Les enfants sacrifiés de la junte birmane

dimanche 7 août 2005.
 

Faillite du système éducatif, armée qui enrôle dès 11 ans, déplacements forcés de populations...

Réunis à Genève, plusieurs ONG ont dénoncé le sort réservé aux enfants qui grandissent sous la dictature birmane. L’Organisation internationale du travail vient de publier un rapport qui démontre qu’il est possible de mettre fin à l’exploitation des enfants.

« Le Myanmar est l’un des pays en développement qui se préoccupent le plus du bien-être des enfants. » Le régime militaire qui tient sous sa botte la Birmanie (qu’elle a renommée Myanmar) n’a pas peur de l’emphase. Cette citation est tirée du deuxième rapport que les autorités birmanes vont présenter devant le Comité des droits de l’enfants des Nations Unies en mai prochain. Pour préparer cette échéance, plusieurs organisations de défense des droits humains se rencontraient jeudi dernier à Genève. Et c’est peu dire que leur appréciation de la situation diverge de la propagande officielle. Un chiffre résume le « souci » des militaires birmans pour le sort des enfants : pour les années 1998 et 1999, l’Etat a consacré moins de 7% de ses dépenses à l’éducation contre 49% pour son armée. [1] Le déséquilibre se serait encore accentué, selon les ONG réunies à Genève.

Depuis leur coup d’Etat de 1962, les militaires concentrent toutes les richesses du pays, confisquant si besoin les terres et les biens ou recourant au travail forcé. Leur mainmise sur la société birmane s’est renforcée après les manifestations pour la démocratie de 1988 – qui furent réprimées dans le sang – et après les élections de 1990 remportées par la Ligue nationale pour la démocratie (LND) de la Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi. La junte ne reconnut pas sa défaite et emprisonna les leaders de la LND. Aujourd’hui, Aung San Suu Kyi se trouve à nouveau en résidence surveillée, après une année de liberté entre 2002 et 2003.

Bastions de la contestation, les universités ont réouvert en 2000, mais, comme le reste du système éducatif, elles manquent cruellement de fonds. « Ce n’est pas comme les établissements réservés aux enfants d’officiers », relève Thar Nyunt Oo. Ce dirigeant de la Fédération des étudiants birmans (All Burma Federation of Student Unions – ABFU) a dû s’exiler à Bangkok en 1996, après avoir passé quatre ans en prison pour ses activités politiques. Près d’un millier d’étudiants seraient toujours derrière les barreaux.

ÉLÈVES EMBRIGADÉS

« Officiellement, l’école primaire est gratuite, poursuit M. Nyunt Oo. Dans les faits, les parents doivent assumer les coûts d’entretien de l’école, acheter tous les livres et les cahiers, cotiser pour que leurs enfants fassent partie de l’organisation d’élèves affiliée au gouvernement... » Dans son dernier rapport sur les enfants birmans, la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) mentionne que, pour s’en sortir, les enseignants donnent des leçons privées en plus de leurs heures normales. « Ce n’est qu’en cette occasion que les élèves ont la chance de poser des questions et de faire des exercices. »

Résultat : environ un tiers des élèves birmans termine l’école primaire, selon l’UNICEF. Le taux d’abandon est plus élevé au secondaire. De toute manière, la plupart des familles ne peuvent envoyer leurs enfants à l’école. Dans cette Birmanie sous sanctions internationales et sinistrée par quatre décennies de dictature, les parents ont besoin de tous les bras. « Les enfants travaillent dans les champs et gardent les troupeaux », explique Anna Biondi. Septante pour cent de la population vit dans des zones rurales.

Selon la syndicaliste de la CISL, « les restaurants et les bistrots à thé des grandes villes recourent largement à une main d’œuvre infantile ». On trouve aussi des enfants dans l’industrie, d’autant plus que tous les syndicats ont été interdits.

BOUCLIERS HUMAINS

Il y a aussi le travail forcé effectué pour le compte de l’omnipotente armée. Une pratique pour laquelle la junte est depuis des années dans le collimateur de l’Organisation internationale du travail (OIT). Les tâches incluent la construction et l’entretien de routes et de voies de chemin de fer. L’armée réquisitionne aussi des porteurs pour acheminer munitions et matériel, y compris dans les zones de combat. « Mal nourris, battus et parfois exécutés, les porteurs servent aussi de boucliers humains », peut-on lire dans le rapport de la CISL.

Selon les ONG, les enfants ne sont pas épargnés. « Lorsqu’un ordre de recrutement arrivait pendant la saison des récoltes, nous ne pouvions pas nous absenter des champs. Nous envoyions alors les enfants à notre place », témoigne une femme de l’ethnie Shan, réfugiée en Thaïlande où elle a été interrogée par l’équipe de la CISL. Là aussi, difficile de se faire une idée du nombre d’enfants réquisitionnés.

Plus de certitudes à propos des bataillons d’enfants qui servent sous les drapeaux. « L’armée birmane est le plus grand recruteur d’enfants au monde. Un quart de ses effectifs est composé de soldats de moins de 18 ans, soit 70 000 enfants. Elle enrôle à partir de 11 ans », accuse Kevin Heppner, consultant pour Human Rights Watch (HRW). Il est l’auteur du rapport « Mon fusil est aussi grand que moi », publié en octobre 2002. « Depuis, si peu a changé », dit-il.

Pour le chercheur, il ne fait aucun doute que s’ils allaient à l’école, les jeunes Birmans seraient moins exposés aux sollicitations des militaires. « Les recruteurs abordent les enfants dans la rue, dans les gares, aux arrêts de bus. Ils touchent une prime proportionnelle au nombre de recrues qu’ils arrivent à convaincre. Et comme il est plus facile d’intimider un enfant qu’un adulte... »

LA PRISON OU L’ARMÉE

M. Heppner continue : « Les militaires contrôlent les papiers des enfants. Comme la plupart d’entre eux n’en ont pas sur eux, ils ont le choix entre la prison et l’armée. Si nécessaire, les garçons sont emmenés de force ».

Les enfants soldats participent aux combats contre les groupes rebelles. Ils sont poussés à réquisitionner des civils pour le travail forcé, brûler des villages, terroriser leurs habitants, énumère M. Heppner dans son rapport pour HRW. Les jeunes recrues subissent eux-mêmes les brimades et les coups. « Certains désertent... pour se retrouver dans les rangs des forces d’opposition. D’autres se suicident », pointe M. Heppner.

DÉPLACEMENTS FORCÉS

Quoiqu’en dise la junte, la Birmanie est bien en état de guerre. Ce depuis 1948, après l’assassinat d’Aung San, héros de l’indépendance. Avec la disparition du père d’Aung San Suu Kyi, c’était la fin du projet d’un Etat fédéral accordant une large autonomie aux minorités ethniques (Shans, Karens, Karennis...).

Les exactions commises par l’armée contre ces populations sont bien connues. « Elles procèdent de la théorie selon laquelle il faut assécher le bassin du poisson pour qu’il ne puisse plus nager », commente M. Heppner. Chaque année, la Commission des droits de l’homme de l’ONU condamne les déplacements forcés de populations dans les zones d’insurrection. On estime que deux millions de personnes ont fui vers la Thaïlande. Alors qu’un nombre indéterminé d’habitants de ces régions rentrent dans la catégorie des « déplacés internes ».

De l’autre côté du pays dans l’Etat de l’Arakan (ouest), le sort réservé à la minorité musulmane est moins connue. « Les Rohingyas (les habitants de cet Etat, ndlr) ont été privés de leur citoyenneté par la loi sur la nationalité de 1982. Ils doivent se procurer un permis spécial s’ils veulent se déplacer hors de leurs villages », dénonce Chris Lewa. « Réduire l’accès à la nourriture fait partie d’une stratégie du régime militaire. C’est la principale cause de l’exode des Rohingyas au Bangladesh voisin (...). Plus de 60% des enfants souffrent de malnutrition chronique », écrit-elle dans son rapport.

Le document sera adressé aux experts onusiens chargés d’examiner en mai le rapport officiel du Myanmar. Un pays « en paix » qui « ne connaît pas de problèmes de réfugiés ».

Note : 1 Source : UNICEF (« Children and Women in Myanmar. Situation Assessment and Analysis », avril 2001).


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