fait au moins huit sources permanentes d’ingérence, donc de quoi relancer perpétuellement la guerre entre MPLA et UNITA, qui est une lutte absolue pour le pouvoir. Chez Elf, on a partagé les rôles : Alfred Sirven côté UNITA, André Tarallo côté MPLA. Fin 1999, TotalFinaElf et les majors américaines se partageront l’essentiel des énormes gisements de pétrole sous-marin. Depuis en 1975, français et Américains ont, globalement partagé la même stratégie. Pendant quinze ans, avec le régime sud-africain d’apartheid, ils ont nettement soutenu les rebelles de l’UNITA, contre Cuba et l’URSS soutenus par le MPLA. La chute du mur de Berlin (en 1989), vide le conflit de son intérêt stratégique. A cela s’ajoute, la fin de l’apartheid et le boom pétrolier, les français se sont mis alors à armer aussi le gouvernement de Luanda (MPLA), puis à miser sur sa victoire dans l’interminable guerre civile qui déchire le pays (Verschave, 2001, 119).

Paris ne manquait pas de fournir au MPLA des armes coûteuses : des hélicoptères par exemple, livrés en 1985, vite détruits pour la plupart par l’aviation sud-africaine. En 1987, Paris contribue au sauvetage financier de l’UNITA, ce bon client, d’autant que se profile la fourniture d’une couverture radar par Thomson. En 1989, le ministre angolais de la Défense négocie avec l’Aérospatiale l’achat d’hélicoptères et d’artillerie pour un montant de 2 milliards de FF (LDC, 14/10/1985 et 02/09/1987) (2).

Dans le camp opposé, le MPLA, d’inspiration marxiste, a une base étroite, l’élite urbanisée d’une très ancienne colonie. Il obtient très vite le renfort du “camp progressiste” : contingents cubains, argent soviétique, l’ancienne métropole portugaise et les milieux d’affaires brésiliens. (…). Les horreurs vont s’enchaîner, se répondre : civils massacrés, campagnes ravagées et minées, mutilés innombrables, villes assiégées et affamées (…). Bref, une guerre effroyable, payée par l’argent du pétrole offshore et des diamants – parmi les plus beaux du monde. Deux matières premières faciles à écouler, éminemment corruptrices. En 1991 sont signés à Lisbonne les accords dits de Bicesse, qui prévoient la tenue d’élections libres.

En 1992, Eduardo Dos Santos, le successeur de Neto à la tête du MPLA, devance Jonas Savimbi de l’UNITA dans un scrutin présidentiel très serré et contesté. La même année, devant le raz-de-marée électoral du MPLA, Jonas Savimbi reprend les armes et reprend le maquis. Le MPLA lance dans Luanda une chasse à l’homme où périssent deux mille cadres et militants de l’UNITA. En 1994, un nouveau protocole de paix est signé à Lusaka, la capitale zambienne (Verschave, 2001 : 121-122).

Entre 1998 et 1999, Jacques Chirac « tente de parvenir à un équilibre entre ses alliés historiques au sein de l’UNITA et ses intérêts pétroliers à Luanda. « Il décroche pour les groupes Bouygues et Lyonnaise des Eaux une partie du marché d’équipement du gisement sous-marin Girassol, d’un coût total de plus de 10 milliards de francs. Puisqu’il convient de mélanger la guerre, la politique et les affaires, l’ancien responsable des services économiques de l’ambassade de France à Luanda, Alain Pfeiffer, est promu directeur Afrique à Paribas » (LDC, 18/02/1999) (3).

Les inculpés sont les témoins d’un système de gouvernance illégale des élites

Jean-Charles Marchiani est un symbole des pratiques illégales entre l’Etat et les acteurs économiques. Il est natif d’un petit village corse voisin de celui de Charles Pasqua, a été un authentique agent secret. Du moins jusqu’en 1970, où il sera évincé du SDECE (l’ancêtre de la DGSE, Direction générale de la sécurité extérieure). Il est ancien Préfet du Var et ex-député européen du R.P.F et est souvent présenté comme l’« homme à tout faire de la galaxie Pasqua ». Il a été condamné en décembre 2005 par le tribunal à trois ans de prison, « pour avoir perçu des commissions en marge de la vente de chars militaires au Moyen-Orient ». Dans l’affaire Angolagate, il a reçu de Falcone et d’autres des sommes importantes pour faciliter les ventes d’armes à Dos Santos (Lecadre, 2008) (4). L’ex-préfet Marchiani décora Gaydamak de l’ordre du Mérite. Mais cette décoration visait surtout à redorer l’image de Gaydamak ternie par ses multiples affaires illicites.

« Dans un document saisi chez son assistante, Falcone explique en des termes parfaitement clairs au président angolais qu’“une avance de 450 000 dollars”, sur 1,5 millions au total, a été versée à un certain “Robert” (c’est à dire Marchiani). (…) Cet argent devrait être utilisé dans sa totalité pour la campagne des élections européennes (5) » rapporte Nicolas Beau » (6). L’ancien préfet du Var Jean-Charles Marchiani a été finalement été condamné à trois ans de prison, dont 21 mois avec sursis et à 15 mois fermes, pour complicité de trafic d’influence et recel d’abus de biens sociaux (AFP, 27 octobre, 2009) (7).

Jean-Christophe Mitterrand représente le pouvoir des héritiers et des dynasties au pouvoir. Il est le fils du défunt président, il est conseiller à la présidence de la République et Chargé des affaires africaines (1982-1992) et conseiller d’une fondation suisse financée par Elf entre 1992 et 1996. Ex-commercial free-lance en Afrique Noire, il était soupçonné dans l’affaire Angolagate de complicité de commerce illicite d’armes et recel d’abus de biens sociaux. Il aurait reçu 2,6 millions de dollars de Falcone (RFI, 2008) (8) pour « avoir donné des conseils géopolitiques », précise JC Mitterrand. De plus, il aurait « caché au fisc 13 millions de revenus » selon François Xavier Verschave (2001 : 181) (9). Il a écopé de deux ans de prison avec sursis et 375 000 euros d’amende (AFP, 27 octobre, 2009) (10).

Lorsque, Charles Pasqua fut ministre de l’intérieur, c’est un peu comme si la mafia avait pris le pouvoir en France pendant cette période. Charles Pasqua fut, président du R.P.F. (Rassemblement pour la République Française), président de la région Hauts-de-Seine, ministre de l’Intérieur des gouvernements Chirac (1986-1988) et Balladur (1993-1995). Il a été mis en examen pour « trafic d’influence, recel d’abus de biens sociaux » et « est soupçonné d’avoir perçu 450.000 dollars en 1998 et 1999 de la société Brenco pour favoriser les intérêts du régime de M. Dos Santos au Parlement européen » (Nouvel Observateur, 23 juin 2008) (11).

Finalement en octobre 2009, à l’issu du procès, Charles Pasqua, a été condamné à trois ans de prison dont deux avec sursis et 100 000 euros d’amende pour "trafic d’influence". Le jugement va au-delà des réquisitions, le procureur n’ayant requis que trois ans avec sursis.

Le 29 novembre 1999, « Les enquêteurs perquisitionnent le parti pasquaïen, le RPF et les bureaux du président du Conseil général des Hauts-de-Seine et découvre qu’une résidente gabonaise, Marthe Mondoloni-Tomi, a fait un don de 7,5 millions de francs pour la campagne européenne du RPF de 1999, et s’est portée caution d’un prêt de 4 millions, par une banque monégasque (…). Leurs comptes à Monaco sont l’objet d’une instruction pour « blanchiment » (Beau, 2001) (12), par une justice locale guère réputée pour ses excès de zèle. Elle y a repéré d’importants virements (13), provenant notamment de la banque nationale angolaise (Chichizola, 2001).

Le jeune Pierre Falcone est en cheville avec la Sofremi depuis 1989. Cette dernière est une officine parapublique de vente d’armes et d’équipements et dépendant du ministère français de l’Intérieur. Falcone, le patron de Brenco [...] ayant longtemps joué quasiment officiellement les VRP [agents commerciaux] pour la Sofremi (Johanny, 2000) (14) » qui est un organisme parapublic. A travers le statut de Pierre Falcone, on relève une flagrante collusion entre des pouvoirs entre l’exécutif et le pouvoir économique.

Les réseaux économiques et politiques sont souvent nécessaires pour les affaires économiques au plan international. C’est en 1993 que Roland Dumas, alors ministre des Affaires étrangères, avait accordé des facilités à l’homme « de Dos Santos à Paris pour faciliter les premières opérations de livraisons d’armes et de produits alimentaires à l’Angola par l’équipe Falcone/Gaydamak (plus de 400 millions $ de contrats) » (Verschave, 2001 : 169).

A travers les inculpés ont observe que la multinationalité des élites économiques les placent au-dessus de lois. Arcady Gaydamac est russe à sa naissance et semble encore plus influent encore que son partenaire Falcone. Il a été décoré de l’Ordre du mérite français par J-C Marchiani, avant d’être inculpé lui aussi. Le fait d’offrir cette distinction honorifique symbolise à elle seule la collusion entre certaines des élites des grands corps de l’Etat et les élites économiques criminelles.

Arcadi Gaydamak est en fuite depuis l’année 2000 et un mandat d’arrêt international lancé par la France pèse sur lui. Le fait d’être né en Russie, d’avoir été un ex-colonel du KGB russe, d’être un ancien émigré russe en Israël, naturalisé français en 1975 sur l’intervention de Robert Pandraud (LDC, 09/1999) et donc de disposer quatre passeports (russe, israélien, angolais, canadien) et de la nationalité française (soit 5 pays auxquels il est lié juridiquement), lui facilite les recours pour échapper aux poursuites de la police des frontières. On remarque ainsi, que pour certaines élites économiques, l’identité nationale perd de son sens, ils deviennent dès lors citoyens du monde… des affaires, situés parfois au-dessus des lois nationales, puisqu’ils sévissent au niveau international. Pierre Falcone opère de manière relativement analogue, puisqu’il dispose de la nationalité française et brésilienne et d’un passeport diplomatique angolais en échange des services commerciaux rendus au président de l’Angola Dos Santos.

Créer des sociétés écrans pour blanchir de l’argent dans les paradis fiscaux et judiciaires

En 1985, les Falcone créent à Paris la société Brenco, puis Brenco Trading International Limited, « basée sur l’île de Man » (Lhomme, 04/01/2001) (15) – dont la SARL parisienne devient la filiale, sous le nom de Brenco-France (Tomasovitch, 2000) (16). Les relations entre Brenco, Falcone, Gaydamak et les marchés publics d’Ile de France illustrent l’utilité des paradis fiscaux pour les pratiques illégales. Brenco International et Jean-Claude Méry ont le même avocat, Allain Guilloux. Celui-ci est soupçonné de « blanchiments de fonds entre la France et le Maroc » (Valdiguié, 02/12/2000) (17). « Guilloux avait monté des structures immobilières sophistiquées avec le duo Falcone-Gaidamak, via des paradis fiscaux. (Verschave, 2001 : 152) qui leur servaient de sociétés écrans. Il semble donc que ce soit les mêmes réseaux, via les mêmes mécanismes qui blanchissaient l’argent public détourné des HLM d’Ile de France, de la drogue, du pétrole et des armes. Une partie du racket des marchés publics franciliens était recyclée via la Côte d’Ivoire ou l’Afrique centrale (Verschave, 2001 : 178).

Le racket chiraquien des marchés d’Île-de-France, avait un branchement partiel sur les pays pétroliers du golfe de Guinée (LDC, 14/12/2000) (18). Selon une ordonnance des juges d’instruction Armand Riberolles, Marc Brisset-Foucault et Renaud Van Ruymbeke, 17/07/2001, l’ancien n° 2 de la DGSE Michel Roussin « a été décrit par de nombreux protagonistes du dossier comme ayant joué un rôle central dans la mise en place et le fonctionnement du dispositif de financement des partis politiques, et plus particulièrement du RPR », (Le Monde, 25/07/2001). Michel Roussin est passé du public au privé régulièrement pour servir les intérêts des élites économiques et politiques. Son parcours est instructif et révèle liens entre les milieux des services secrets, de l’Etat et des entreprises transnationales. Michel Roussin, à été ancien n°2 de la DGSE, proche de la GLNF, directeur du cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris, ministre de la Coopération en 1993, haut responsable du groupe français Bolloré, “Monsieur Afrique” du MEDEF (Foutoyet, 2006) (19).

Les collusions fortes entre les intérêts des industriels de l’armement, l’armée et les services secrets

CS est une firme spéciale, où ont “pantouflé” d’anciens hauts responsables de la DST (l’ancien n° 2 Raymond Nart et son adjoint Jacky Debain) (Verschave, 2001 : 145). C’est-à-dire que des anciens membres des pouvoirs publics continue leur carrière dans le secteur privé, avec le risque d’une perte de l’indépendance de l’Etat et donc de l’intérêt général.

Le brillant stratège du Secrétariat général de la Défense nationale, le général de division Claude Mouton deviendra en juillet 2000, directeur général de Brenco-France, l’entreprise de l’entrepreneur Pierre Falcone. A Pékin, Brenco est représentée par Thierry Imbot, fils de l’ancien patron de la DGSE et fournit des équipements militaires d’Europe de l’Est au Vietnam et en Birmanie.

« De nombreux anciens des services travaillaient pour Brenco comme Thierry Imbot, qui est décédé le 10 octobre 2000, il s’est officiellement suicidé en se jetant par une fenêtre » (Verschave, 2001 : 137). Grâce à ses « appuis au sein de la DST ou dans des groupes comme Thomson, le Giat ou la Compagnie des Signaux », Falcone est devenu « l’un des plus grands marchands d’armes du monde » (Routier, 28/12/2000) (20).

Le rôle des banques et des intermédiaires mafieux dans l’Angolagate

L’Angola – à travers les contrats de l’entreprise publique Simportex (anciennement Ematec), qui impliquent le sommet de ses structures gouvernementales, financières et militaires – a payé à l’entrepreneur franco-russe Arcadi Gaydamak 135 millions de dollars en plus de ce qu’il devait recevoir pour une livraison de matériel militaire, fin 1996. L’affaire a été bouclée par un ensemble d’institutions bancaires presque toutes européennes (France, Suisse, Allemagne, Autriche...) sous le leadership de la banque Paribas – une des banques que Luanda a utilisées de façon de plus en plus fréquente pour ses transactions et emprunts ces dernières années. La Banque of New York sert aussi beaucoup pour ces transactions (Verschave, 2001 : 129-132) (21). Deux dirigeants de la Banque Paribas ont été inculpés en France, pour ces transactions illégales durant le procès de l’Angolagate en 2008.

Les enquêteurs pensent que l’entreprise Menatep fut le point d’origine principal de l’argent blanchi. Celle-ci « aurait continué à fonctionner en sous-main en 1998 et transféré des fonds suspects [...] vers des compagnies offshores basées sur des territoires aussi lointains que les îles Vierges » (Rousselot, 31/08/1999) (22). Alors que Menatep est officiellement en faillite depuis 1998, Ernest Backes a trouvé dans le répertoire 2000 de la société internationale de compensation Clearstream un compte non publié n° 81738 au nom de Menatep, client « non référencé ». Sa partenaire en blanchiment (15 milliards de dollars dans la seule année 1998), la Bank of New York, possède de nombreux comptes non publiés dans la nébuleuse société de compensation financière Clearstream (23).

Une part de ces flux ( pétrole, armes, dettes) a pu être brassée entre la Bank of New York et les recettes du pétrole angolais, grâce à la gestion parfaitement occulte du régime de Luanda. Pierre Falcone est constamment en affaires avec Glencore et Paribas – entre lesquels Jean-Didier Maille à fait la navette. La société suisse Glencore et la banque française Paribas (chef de file d’un pool d’une dizaine de banques dont la BNP, Worms, la Banque populaire... ) (LDC, 14/12/2000) (24) sont quant à eux, au cœur du système de prêts gagés sur le pétrole futur de l’Angola à des taux extrêmement élevés. Au printemps 2000, Glencore a encore levé 3 milliards de dollars de prêts gagés à l’Angola, avec des banques comme Paribas, la Société générale, la Dresdner Bank Luxembourg, etc. Or, comme Paribas, la Dresdner Bank est l’un des pivots du conseil d’administration de Clearstream (LDC, 8/6/2000) (25).

L’idéologie fasciste fortement présente au sein des élites économiques, politiques et militaires

Étienne Léandri, un grand de la corruption et un proche de Falcone et du clan Pasqua, tandis que Pierre Falcone père est un vieil ami d’Étienne Leandri (26). Ce dernier a par ailleurs initié au monde des ventes d’armes le fils de Charles Pasqua, Pierre-Philippe. Cet intermédiaire de haut vol, proche de Pierre-Philippe et Charles Pasqua, ainsi que de Jean-Charles Marchiani, était jusqu’à sa mort, en 1995, un personnage central des affaires d’armes et de corruption en France. Collaborateur notoire, doté d’un uniforme de la Gestapo, il s’était enfui en Italie après la guerre. Il y était devenu trafiquant de cigarettes, de fausse monnaie et de drogue, branché sur la filière corse de trafic d’opium. Ami de Jo Renucci et Antoine Guerini, il se lie aussi au chef mafieux Lucky Luciano : il le représente auprès de la CIA, dont il rencontre plusieurs fois le patron, Allen Dulles. L’agence américaine apprécie son anticommunisme. Elle obtient en 1955 l’annulation de sa condamnation à vingt ans de travaux forcés pour collaboration. Étienne Leandri rentre en France, il est avec son compatriote corse Charles Pasqua l’un des cofondateurs du célèbre SAC (Service d’action civique). Léandri, Comme Auchi, il y représente officiellement les intérêts d’Elf, Dumez et Thomson – trois groupes où les commissions dépassent parfois allègrement la centaine de millions de francs (Verschave, 2001 : 135).

Corruption de la justice par le capitalisme illégal (le magistrat Fenech) et validation d’élections truquées par le financement de missions d’observation ( Fenech)

Rares sont les affaires illégales concernant les politiques qui font l’objet d’un véritable procès. Alors comment expliquer que l’Angolagate figure parmi ces exceptions. On peut avancer une hypothèse, celle d’une lutte intestine entre différents réseaux à droite. Nicolas Sarkozy a conquis de haute lutte la présidence de la république, contre le réseau Chirac et il s’est lancé en politique, dans le département des Hauts de Seine, sous le parrainage, l’aile de Charles Pasqua, pour ensuite créer son propre réseau. C’est sans doute une des raisons qui explique qu’une fois parvenu au pouvoir en 2008, Nicolas Sarkozy s’échine à déminer le terrain de l’Angolagate. Un autre des raisons qui explique, que Nicolas Sarkozy, cherche à enterrer cette affaire, relève aussi de la défense des intérêts des transnationales françaises. Car dès 2004, les intérêts de Total, bien implantée en Angola, sont directement menacés. « L’Etat angolais allait récupérer les concessions du bloc 3/80 qui arrivent à échéance. Stupeur dans les étages supérieurs de la Tour de la Défense, siège de la compagnie ». C’est donc le bloc 17, très riche en pétrole qui a fait l’objet du chantage (LDC, 11/11/ 2004) (27). En 2008, en Angola, le président français Sarkozy, était accompagné des dirigeants de Total, Castel, EADS, Bolloré, CMA-CGM, AIR France, Thales, et de la Société générale (La Lettre du continent, n°542, 5 juin 2008).

Gilles-William Goldnadel, l’avocat commun à Nart et Gaydamak a participé à la mission d’observation partie cautionner au Gabon la réélection truquée d’Omar Bongo, fin 1998. Cette mission était conduite par le magistrat Georges Fenech, président l’APM (Association professionnelle des magistrats), orientée politiquement très à droite. Elle était financée par le foccartissime Robert Bourgi. Il a dépêché treize juristes, dont l’avocat élyséo-africain Francis Szpiner et Gilles-William Goldnadel. Durant cette mission fut intercepté à Roissy « un familier des dossiers africains [...], porteur d’une mallette contenant une très importante somme en argent liquide. Il avait expliqué que ces fonds provenaient de la “présidence du Gabon” et qu’ils étaient destinés au Club 89 » animé par Robert Bourgi (Le Monde, 09/12/1998) (28). En 1997 déjà, un compte suisse de la société Brenco, du tandem Falcone-Gaydamak, a versé 100 000 francs à la revue Enjeu justice (de l’Association professionnelle des magistrats) que préside Georges Fenech…(Laske, 21/12/2000) (29).

CONCLUSION

On observe donc de nombreux points communs entre les dessous du procès Elf et celui de l’Angolagate. Il y a dans les deux cas un lien fort entre le marché du pétrole et de l’armement, car ce dernier sert aussi à préserver les intérêts pétroliers. Ainsi, à l’exception de Gaydamak (ex-colonel des services secrets russes - KGB), tous les personnages clés suivants ont été aussi membres des services secrets français : Étienne Leandri, Alfred Sirven, Pierre Lethier, Jean-Yves Ollivier. Certains protagonistes clés, tels le général Mouton ou l’agent secret Thierry Imbot passant du service de l’Etat à celui des entreprises privées d’armement. Finalement les intérêts des membres de l’appareil répressif d’Etat (l’armée) et des grandes entreprises convergent, car fondamentalement, elles visent assurer les profits des élites au pouvoir, fussent-il au détriment des peuples. Ces élites soutenant de manière plus ou moins directes les opérations, qui servent finalement aussi les intérêts du complexe militaro-industriel et pétrochimique. De même l’Etat français dit républicain et démocrate appui des pratiques qui relèvent de l’impérialisme, à la fois sous des formes légales, mais aussi souvent illicites. C’est d’ailleurs le même type d’acteurs clés, que l’on retrouve dans les différentes affaires liées à la françafrique et au néocolonialisme des grandes puissances.

Thierry Brugvin

Sociologue

Thierry.brugvin@free.fr

http://thierrybrugvin.site.voila.fr/

(1) Thierry Brugvin auteur du livre, Les mécanismes illégaux du pouvoir, TheBookEdition, 2009. http://81.255.233.62/les—mecanisme...

(2) LDC, Angola : Hélicoptères français détruits et Parrainage français pour le FMI ?, 14/10/1985 et 02/09/1987 ; brève Angola, 13/10/1989.

(3) LDC, Eaux profondes, 12/10/1998 ; La Société Générale hérite du réseau angolais de Paribas, 18/02/1999.

(4) LECADRE Renaud, « Marchiani, l’homme de l’hombre qui embarrasse Sarkozy », Libération, samedi 26 avril 2008.

(5) BEAU Nicolas, MARTIN Hervé, Quand Falcone demandait aux Angolais de financer la liste Pasqua, Le Canard enchaîné, 17/01/2001.

(6) BEAU Nicolas, La Falcone connection servait la France, Le Canard enchaîné, 27/12/2000.

(7) AFP, Angolagate : Charles Pasqua condamné à un an de prison ferme, 27 octobre 2009.

(8) RFI, décembre 2008, « Angolagate, le tribunal jugera 42 personnes », http://www.rfi.fr/actufr/articles/0...

(9) VERSCHAVE François-Xavier, 2001, L’envers de la dette, Criminalité politique et économique au Congo-Brazza et en Angola, Agone.

(10) AFP, Angolagate : Charles Pasqua condamné à un an de prison ferme, 27 octobre 2009.

(11) NOUVELOBSERVATEUR « Angolagate : 42 accusés pourraient être jugés », 23 juin 2008.

(12) BEAU N., Les jeux d’argent des amis de Pasqua en Afrique et Sauve qui peut à Monaco, Le Canard enchaîné, 10/01/2001.

(13) Au moins 15 millions de dollars sont arrivés sur le compte d’une société de Charles Feliciaggi au Crédit foncier de Monaco. Jean CHICHIZOLA, D’Annemasse à l’Angola, le jeu de piste des enquêteurs, Le Figaro, 19/06/2001.

(14) JOHANNY Stéphane, Jean-Christophe Mitterrand, du fait divers à l’affaire d’État, Le Journal du Dimanche, 24/12/2000.

(15) Comme le précise aimablement l’avocat de Jean-Christophe Mitterrand, Me Jean-Pierre Versini-Campinchi, cité par Fabrice Lhomme ( La libération de M. Mitterrand suspendue au versement d’une caution, in Le Monde, 04/01/2001).

(16) TOMASOVITCH Geoffroy, Pierre Falcone, homme d’affaires et de relations, Le Parisien, 22/12/2000.

(17) VALDIGUIE L, Les “affaires” africaines d’Attali, de Pasqua et du fils Mitterrand, Le Parisien, 02/12/2000.

(18) LDC, France : “Affaires africaines d’État ?, 14/12/2000.

(19) FOUTOYET Samuel, Que fait la France en Afrique, Renseignements généreux, octobre 2006.

(20) ROUTIER Airy, Enquête sur une affaire d’État, Le Nouvel Observateur, 28/12/2000.

(21) Verschave, 2001 : 129-132.

(22) ROUSSELOT Fabrice, Le clan, le parrain, et les 15 milliards de dollars, Libération, 27/08/1999.

(23) ROBERT Denis, Révélation$, Les arènes, 2001, p 216.

(24) LDC, France : “Affaires africaines”, 14/12/2000.

(25) LDC, Glencore, 3 milliards $ de crédits syndiqués, 08/06/2000.

(26) CAUMER Julien, Les requins, Flammarion, 1999.

(27) LDC, (La Lettre du continent), n°458, 11 novembre 2004.

(28) LE MONDE, Soupçons sur les observateurs français des élections gabonaises, 09/12/1998.

(29) LASKE Karl, THORAVAL Armelle, L’étrange don du marchand d’armes, Libération, 21/12/2000.


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