Commémoration du 5 octobre 1988 : Regroupement et marche à Alger

jeudi 8 octobre 2009.
Source : El watan
 

5 octobre 2009, 12h25. Place des Martyrs. Lieu de rendez-vous des partisans du Rassemblement actions jeunesse (RAJ) pour la commémoration annuelle des événements du 5 octobre 1988.

Mis à part quelques policiers en uniforme et en civil postés çà et là, la placette était calme. Etrangement calme même. Et pour cause, le mot d’ordre des manifestants : « Discrétion ». Des groupes épars de personnes attendent « le signal »… Certaines d’entre elles se perdent en conjectures des événements susceptibles de survenir. Montant mille et un scénarii, certains s’imaginant même menottes aux poings, embarqués par les forces de sécurité. Un « fauteur de troubles » de renommée s’est invité à la cérémonie, et qui n’est autre que Mustapha Benfodil, écrivain et journaliste. Depuis le 15 juillet, il invite les citoyens à se réapproprier la rue, à réinvestir les espaces publics, dont ils sont privés depuis un certain 14 juin 2004. Il est l’instigateur d’une série de « lectures sauvages », des pièces de théâtre jouées dans les endroits les plus improbables, et dont l’apogée promet d’être ce jour du 5 octobre, à sahat Echouhada, en plein cœur d’Alger. A quelques minutes du « coup d’envoi », Benfodil, qui s’improvise comédien clandestin pour ses lectures publiques, sait à quoi s’en tenir. Hakim Addad, secrétaire général du RAJ, annonce que les policiers autorisent la cérémonie de commémoration, mais lui interdisent formellement de prendre la parole. 12h40. Un étrange mouvement se forme sur la place et des dizaines d’hommes et de femmes, jeunes et moins jeunes, convergent, en quelques secondes, vers le kiosque situé au centre de la placette. Membres du RAJ, amateurs des lectures de l’écrivain, journalistes ou curieux, tous, pour un jour, agitateurs de l’ordre établi. Des banderoles sont accrochées de part et d’autre du kiosque, des pancartes sur lesquelles l’on peut lire « Algérie démocratique » sont agitées, comme pour narguer les quelques policiers qui surveillent de loin, pour l’instant du moins, le déroulement de cette manifestation. Le secrétaire général du RAJ, après avoir lu une déclaration dans laquelle il prédit, et invite, un « tsunami de rage », observe une minute de silence à la mémoire de toutes les victimes d’octobre 1988 et « de toutes celles de la répression depuis cette date et jusqu’à aujourd’hui ». C’est alors que la parole est donnée à Mustapha Benfodil et à ses compagnons de lecture.

Les « indus occupants » priés de quitter les lieux

A peine le temps d’entamer les premières phrases de leurs textes que les orateurs sont interrompus par des agents de l’ordre, qui s’étaient faufilés dans la foule agglutinée autour du kiosque. Violemment empoignés, ils sont chassés par les policiers qui intiment l’ordre aux spectateurs de se disperser. Les « agitateurs », escortés par une dizaine d’agents, ne comptent toutefois pas en rester là. Ils se réunissent encore une fois, un peu plus loin cette fois-ci, à l’ombre d’un arbre. Nouvelle tentative de lecture. Nouvelle intervention des autorités qui, à coup de menaces, somment les « occupants indus » de la rue de quitter les lieux. Devant le refus catégorique d’obtempérer des manifestants, pacifistes pourtant, les policiers réagissent de l’unique façon dont ils savent faire montre : ils malmènent, bousculent, agrippent, poussent, menacent et insultent les « frondeurs » qui, ne se laissant pas démonter, scandent des slogans, ces mêmes slogans qui avaient fait trembler la capitale il y a de cela 21 ans. Franchement hostiles au pouvoir, « Toufik assassin, Zerhouni démission », ou patriotiques « El Djazaïr houra démoucratya », repris d’une même voix par ces dizaines de personnes, qui ne demandaient pas grand-chose : juste pouvoir jouir de cette liberté confisquée. « Ils voulaient que l’on circule, on va circuler ! » Spontanément, une marche est formée, sous les klaxons des voitures, les encouragements des passants et les regards amusés ou réprobateurs des badauds. Elle part de la place des Martyrs vers le TNA. Là-bas, un troisième rassemblement est tenté, en vain évidemment, les forces de l’ordre veillant toujours violemment au respect des consignes données. Qu’à cela ne tienne. Les manifestants reprennent la marche, avant d’être stoppés net par un attroupement de policiers, en face du commissariat de Cavaignac, en contrebas de la Grande-Poste. Sachant la course finie, ils observent un sit-in de quelques minutes, applaudissant à tout rompre cette manifestation spontanée de révolte. « Tous les jours sont un 5 Octobre », hurlait Mustapha Benfodil, avant de voir se disperser, pour de vrai cette fois-ci, la foule, « heureuse d’avoir été là ». Aurait-on peur d’un groupe de citoyens qui se rassemblent dans un lieu public afin de partager un moment de littérature ? Une chose est toutefois sûre : « Ils ont peut-être interdit une lecture, mais ils ont encaissé une manif entière. Une marche comme Alger n’en a pas vu depuis des plombes… », dixit le fauteur de troubles Mustapha Benfodil.

Par Ghania Lassal


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