A lire : La Grande Révolte indienne, d’Yvon Le Bot. Éditions Robert Laffont, 2009. 364 pages, 21 euros.

mardi 6 octobre 2009.
 

1992. À l’occasion du 500e anniversaire de la découverte des Amériques, les Indiens revendiquent pacifiquement, de l’Araucanie chilienne jusqu’au Canada, une autre version de l’histoire, et dénoncent un racisme « non dit et sournois », déguisé souvent en paternalisme ou en « racisme cordial ». Cette prise de conscience collective, renversement historique, est en construction en Amérique latine depuis les années 1960.

Processus complexe et peu étudié, l’émergence d’une voix indienne s’est élaborée à partir d’une multitude d’options politiques, parfois radicalement opposées. Mouvements indiens révolutionnaires, identitaires, culturels ou religieux, mais aussi syndicaux et paysans, ils ont réussi à faire évoluer le regard des sociétés latino-américaines. Et à faire prévaloir la combinaison entre « conflit social, visées démocratiques et enjeux culturels ». Fouillé et critique, l’ouvrage se compose par thèmes (« l’Émergence indienne », « Identités et violences », « Multiculturalismes multiples », « Identités, sujets et globalisation ») et embrasse ainsi un large panel de problématiques.

À chaque pays d’Amérique latine sa trajectoire et son histoire de luttes. Le sociologue Yvon Le Bot interroge les étapes de la naissance d’une nouvelle culture politique. En Bolivie, par exemple, c’est la guerre de l’eau, du gaz et de la coca qui a déterminé les rapports de forces ces dix dernières années. Evo Morales, Indien syndicaliste cocalero, a su incarner ces luttes, ancrées dans la récupération des ressources naturelles et de l’identité culturelle. L’auteur définit ainsi ce « nouveau populisme » comme ajoutant « à l’idée de peuple la référence à une identité culturelle, ou plutôt à des identités culturelles, indiennes et métisses ». Malgré un fort engagement dans « une révolution démocratique et culturelle », Morales peine à unifier le pays avec, face à lui, des propriétaires terriens et des magnats qui n’entendent pas lâcher leur niveau de profits. Cette année, les batailles se sont polarisées autour de la nouvelle Constitution et des enjeux de la réforme agraire. Tout cela, selon le sociologue, « témoigne de la difficulté à refonder la nation et des dangers croissants de fracture, voire d’éclatement ». Malgré des avancées et le surgissement de la voix indienne, la partie est loin d’être gagnée.

« Dans leur grande majorité, les populations indiennes et noires continuent à occuper le bas de l’échelle socio-économique », écrit Yvon Le Bot. Il consacre son dernier chapitre aux migrations des Indiens, avec l’exemple approfondi de la Californie et des dernières manifestations monstres des sans-papiers latinos aux États-Unis. Le sociologue y voit une affirmation de soi : « Les paroles de ces femmes indiennes de Los Angeles font écho à celles de Martin Luther King et à celles des zapatistes : nous n’acceptons plus les humiliations, nous n’avons pas à demander pardon d’être ce que nous sommes, aujourd’hui, nous nous affirmons comme égales et différentes. » Sans éluder les échecs ou les impasses de certains mouvements indiens, l’auteur atteint dans cet ouvrage une hauteur de vue géopolitique et historique globale d’une révolte indienne qui est en perpétuelle édification.

Ixchel Delaporte


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