LETTRE OUVERTE À MES AMIS DU NPA ET DU PCF

mardi 24 novembre 2009.
 

Cher-ères ami-e-s et camarades,

C’est en tant que simple militant, extérieur à vos organisations, que je m’adresse à vous.

La consultation des adhérentes et adhérents de vos partis sur les élections régionales est ouverte. Parce que les choix que vous allez faire engagent, bien au delà de vos rangs, l’ensemble de celles et ceux qui veulent contribuer, à la fois à combattre les politiques sarkoziennes et à disputer au parti socialiste son hégémonie sur « la gauche », il ne m’apparaît pas inconvenant que ces débats soient publics. Ce n’est pas seulement, ce n’est pas d’abord de vos partis qu’il est question, mais de la gauche radicale dans son ensemble.

Le projet de réforme des collectivités territoriales annoncé par Nicolas Sarkozy est tel que c’est peut-être la dernière fois que nous avons l’occasion d’utiliser le minimum démocratique que représente l’existence d’un scrutin de liste à l’occasion de ces élections ; il est en effet envisagé que les prochains « conseillers territoriaux » soient élus sur la base de scrutins uninominaux à un tour, organisés par cantons : un mode de scrutin dont la vocation est de laminer, dans les conseils généraux et régionaux, tout courant politique extérieur au face à face du parti socialiste et de l’UMP.

Allons nous perdre cette occasion de manifester notre opposition au libéralisme brutal et au social-libéralisme, au pouvoir absolu et sans limite des tenants du système capitaliste ?

La gauche radicale a plusieurs visages, elle se divise en plusieurs courants entre lesquels existent des contentieux historiques, des désaccords et des malentendus, en plusieurs traditions longtemps séparées pour le plus grand profit de l’ordre dominant. Il n’est pas question ici pour moi de trancher sur la teneur de ces malentendus et de ces désaccords, de donner un satisfecit à tel courant ou à telle tradition. Non que ces débats soient sans intérêt, mais il sera toujours temps de les tenir demain ; et je préfère qu’ils aient lieu à l’issue d’un succès unitaire plutôt qu’à l’issue d’une défaite historique qui pourrait nous enfermer dans une longue période de reflux et d’isolement.

À chacune et chacun, il importe de prendre la mesure des avancées de notre situation commune. Alors qu’en 2004, le PCF avait dans 17 régions métropolitaines sur 21, choisi au premier tour une alliance de type « gauche plurielle » avec le parti socialiste, c’est dans un rapport inverse que les prochaines régionales pourraient bien se présenter. Alors que la LCR avait alors fait le choix d’une alliance sectaire avec Lutte Ouvrière, le NPA propose aujourd’hui de larges alliances, rassemblant l’essentiel de l’arc politique à la gauche du parti socialiste. Sur ce principe, comme le NPA, le PCF, le PG, les Alternatifs, la Fédération, le Forum Social des Quartiers Populaires, le PCOF, et nombre de militant-e-s engagées dans divers mouvements sociaux sont prêts à s’engager. Cela ne va pas sans concessions réciproques, et la question, pour chacune et pour chacun, est de déterminer jusqu’où peuvent aller ces concessions, au regard de l’enjeu décisif devant lequel nous nous trouvons.

Après de longues discussions, menées tant aux plans local que national, la seule hypothèque qui plane sur la possibilité d’un accord pour une grande campagne unitaire et dynamique doit pouvoir être levée. Il est clair qu’il ne s’agit pas d’un point mineur, mais d’un point qui engage la conception que chaque organisation se fait des voies de l’action politique institutionnelle. Elle a été posée sous la forme suivante : les élu-e-s de la gauche radicale, s’ils se trouvent en minorité dans des majorités de gauche, derrière le bloc que constitueraient le parti socialiste et Europe Écologie, doivent ils accepter - et même revendiquer - de participer aux exécutifs régionaux, ou doivent-ils au contraire se mettre d’emblée en situation d’opposition ?

La fidélité aux engagements pris devant les électrices et les électeurs à l’occasion du premier tour me semble être un impératif indiscutable. Nous avons toutes et tous le souvenir cuisant du gouvernement de la « gauche plurielle », entre 1997 et 2002, et de la catastrophe politique qui a pu en résulter, de la démobilisation politique qui s’en est suivie. En renonçant aux objectifs politiques qu’il avait proclamés, en faisant preuve dans le gouvernement Jospin d’une solidarité gouvernementale et législative sans faille, le PCF a largement contribué à cette démobilisation. Les militant-e-s du parti communiste le savent bien, et dans leur grande masse, ils en ont retenu la leçon : ils n’envisagent pas de retomber dans la même ornière. Pour autant, ils n’estiment pas par principe impossible de faire progresser des politiques de ruptures par une participation aux exécutifs régionaux qui serait soutenue par le mouvement social. Ils entendent prendre leurs responsabilités, dès lors qu’ils sollicitent les suffrages des électeurs, pour faire effectivement avancer les propositions qu’ils auront faites lors de la campagne.

Dans le NPA, issu de diverses traditions anticapitalistes, nombreux sont celles et ceux qui s’interrogent, qui craignent les compromissions de leurs partenaires, et qui veulent éviter de nouvelles désillusions. Ils veulent que leurs élus conservent toute leur indépendance à l’égard du parti socialiste et plus généralement de la « gauche » d’aménagement du système. Je partage cette crainte, tant il est vrai que chat échaudé craint l’eau froide, et que nous avons été suffisamment échaudés comme ça.

Cette crainte suffit-elle à faire le choix d’une division mortifère pour l’ensemble de la gauche radicale ? Je ne le crois pas. Il faut donner une chance à l’unité  ; ceux qui la trahiraient, par exemple en acceptant des compromissions inadmissibles, en supporteraient les conséquences politiques.

Nous devons aller unis aux élections régionales. Nos candidat-e-s doivent affirmer clairement que leur engagement auprès des électrices et des électeurs sera celui qui aura été pris à l’occasion du premier tour ; que toute participation aux exécutifs ne pourra avoir d’autre but que de faire avancer les politiques pour lesquelles les listes d’union du premier tour auront été constituées. La politique d’un conseil régional n’est d’ailleurs pas tout d’un bloc, même si elle a une cohérence globale. Il sera toujours possible de soutenir certaines mesures, et de s’opposer à d’autres, avec le soutien du mouvement social. Aucun lieu, aucune fonction n’est incompatible avec cette attitude. Si l’histoire, en France comme à l’étranger, montre les conséquences désastreuses des compromissions et des abandons, l’expérience montre aussi que des élus peuvent participer à des exécutifs sans perdre leur âme, sans trahir celles et ceux qui leur ont fait confiance.

En outre, des listes unitaires garantiraient la présence dans les conseils régionaux de tout l’arc de la gauche radicale ; en cas de désaccords ultérieurs, chacun-e resterait libre de ses positionnements : il serait toujours temps de faire le point, de faire les comptes, et de laisser la masse de celles et de ceux qui aspirent à de vrais changements juger sur pièces. L’unité ne signifie pas l’abandon des débats nécessaires pour faire bouger les lignes et les rapports de forces à l’intérieur même de la gauche radicale. Elle est par contre une condition pour faire bouger les lignes et les rapports de forces entre la gauche d’adaptation et la gauche de transformation, d’une part, entre la gauche et la droite d’autre part.

Les victimes du système, les précaires, les chômeurs, les discriminés, les salariés dont l’emploi est menacé, les femmes, les usagers de services publics en danger, les travailleurs soumis à des conditions de travail qui les poussent parfois au suicide, les mal logés, mal lotis, mal nourris, maltraités par les politiques au service du capital ont besoin de pouvoir s’exprimer d’une voix claire. L’éparpillement des forces de changement est leur pire crainte, et une cause bien plus importante de démobilisation politique et de désillusion que l’attitude que tel ou tel élu, tel ou tel courant d’un large rassemblement pourrait adopter - à ses risques et périls - une fois les élections passées.

Vous avez, dans la consultation des adhérent-e-s engagée par vos partis, la possibilité de décider de l’unité ou de la division. Je crois exprimer un sentiment très largement partagé en vous demandant de manière solennelle de ne pas faire le choix de la défaite et de la démobilisation, mais celui de la dynamique unitaire. Il faudra prendre soin de gérer cette dynamique pour lui éviter les ornières qui ne manqueront pas de se présenter. Mais ce n’est pas en y mettant fin avant qu’elle ne soit réalisée que vous oeuvrerez dans ce sens. Vous n’êtes pas propriétaires de la politique. Je regrette que les structures de la politique vous donnent ce pouvoir immense de décider à la place des intéressé-e-s si oui ou non ils et elles pourront s’exprimer à l’occasion de ce scrutin pour dire : « Nous voulons combattre le régime de Sarkozy, nous ne faisons pas confiance pour cela au parti socialiste, nous voulons agir dans l’unité de toutes celles et de tous ceux qui, au delà de leurs différences ou de leurs divergences veulent aujourd’hui la même chose ».

Refuser l’unité aujourd’hui, à cause de possibles désaccords ultérieurs, c’est trahir celles et ceux qui attendent de nous que nous soyons parmi eux, dans leurs combats quotidiens, et que nous les considérions comme les véritables acteurs et actrices de la vie politique. Ce que je vous demande, c’est de ne pas commettre cette trahison. La balle est dans votre camp.

Laurent Lévy, Ivry-sur-Seine.


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