Jeunesse des années 1960 : yéyés, hippies et beatniks, contestataires et révolutionnaires

mercredi 10 mai 2023.
 

Je viens de parcourir dans une salle d’attente, plusieurs revues ayant publié un dossier sur la jeunesse des années 1968 à l’occasion du 40ème anniversaire à venir de Mai 1968. Mon principal désaccord porte sur une assimilation fréquente entre hippies, beatniks, yéyés, soixante huitards, révolutionnaires...

- 22 juin 1963 : 200000 jeunes se rassemblent Place de la Nation pour l’anniversaire de la revue Salut les copains.

A l’occasion du 40ème anniversaire à venir de Mai 1968, plusieurs revues ont publié un dossier sur la jeunesse des années 1968. Venant de les parcourir dans une salle d’attente, quelques remarques rapides me viennent à l’esprit :

- Un accord général sur le phénomène sociologique nouveau représenté par "la jeunesse" des années 1960

- mais une analyse trop globalisante des "copains", des yéyés, des hippies et beatniks, des contestataires, des révolutionnaires qui présentent des spécificités à bien différencier pour comprendre cette génération.

1) La jeunesse des copains et des yéyés

- Sur 47 millions de Français, 7 millions ont alors entre 12 et 20 ans

- Une majorité de ces 7 millions de jeunes poursuit une scolarité en collège, CET, lycée ou faculté. Il s’agit là d’un phénomène très nouveau ; depuis des dizaines d’années, la majorité de chaque tranche d’âge restait dans l’enseignement primaire jusqu’au certificat d’études (à l’âge de 14 ans généralement) puis entrait dans la vie active.

- Apparaît alors un phénomène sociologique nouveau : la grande majorité des jeunes, 15% de l’ensemble de la population, est concentrée dans des lieux autres que le milieu professionnel et la famille.

- Cette jeunesse adopte un style vestimentaire qui la distingue du reste de la population : blue-jean, cheveux mi-longs ou longs, couleurs très voyantes, mini-jupe...

- Cette jeunesse s’identifie fortement à quelques revues comme Salut les copains et Mademoiselle Âge tendre

Ce phénomène d’identité jeune présente un aspect central pour comprendre les années précédant 1968. Il a déjà été décrit par de nombreuses études. Trois éléments me paraissent importants comme facteur de reconnaissance d’une majorité de cette génération :

- le rôle de la musique

Chansons des années 1968

- le rôle de l’apparence physique ( la revendication qui a provoqué le plus de grèves lycéennes en France dans les mois avant 68, c’est le refus de la "coupe au bol")

- une base de contre-culture dont le slogan Peace and Love constitue un bon résumé mais aussi les chansons de Bob Dylan et des Beatles.

Il ne faut pas surestimer la politisation de cette jeunesse de 1960 à 1966 à l’aune du mouvement de 1968. Globalement, elle est nettement moins engagée et mobilisée que celle des années 1970 et même moins que celle des années 1980, 1990 et 2000.

2) Les hippies naissent dans le contexte des USA

Cette nation vit sur une idéologie prétendument fondée sur la démocratie, la liberté, l’initiative individuelle, l’imagination.

Or, sa mythique Déclaration des droits est contemporaine de l’esclavage de masse des Afro-Américains, contemporaine de la spoliation suivie de sociocide et génocide des peuples amérindiens.

Dans les années 1965 à 1970, le racisme à l’encontre des Noirs est encore terrible. Aussi, le premier acte militant de Jerry Rubin, un cofondateur du mouvement US hippie, c’est de protester contre un épicier de Berkeley refusant officiellement d’embaucher des Noirs.

Dans les années 1965 à 1970, la réalité des USA, c’est une "méga-machine" dont les rouages se nomment profit, productivité, puissance militaire, pillage du monde, ayant pour seul but de se survivre, quitte à générer des coups d’état militaires et des régimes fascistes partout où le butin des multinationales risque le moindre danger.

Jerry Rubin analysait parfaitement cette contradiction « L’Amérique dit : l’histoire est finie ; intégrez-vous, nous avons inventé le meilleur des systèmes... conséquence : l’Amérique souffre d’un cancer généralisé qui s’appelle l’apathie ».

Pour les jeunes Américains des années 1965 à 1970, la réalité des USA, c’est l’incorporation de plus en plus massive dans les troupes qui combattent au Vietnam suite au refus de Washington de laisser se dérouler les élections prévues par le Traité de Genève. La réalité des USA, ce n’est plus le rêve émancipateur de prétendus fondateurs mais des crimes de guerre guère différents des SS nazis durant la Seconde guerre mondiale.

Aussi, un Jerry Rubin cofonde le VDC (Vietnam Day Committee), et organise les premières manifestations contre la guerre du Viet Nam.

Les Etats-Unis des années 1965 à 1970 étant la nation capitaliste la plus avancée avec sa concentration des richesses, son urbanité, sa valorisation du succès individuel et du progrès technique, son mépris de la nature et des valeurs humaines, la rupture idéologique entre la société et sa jeunesse s’élargit de plus en plus.

Ainsi naît une contre-culture fondée :

- sur l’hédonisme de l’être avec la place centrale de l’amour (LOVE) plutôt que sur celui de l’avoir et du profit

- sur un christianisme retrouvant les valeurs d’origine des Evangiles

- sur l’exaltation de la sensibilité culturelle plus que sur la rationalité des livres de comptes.

- sur une mode vestimentaire marquée par des symboles comme les fleurs, les colliers, les couleurs vives (y compris pour les pantalons masculins)...

- la valorisation de la fête comme moment de bonheur...

- Les groupes de rock nous unissaient dans un défoulement tribal, nous, une secte, une famille,une civilisation, avec notre musique, nos fringues, nos règles de vie (Jerry Rubin ; Do-it, Le Seuil)

Le mouvement hippie gagne un petit écho international d’où la fondation du Youth International Party, par Jerry Rubin, entre autres.

Dans un ouvrage intitulé Les Hippies paru en 1968 J.P. Brown résume bien l’effarement de la société étatsunienne devant le comportement contestataire de sa jeunesse « Qu’avons-nous fait pour avoir des enfants qui prennent tellement au sérieux ce qui n’aurait dû être pour eux qu’un simple piment culturel ? »

Dans son Journal de Californie, Edgar Morin ajoute que le phénomène hippie est « une réaction anthropologique provoquée par la civilisation industrielle, urbaine, bourgeoise ; un néotribalisme a surgi de la pointe la plus avancée de la modernité. Ils veulent être de bons sauvages... La dose de richesse a été trop forte pour ces fils de puritains en même temps que la dose de misère dans le monde qu’ils découvraient... était trop forte pour ces fils de riches ».

Il s’agit d’un courant de contre-culture construit en réaction à celle de l’idéologie dominante US « Une culture d’arnaque, de triche, de mensonge, de fraude, d’exploitation, d’affaires et d’argent. Le Rêve américain, qui dit que nous allons tous devenir riches, est une pathologie. » (article du Daily Best)

Le mouvement hippie se développe comme phénomène de masse en 1966 1967

En quelques mois, il va passer d’une contre-culture à une forme de contre-société.

Janvier 1966 : Sept communautés hippie se mettent en place, essentiellement autour de San Francisco, dans les forêts et sur les plages de Californie. En plein été 1966, la presse estime à environ 200000, les jeunes qui suivent cet exemple.

Le 6 octobre de la même année, le premier love-in rassemble 30000 jeunes sur le terrain de golf du Golden Gate Park à San Francisco. Dans les mois suivants d’autres love-in ( rassemblement public pacifique axé sur la méditation, l’amour, la musique, le sexe et / ou l’utilisation de drogues psychédéliques) voient le nombre de participants progresser de façon fulgurante ( 200000, 360000, jusqu’à 450000 pour les revues Time et Newsweek).

3) La jeunesse contestataire

Dès l’automne 1967, une partie du mouvement hippie étatsunien évolue. Anne Lombard a raison d’écrire « Un nouveau mouvement naît spontanément, The Brotherhood of Freemen (la fraternité des hommes libres) bientôt appelé Freebie qui s’oppose par exemple à l’usage de la drogue. En janvier 1968... deux millions de jeunes en sont sympathisants ; à retenir, un engagement politique plus résolu, avec parfois de nettes tendances pro-marxistes. »

Même une partie importante de la jeunesse pré-adolescente glisse vers des formes de contre-société commençant par la fugue du domicile parental. En 1970, la police est à la recherche de 800000 à 900000 fugueurs de cet âge. Ils passent souvent d’une communauté hippie rurale à une autre


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message