De l’antijudaïsme à l’antisémitisme, les racines de la question juive

samedi 30 juin 2012.
 

Dans un propos magistral, Élisabeth Roudinesco décortique, depuis les Lumières émancipatrices jusqu’au négationnisme contemporain, l’énigme de la judéité en montrant comment l’existence et le rôle d’Israël cristallisent le débat idéologique et politique.

Retour sur la question juive, d’Élisabeth Roudinesco. Éditions Albin Michel, 2009, 320 pages, 20 euros.

Ce nouveau livre d’Élisabeth Roudinesco aurait aussi bien pu s’intituler Retour de la question juive. Il part en effet d’un constat, terrible, mais que tout le monde peut faire : le conflit israélo-palestinien, non résolu depuis la création d’un « État des juifs » en Palestine en 1948, exacerbé par l’occupation de toujours plus de terres arabes palestiniennes, « est désormais au cœur de tous les débats entre intellectuels ». Qu’ils soient juifs ou non, constate l’auteur, ils n’hésitent pas à s’envoyer à la figure la pire de toutes les injures, celle de l’antisémitisme, qui vise notamment ceux qui osent critiquer Israël.

La citation qui ouvre le livre de l’historienne et psychanalyste plonge au cœur du problème. C’est une phrase criée aux soldats israéliens venus les déloger d’une colonie installée dans la ville d’Hébron, par de jeunes colons juifs : « Des nazis, voilà ce que vous êtes, vous êtes pire que les Arabes ! » Ainsi, des juifs traitent d’autres juifs de« nazis ». Ils ne sont pas les seuls : la comparaison est souvent faite dans le monde musulman.

C’est cet abominable retour de la question juive que l’auteure questionne, cherchant dans l’histoire les racines du mal, mais aussi les antidotes : philosophie des Lumières, laïcité, universalisme. Elle distingue l’antijudaïsme chrétien de l’antisémitisme né en France, où il s’exprime avec force dans l’affaire Dreyfus. Il nourrira le sionisme, mais aussi les théories raciales et leur aboutissement ultime, le nazisme, et aboutira à la naissance d’une « nouvelle conscience juive ». Élisabeth Roudinesco montre, à travers des références nombreuses et précises, les débats intellectuels et politiques qui se sont déchaînés depuis deux siècles, opposant des écrivains mais aussi des savants, certains allant jusqu’à faire de la psychanalyse freudienne, une « science juive » et du marxisme, une « théorie juive » combattues comme telles par les antisémites. C’est l’occasion de très belles pages sur Freud, Hannah Arendt ou, plus près de nous, Derrida, Edward Said et Jean Genet.

Ces débats ont gagné l’Orient puis le monde avec la colonisation et la création de l’État d’Israël, né du sionisme et de la Shoah. La « question juive » aurait-elle pu se résoudre, selon le rêve de Herzl (décrit comme un exemple de « haine de soi ») par la création d’Israël ? La polémique a fait rage dès le début du sionisme au cœur de la communauté juive, opposant, parfois violemment, « universalistes » (Freud ou Einstein) et territorialistes qui ont fait du sionisme, un nationalisme devenu colonial. Car, la « terre promise est devenue terre conquise », au prix de la destruction d’un autre peuple, les Palestiniens. On n’est pas loin du « pêché originel d’Israël », dénoncé par les nouveaux historiens israéliens. Et tout près du cauchemar de Freud, qui voyait dans les conditions de la création d’Israël le risque d’une « guerre perpétuelle » entre « juifs racistes et Arabes antisémites », voire de la destruction du judaïsme.

Aujourd’hui, la question juive s’appelle Israël, dans la mesure où cet État prétend devenir un « État juif pur », c’est-à-dire un état racial, non démocratique, refusant l’autre peuple.

En refermant le livre d’Élisabeth Roudinesco, on est tenté de se poser cette question : le judaïsme dans un seul pays ne risque-t-il pas de finir aussi mal que le socialisme dans un seul pays ? Certains, comme Philip Roth, ont répondu en proposant, à rebours du sionisme, le « diasporisme », c’est-à-dire le départ d’Israël de tous les juifs attachés aux valeurs du judaïsme.

Françoise Germain-Robin


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