L’information en danger, le cri d’alarme des syndicats de journalistes Lettre ouverte au président 
de la République (par 3 syndicats de journalistes SNJ, CGT, CFDT)

lundi 9 novembre 2009.
 

... Depuis votre élection à la présidence de la République, les syndicats de journalistes (SNJ, SNJ-CGT, USJ-CFDT) constatent que la situation des médias s’est sensiblement aggravée.

Il n’est pas un jour sans qu’un journal, un hebdomadaire, une radio, une télévision ne licencie des journalistes en prétextant la crise économique. Parallèlement, des journaux disparaissent. La presse gratuite – longtemps présentée comme « La solution » à la désaffection du lectorat – est dans le rouge. Les quotidiens à faible revenu publicitaire connaissent d’amples difficultés.

Les plans « sociaux », les plans de départs volontaires, les licenciements se sont multipliés tout au long de l’année. 2 300 journalistes – c’est un premier bilan – seraient venus gonfler les rangs des chômeurs. Pour une profession regroupant 38 000 salariés, la saignée est énorme.

De plus, un cinquième de la profession est précarisé. Certains pigistes gagnent à peine le smic, contraignant la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels à abaisser à un demi-smic le minimum requis pour leur reconnaître l’appartenance à la profession. Peut-on vivre décemment avec un tel revenu  ? Peut-on exercer sérieusement la profession de journaliste dans un tel état de dénuement  ?

Cela n’empêche pas un dirigeant d’un grand groupe de presse magazine de revendiquer une prime de départ de 2 millions et demi d’euros  !

Cela n’empêche pas non plus la plupart des dirigeants d’entreprises de presse, auxquels vous avez accordé des aides substantielles, par le biais des états généraux de la presse écrite, de continuer à mener des politiques managériales qui amenuisent les moyens des rédactions et les empêchent de remplir correctement leur mission, réduisant l’information à l’état de marchandise insipide, compromettant la qualité des contenus et, par là même, l’avenir de leurs médias.

Le pluralisme est atteint en son cœur. Les fusions, les rachats, les concentrations au profit de grands groupes de presse dont vous vous félicitez d’être proche (Lagardère, Bolloré), ou du Crédit mutuel (groupe Ebra), ne contribuent pas à sauver, ni même à conforter les titres. Au contraire, ils en font disparaître l’identité et la diversité. Les lecteurs ne s’y retrouvent pas, délaissant de plus en plus l’information spectacle, la « pipolisation » croissante, l’infomerciale et l’uniformisation.

Regagner des lecteurs, retrouver la confiance de ceux qui nous lisent ou nous écoutent, exige une réflexion sur le contenu et la qualité de l’information. Voilà qui nécessite de mobiliser toutes les compétences  : celles des journalistes « d’expérience », que les coupes claires faites dans les effectifs des rédactions poussent irrémédiablement vers la porte. Et celle de jeunes journalistes motivés, diplômés, mais cantonnés dans des contrats sans lendemain, à faire, devant leur écran, du journalisme loin du terrain.

Lorsque la seule préoccupation des actionnaires est de rentabiliser les « tuyaux », sans se soucier de la qualité des contenus du moment qu’ils en gardent le contrôle, cela conduit à une politique dangereuse pour l’information.

Les syndicats de journalistes (SNJ, SNJ-CGT, USJ-CFDT), concernés depuis toujours par la déontologie et les principes professionnels, affirment haut et fort que l’intégration d’une charte dans la convention collective des journalistes serait un signal fort en direction de l’opinion publique, lassée des dérives récurrentes et des approximations. Hélas, tous leurs efforts pour faire partager ce souci aux représentants des éditeurs sont restés vains.

Un projet de code de déontologie vient d’être rendu public. Permettra-t-il enfin d’engager la discussion entre représentants des journalistes et des patrons  ? C’est une question  ! Cette discussion sera-t-elle ouverte et sincère  ? C’en est une autre.

En tout cas, les syndicats de journalistes ne pourront accepter un code qui n’engagerait pas la responsabilité de tous les acteurs de la chaîne éditoriale, du plus humble des rédacteurs jusqu’au directeur de la publication, en passant par tous les stades des hiérarchies rédactionnelles.

Ils ne sauraient accepter un code qui cherche à faire porter le chapeau au seul journaliste de terrain, dont la tâche est déjà rendue plus que difficile par les dérives éditoriales et économiques imposées par les éditeurs, ainsi que par des conditions de travail considérablement dégradées.

Ils ne sauraient accepter non plus un code où les responsabilités devant les citoyens ne seraient pas une priorité. Oui, les journalistes ont le devoir d’informer. Mais pour se faire il faudrait leur reconnaître des droits et des conditions de travail compatibles avec un vrai travail d’investigation et de vérification. Une information de qualité se doit d’être libérée du poids des actionnaires, des fonds de pension, des publicitaires et des politiques. Qu’attend la France pour reconnaître par la loi l’indépendance des rédactions face aux groupes industriels qui contrôlent notre profession  ?

Les journalistes dans ce pays n’ont toujours pas la garantie de voir leurs sources protégées, alors que la loi et la justice européennes l’imposent. Ils risquent de voir débarquer la police dans leur rédaction, comme au Canard enchaîné, à l’Équipe, au Point, à Midi libre, à la Nouvelle République du Centre-Ouest, à la République du Centre, etc. Dans l’audiovisuel public, la situation n’est guère plus brillante. L’avenir de France Télévisions, de Radio France, est obéré par la suppression de la publicité sans la garantie de moyens équivalents « à l’euro près ». 900 emplois sont déjà dans le collimateur à France Télévisions, soit 10 % de l’effectif.

Parallèlement, le contrôle du pouvoir devient de plus en plus prégnant à la suite de votre décision de nommer vous-même les dirigeants des chaînes, exemple unique en Europe.

Le temps de l’ORTF où le ministre de l’Information dictait sa loi ne semble plus si lointain.

L’audiovisuel extérieur est également menacé, après le rapprochement en une seule entité de France 24, RFI et TV5.

Faut-il rappeler qu’un plan de 206 licenciements est programmé à RFI sans la moindre justification sérieuse, et sans que les salariés et leurs syndicats, malgré leur longue grève, n’aient pu être entendus. À France 24, on propose aux pigistes le statut d’auto-entrepreneur, contraire à la convention collective des journalistes. Il est choquant que le service public, où l’État est le principal actionnaire, donne le mauvais exemple de la précarisation des emplois  !

Et que dire encore du rôle que vous voulez assigner à l’AFP en optant avec la direction de cette agence mondiale, la seule non anglo-saxonne, pour son étatisation après avoir mis à l’encan son statut qui depuis un demi-siècle a préservé son indépendance. Le porte-parole de l’UMP, Frédéric Lefebvre, avait lancé l’offensive il y a quelque temps contre cette rédaction, libre de tout capital et actionnaires, pour tenter en vain d’en faire « la voix de son maître »  ? Alors étatisation de l’AFP avant sa privatisation  ? Comme à GDF  ? Comme à La Poste  ?

Comment ne pas être scandalisé par les licenciements chez Gamma, une agence photo de renom mondial grâce à ses photographes. Où est la réaction indignée de votre gouvernement et de vous-même devant ce bradage du patrimoine national par un fonds d’investissement pour lequel les rendements financiers sont plus importants que la culture et le patrimoine  ?

Monsieur le Président, en cette journée européenne pour la défense du journalisme, les trois syndicats français membres de la FEJ vous demandent  :

– d’accéder à leur demande d’une réforme législative qui viserait à reconnaître enfin l’indépendance juridique des équipes rédactionnelles quelles que soient la forme de presse et la taille de l’entreprise médiatique  ;

– de veiller à ce que les aides publiques à la presse ne servent plus seulement à enrichir des actionnaires ni à regarnir provisoirement des trésoreries, mais accompagnent des politiques volontaristes privilégiant la qualité de l’information et la sauvegarde des emplois  ; – de garantir des ressources pérennes pour que les services publics de radio et de télévision remplissent pleinement l’intégralité de leurs missions  ;

– de confirmer à l’audiovisuel extérieur de la France ses missions dans toute leur plénitude ou leur diversité.

PAR ALAIN GIRARD, PREMIER SECRÉTAIRE NATIONAL DU SNJ, DOMINIQUE CANDILLE, SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DU SNJ-CGT, NICOLAS THIERY, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA USJ-CFTD.


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