Alerte à Mayotte J’accuse

dimanche 12 mars 2006.
 

J’aurais pu intituler mon propos « j’accuse », mais je n’en ai pas la prétention, tellement éloigné du talent d’un écrivain qui, plus d’un siècle après les faits qu’il a romancé, passionne des jeunes lecteurs comme il m’a passionné, véhiculant à travers ses romans tant de valeurs humanistes que la France, à travers ses intellectuels, a su porter et défendre.

Je constate juste un certain parallélisme, toutes proportions gardées, entre l’affaire Daniel BACAR, jeune embauché à un poste de cadre subalterne à la caisse de sécurité sociale de Mayotte qu’un mouvement populaire veut voir licencié pour que sa place soit donné « à un jeune d’origine mahoraise », et l’affaire Dreyfus, capitaine (officier subalterne) de l’armée française.

• La référence à l’origine : reproche-t-on à Daniel BACAR d’être franco-comorien, comme on reprochait à Dreyfus ses origines juives.

• La présence d’un ennemi : les Comores sont aujourd’hui à Mayotte ce que l’Allemagne était à la fin du XIXème siècle à la France : l’ennemi qui occupait depuis 1870 une partie du territoire français, comme les Comores semblent contester à la France sa souveraineté sur l’île de Mayotte, depuis que cette dernière à choisit librement de rester française.

• La trahison : Daniel BACAR transmettrait-il des informations stratégiques aux autres îles, comme on accusait Dreyfus d’espionnage au profit de l’Allemagne ?

• Y-aurait-il à Mayotte des anti-Bacar, et des pro-Bacar, comme il y pu avoir les dreyfusards, et les antidreyfusards ?

Ce que j’ai pu remarquer depuis mon arrivée récente à Mayotte, c’est que la raison est trop souvent absente des discours ambiants, et que cette île ressemblerait plus au royaume d’Ubu qu’à un état de droit, démocratique et respectueux de la valeur humaine.

A qui la faute, ou plutôt à qui la responsabilité ?

• Aux journalistes mahorais, qui plutôt que de travailler à rechercher et écrire la vérité, se discréditent en étalant dans leurs colonnes toutes les rumeurs et les calomnies qui courent dans ces tracts anonymes dont les habitants de Mayotte semblent si friands (à tel point que chacun se croit fondé à établir sa propre vérité sur l’affaire, comme à se faire sa propre justice). C’est pourtant grâce à ce vrai travail de journaliste que les états démocratiques ont pu éviter certaines dérives (dans le Watergate par exemple, ou, sans aller chercher les Etats-Unis d’Amérique, dans l’affaire du Rainbow Warrior).

• Aux hommes politiques locaux, qui certainement de peur de perdre les voix de ces électrices potentielles qui manifestent haut et fort contre les valeurs fondatrices de notre république, par méconnaissance pour la plupart, et par mépris pour certaines, ont préféré hurler avec les louves plutôt que de tenter de défendre et d’expliquer ces valeurs républicaines qui légitiment leur statut d’élu, et qui nous garantissent des droits (la liberté et l’égalité), mais aussi de devoirs (la fraternité).

• A l’Etat, qui, en la personne son principal représentant à Mayotte, le préfet, est resté (jusqu’à présent) d’un mutisme tel qu’il en est devenu assourdissant. Ne serait-ce pourtant pas du devoir des serviteurs de l’Etat que de ramener publiquement à la raison une partie de la population, soutenue par des politiques qui souhaitent récupérer le mouvement.

• La justice n’a pas encore eu à se prononcer, et j’espère que le pouvoir judiciaire saura rappeler le droit, quand les autres pouvoirs sur lesquels repose toute démocratie oublient de jouer leur rôle.

Ce repli identitaire risque d’entraîner Mayotte dans une schizophrénie (quel mahorais n’a-t-il pas, de manière plus ou moins lointaine, des origines des autres îles des Comores), qui, comme toute folie peut être potentiellement meurtrière. Il est peut-être dû à l’incertitude qui existe encore chez certains mahorais quand au statut de leur île. Mayotte est française, puisque c’est son choix, et qu’il est inscrit dans la constitution française. Que chacun joue son rôle, prenne ses responsabilités et que la nation apporte les moyens et la raison nécessaires pour un développement harmonieux de cette île. Je suis moi-même venu à Mayotte pour participer à la gestion d’un service public en développement, et ma responsabilité est d’assurer que ses actions s’inscrivent dans le droit qui lui est applicable. Je ne peux pas accepter qu’un salarié de ce service public soit sanctionné alors qu’il n’a commis aucune faute, et je considère que nous participons, par notre prise de position (ou notre silence), à le sanctionner, au mépris des valeurs qui nous protègent.

Pierre-Marc BOISTARD, citoyen français.

Note relative aux atteintes aux valeurs de la république qui se déroulent actuellement sur l’île française de Mayotte

Un mouvement de femmes mahoraise, le « collectif des femmes leader de la vie publique à Mayotte » conteste depuis le mois de Janvier 2006 le recrutement, par la Caisse de Sécurité Sociale de Mayotte, d’un adjoint au responsable des ressources humaines.

La personne a été recrutée à l’issue d’épreuves écrites et d’un entretien oral. Elle est française, née à Mayotte, a suivi toute sa scolarité secondaire à Mayotte avant de faire des études d’économie à Nancy, où elle a obtenu une maîtrise d’économie de l’entreprise. Elle se trouve être le frère du président de l’île autonome d’Anjouan et ce collectif, qui a un certain écho auprès de la population mahoraise, demande son départ au nom de la préférence locale, en arguant du fait que des postes à responsabilité ne peuvent pas être occupés par des français d’origine Comorienne.

Cette contestation, croissante, relève d’un dialogue de sourds : ces femmes ne demandent ni plus ni moins que des mesures discriminatoires soient prises à l’encontre de ce salarié, au mépris des droits fondamentaux qui sont le fondement de notre république.

Le mouvement a pris la forme de manifestations populaires qui ont amené la Caisse de Sécurité Sociale à fermer ses locaux, d’abord au public le vendredi 8 février 2006. Lors d’une manifestation le 13 février 2006 (non déclarée en préfecture), la Caisse a du évacuer son personnel, à la suite de menaces à l’intégrité des personnes et des biens, proférées par des membres de ce mouvement. Le directeur par intérim a été retenu pendant plus de 4 heures, emmené de force par le collectif pour une rencontre au conseil général avec certains élus. Les accès de la Caisse ont été ce jour là rendus impossibles par ces manifestantes, qui ont posé des planches et des chaînes aux grilles d’entrées des locaux.

Les forces de l’ordre à cette occasion, se sont contentées de s’assurer qu’il n’y avait pas de coups portés aux personnels de la Caisse.

Un comité de coordination, présidé par le 1er vice-président du conseil général et composé d’élus et de représentants du collectif s’est constitué ce jour là. Une manifestation à été organisée le jeudi 16 février, par les élus et le collectif, et on a pu voir de nombreux élus venir encourager le mouvement (le 1er vice président du conseil général M. Bacar Ali BOTO, le sénateur Giraud,...), évoquant l’article 74 de la constitution (qui ne concerne pas Mayotte de par son statut), et l’impossibilité pour des « binationaux » franco-comoriens d’occuper des postes à responsabilité. Le député Mansour KAMARDINE (UMP) diffusant même un communiqué de presse précisant « qu’à son initiative, le gouvernement avait demandé à la Caisse de suspendre le salarié, dans l’attente de l’arrivée du nouveau directeur qui serait chargé d’éclaircir les conditions son recrutement ». La caisse, contactée par les journalistes de RFO a indiqué qu’aucune directive n’était venue du gouvernement, le salarié ayant demandé des congés, et le député est revenu sur son communiqué pour préciser la mise en congés, à la place de la suspension.

Le 8 mars, le collectif a de nouveau envahi la caisse pour être reçu par le futur directeur, de passage à Mayotte pour une prise de contact avant sa nomination effective au 1er avril 2006. A l’issu de la rencontre les porte-parole du mouvement se sont engagées à respecter le travail et les personnels de la caisse, dans l’attente d’une rencontre prévue le 17 avril avec le directeur qui sera alors effectivement en fonction, pour parler des problèmes d’emploi des jeunes diplômés mahorais.

Le 9 mars, un tract était diffusé sur l’île, reprenant des slogans vus sur des banderoles la veille, promettant la guerre civile si le salarié ne quittait pas la Caisse de Sécurité Sociale de Mayotte dans les deux semaines. Le 10 mars 2006, soit plus d’un mois après le début des événements le préfet de Mayotte, représentant sur l’île du gouvernement, précisait dans un communiqué à la presse que « depuis le premier janvier 1997, la caisse de sécurité sociale de Mayotte est organisme de droit privé doté de personnalité morale et d’autonomie financière. En tant que tel, sa gestion est complètement autonome et ne dépend nullement de l’Etat. L’ensemble des personnels salariés de (la caisse de sécurité sociale de ?)Mayotte est soumis et donc protégé par la législation du code du travail qui règlemente les conditions d’embauche et de licenciement ».

Il faut préciser que même si la caisse n’appartient pas encore au régime général, elle est sous la tutelle de l’Etat, qui se caractérise par une tutelle sur les actes (droit d’opposition du représentant du gouvernement sur les décisions du conseil d’administration de la caisse) et sur les personnes (le directeur et l’agent comptable de la caisse sont nommés par le préfet).

Le gouvernement ou son représentant à Mayotte n’a pris position ni sur le fond du problème (l’évolution du statut de l’île de Mayotte, dans un environnement économique sans aucune perspective de développement autre que celui des administrations, et avec une immigration clandestine dont le niveau laisse à supposer que certains à Mayotte en tirent profit) ni sur la forme (mouvement sans réels statuts ni responsables, atteintes répétées à la liberté de travail et discrimination à l’encontre d’un service public sur les prétendues origines d’un de ses salariés, en bloquant le fonctionnement de ses services). Plus grave, cette absence de position ferme et claire vient cautionner ce type de mouvement qui se développe sur l’île (des jeunes mahorais ont fermé la mairie d’une commune, pour différents motifs qu’ils considéraient légitimes), et pourrait rapidement déboucher sur des troubles beaucoup plus graves, tant la xénophobie et le repli communautaire se développe à Mayotte.

Pierre-Marc BOISTARD

Agent Comptable de la Caisse de Sécurité Sociale de Mayotte


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