A propos d’une distribution de billets, d’affrontements, et de la mise en cause des valeurs républicaines

samedi 21 novembre 2009.
 

Samedi 14 novembre, on apprenait que des échauffourées avaient eu lieu dans le quartier de la Tour Eiffel à Paris en cours d’après-midi. Et de façon anodine, l’information livrait « qu’une distribution de billets de banques » avait mal tourné. « Une distribution de billets de banques » ? On connaissait les « braquages » de fourgons ou d’agences bancaires, mais des distributions de billets de banques ? Et bien, oui ! Derrière ce qui n’est présenté que comme un simple fait divers, un « fait de société » dirait-on pudiquement, ne faudrait-il pas s’arrêter quelques instants sur les faits, sur la réalité sociale du pays qui s’en dégage, sur toutes les tentatives d’exploitation de la misère, mises en exergue à de simples fins commerciales ?

Indécent et Ignoble

Les faits sont simples. Pour se faire un « coup de pub », un site de « commerce en ligne » avait décidé d’alerter les médias sur « une initiative originale ». Des billets de banques seraient distribués devant caméras et photographes venus immortaliser la scène, devant le logo, la marque du site, évidemment !

Ainsi donc, Alors que la pauvreté s’accroît dans le pays à une vitesse vertigineuse, les chiffres officiels annonçant le passage de la barre des 8 millions pour les personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté, alors que les licenciements et les délocalisations se multiplient, alors que chacun sent bien que le pire est sans doute à venir, voilà qu’on demande à quelques hordes de pauvres de venir jouer les faire valoir d’une marque pour quelques billets. Une horde de figurants destinée à sortir de l’ombre quelques minutes, histoire de servir les intérêts de l’entreprise privée, avant de redevenir anonyme quelques instants plus tard.

Outre le fait que ce sont surtout des jeunes qui se sont rendus sur les lieux, des couches plus particulièrement frappés par la crise de l’emploi et du logement, en recherche de travail pour un salaire, ou encore des lycéens ou collégiens, il y a là quelque chose d’indécent, d’ignoble, de moralement inadmissible !

Les uns cherchent les moyens d’une vie décente, les autres leur offrent la mendicité l’espace d’un instant !

A vomir !

De la farce au drame

7000 jeunes donc, censés accepter le parcage derrière des barrières, prenant docilement le billet, disant poliment merci avant de disparaitre et permettre à la société de commerce en ligne de tirer bénéfice au nom de la charité, de l’assistance, de la bonne conscience judéo chrétienne qui substitue en général l’aumône aux droits, ont fait le déplacement.

Seulement, 7000, c’était trop. Les organisateurs avaient prévu 50 personnes pour les canaliser. Vite dépassés donc, ils durent annuler avec pour conséquence les débordements prévisibles, jets de pierres, magasins vandalisés, vitrines brisées, et voitures endommagées.

Dés lors se pose une question : où sont donc les responsabilités ? Sinon dans cette idéologie qui au nom de la réussite entrepreneuriale permet à un site commercial d’organiser le désordre, de susciter la hargne, d’engendrer la violence ?

Pouvoirs publics complices ?

Tout le monde aurait-il été pris de court ? Non. On apprend ainsi que « l’opération a été annulée par mesure de sécurité, à la demande de la préfecture de police ». Un porte parole indique en effet que « Compte tenu de troubles majeurs à la circulation constatés sur le secteur du Champ de Mars et d’importants mouvements de foule, la préfecture de police a demandé à l’organisation, conformément à son engagement, de ne pas procéder à la distribution d’argent".

Mais quelle est donc la signification d’un tel communiqué ?

En fait, la demande a-t-elle été faite en bonne et due forme par les organisateurs distributeurs de billets, et les pouvoirs publics ont-ils donné toutes les autorisations pour que sur la voie publique se mène ce type d’opération ?

Des manifestations revendicatives peuvent être annulées, mais là, rien de ce genre. La seule faute aurait-elle été de ne pas mettre assez de policiers sur le terrain alors que les images monteront les forces de l’ordre matraquer des jeunes gens, mais jamais les organisateurs mis devant leurs propres responsabilités ?

Si l’état devait être assimilé à ce genre de manifestation ou soupçonné de passivité vis-à-vis des organisateurs, c’est sa crédibilité qui serait un peu plus atteinte, et la démocratie qui en fin de compte reculerait toujours un peu plus, au détriment de la vie commune et des règles républicaines qui l’organisent.

Et si on parlait de récidive ?

Car c’est bien la vie républicaine, la base de la société qui est menacée. Les organisateurs se défendent : « On ne pouvait pas prévoir qu’il y aurait tellement de monde », a indiqué Stéphane Boukris, organisateur de la distribution. "Je ne peux pas être content que ça ne se soit pas passé comme prévu. On essaie d’aller plus loin, de faire de grandes choses, ça implique des responsabilités, ça implique des risques, et c’est pour ça qu’on n’a voulu en prendre aucun aujourd’hui en annulant la manifestation", a-t-il ajouté.

Mais de qui se moque-t-il ?

Le garçon en question, qui se présente comme diplômé d’une école de commerce, n’en n’est pas à son coup d’essai. Il y a quelques mois déjà, c’est lui qui proposait sur Internet un service aux élèves : faire leurs devoirs à leur place. Un coup commercialement gagnant. 80 000 connexions en trois heures, 180 000 en trois jours. « 40 000 commandes que pouvaient fournir 150 professeurs recrutés pour l’occasion, des étudiants », soit beaucoup d’argent en vue.

Dans une société où la valeur se mesure aux dividendes acquis pour les actionnaires ou à l’imagination qui permet d’engranger vite des bénéfices sur le travail des autres, ou la crédulité du plus grand nombre, le jeune garçon a du talent, à n’en point douter. Mais cela importe peu. Le cœur de la question est ailleurs. Il s’agit de Moral au sens précis du terme, de politique, de république, de social !

Jacques Cotta


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