La promesse d’Obama (par Denis Sieffert, Politis)

samedi 26 septembre 2009.
 

À Washington, pour sauver sa réforme du système de santé. À New York, pour sauver la planète et, accessoirement, la paix au Proche-Orient. À Pittsburgh, pour sauver le capitalisme. Barack Obama est sur tous les fronts ! Hélas, de tous ces combats, c’est le dernier qui paraît le mieux engagé. L’issue des autres, ceux qui ont notre sympathie, est plus qu’incertaine. Ce calendrier chargé est l’occasion pour nous de rappeler une vérité d’évidence. Certes, l’élection de Barack Obama fut un événement mondial – plus que cela : un fait de civilisation. Certes, il a su prononcer quelques discours d’anthologie, dont celui du Caire, début juin. Certes, les mots, en politique, valent parfois autant que les actes. Ceux-là avaient une force exceptionnelle parce qu’ils marquaient une rupture avec la sordide idéologie de racisme et de haine qui inspira huit années durant son prédécesseur. Mais Barack Obama est président des États-Unis, et sa fonction l’oblige. À Pittsburgh, où il accueillera le G20, il ne plaidera donc pas pour l’interdiction des fonds spéculatifs, et pas davantage pour la suppression des stock-options ou des bonus. S’il lui venait à l’esprit l’idée saugrenue de vouloir créer un pôle bancaire public [1], son effigie frappée d’une faucille et d’un marteau envahirait aussitôt la rue américaine en colère. Il ne fera donc rien de tout ça. Au contraire, il poursuivra son plan de relance à coups de milliards de dollars de fonds publics. Les confrères qui pensent (et qui écrivent) que le sommet du G20 veut « changer le capitalisme » devraient donc se calmer [2].

Même la taxe Tobin sur les transactions financières, qui n’en finit pas de recevoir l’hommage du vice financier à la vertu altermondialiste (« Une idée qui mérite réflexion », a commenté Gordon Brown), n’est pas à l’ordre du jour, comme l’a rappelé Christine Lagarde. Et ne nous laissons pas abuser par les rodomontades de Nicolas Sarkozy, par ses « exigences » et ses « menaces ». Avant même le rendez-vous de Pittsburgh, il a déjà réussi ses effets d’annonce. Il pourra continuer d’appeler « malus » un bonus payé à nos traders en plusieurs fois, et disposition anticapitaliste le paiement différé de cette prime à la spéculation. Il ne se passera donc rien à Pittsburgh. Peut-il se passer quelque chose à New York ? Sinon au cours de l’assemblée générale de l’ONU, du moins en marge, dans les salons luxueux du Waldorf Astoria, où Obama devait réunir mardi Benyamin Nétanyahou et Mahmoud Abbas ? À cet instant et en ce lieu, pas grand-chose sans doute. Mais le dossier est grand ouvert. Et c’est à propos du conflit israélo-palestinien que Barack Obama a fait au monde sa plus belle promesse, osant notamment mettre au cœur du débat la question de la colonisation. Mais, depuis quelques jours, les augures sont mauvais. On ne voit toujours pas poindre à l’horizon le fameux document que doit préparer l’émissaire George Mitchell, comme base d’un nouveau plan de paix. Plus grave encore : la diplomatie américaine a donné un signe inquiétant, en fin de semaine dernière, en jugeant avec sévérité le rapport de la commission Goldstone sur l’offensive israélienne de décembre et janvier derniers contre Gaza. Sans plus de précisions, le porte-parole du Département d’État, Ian Kelly, a même fait part de la « préoccupation » de son pays devant certaines « recommandations » du rapport. On imagine que les officiels américains tremblent à l’idée qu’Israël pourrait être déféré devant le procureur de la Cour pénale internationale.

L’administration Bush n’aurait pas réagi autrement. Mais, avant cela, il est vrai que le rapport Goldstone remet profondément en cause la doxa officielle. Il souligne, par exemple, que ce n’est pas le Hamas qui a rompu la trêve, et que les engagements israéliens de desserrer le blocus de Gaza n’ont jamais été tenus. Quant aux fameux « boucliers humains » dont le Hamas aurait usé, et qui expliqueraient le nombre de victimes civiles, le rapport est formel : ce ne sont pas les Palestiniens qui y ont eu recours mais l’armée israélienne. C’est tout un discours qui s’effondre. Mais la doxa – ou, si l’on préfère, « l’opinion publique », celle que forgent les médias – a la vie dure. Si le rapport a semblé « déséquilibré » aux Américains, il est au contraire apparu superbement symétrique à nos médias hexagonaux. Heure après heure, flash après flash, nous avons entendu répéter que des crimes de guerre avaient été commis « de part et d’autre ».

C’est évidemment jouer grossièrement sur les mots. Nous savons que, d’un point de vue strictement juridique, on peut parler de « crime de guerre » dès que des populations civiles sont visées. Mais une roquette artisanale projetée par un Palestinien dans une rue déserte de Sdérot est-elle égale à des tonnes de bombes déversées par l’aviation israélienne au cœur de Gaza ? Fort heureusement, le rapport Goldstone ne s’en tient pas à cette fausse symétrie. Ses conclusions sont « déséquilibrées », comme l’étaient les forces en présence à Gaza. Comme l’est la réalité de ce conflit. Et il faudra que Barack Obama prennent des dispositions « déséquilibrées », c’est-à-dire qu’il pèse sur la puissance qui colonise et qui occupe ; et non qu’il exige les sacrifices des deux parties. Il en va de sa crédibilité internationale.

G20 : trois fois zéro et gesticulations en vain (Attac France analyse la déclaration finale du G20 de Pittsburgh)

Pour la troisième fois en moins d’un an, le G20 vient d’administrer la preuve de son obstination à conforter le système financier mondial dans ses pires travers, ceux qui ont conduit à la plus grave crise depuis quatre-vingts ans.

Les décisions Bonus : l’arbre qui cache la forêt

Le G20 braque les projecteurs sur les bonus des traders : les bonus pourront être fixés "en pourcentage du revenu net bancaire", lorsqu’une banque "ne dispose pas de fonds propres suffisants". Les traders seraient récompensés quand ils font faire des bénéfices à leur banque et seraient pénalisés en cas de perte. Qu’est-ce que ce système, sinon une légitimation des profits d’une finance « socialement inutile » par définition, selon les propres termes de M. Adair Turner, président de l’Autorité des services financiers du Royaume-Uni ?

G20 et FMI : les nouveaux directoires de l’économie mondiale

Le G20 annonce le retrait du G8 pour se promouvoir nouveau gouvernement de l’économie mondiale, laissant de côté une grande partie de l’humanité, celle qui est la plus pauvre. La modification minime des droits de vote au sein du Fonds monétaire international en faveur des pays émergents n’est pas en mesure de changer véritablement la réalité du pouvoir ni les fondements de ses politiques d’ajustement structurel.

OMC : la libéralisation des marchés reste la seule solution

Encore une fois, le G20 a défendu une conclusion du cycle de Doha à l’OMC dès l’année prochaine. "Nous maintiendrons l’ouverture et la liberté des marchés et réaffirmons les engagements pris à Washington et à Londres : nous nous abstiendrons d’élever des obstacles aux investissements ou aux échanges de biens et de services ou d’en imposer de nouveaux" et "nous ne recourrons pas au protectionnisme financier, notamment à des mesures qui restreindraient les flux de capitaux à l’échelle mondiale". L’idéologie néolibérale est intacte, malgré les dégâts qu’elle a entrainés depuis 30 ans.

Les absences

Les paradis fiscaux seront-ils démantelés ? Non, ils sont blanchis, alors qu’à peine 5% d’entre eux ont signé des accords de coopération qui ne les engagent à pas grand-chose tant que les banques et les fonds spéculatifs ne seront pas empêchés d’y faire des opérations marquées par la fraude et l’évasion fiscales. Et la plupart des secrets des banquiers resteront bien enfouis.

Les marchés de gré à gré et les hedge funds seront-ils interdits, et les produits dérivés et la titrisation fortement encadrés ? Les banques de dépôts et les banques d’affaires seront-elles séparées ? Non, tous les mécanismes financiers pratiquement incontrôlables sont maintenus et ils continueront à imposer des critères de rentabilité exorbitants et à générer des actifs financiers dont la valeur sera d’autant plus fictive qu’elle sera énorme.

Les transactions financières seront-elles taxées ? Non, et pour donner le change, quelques voix gouvernementales parlent de la taxe Tobin, mais c’est aussitôt pour la rendre facultative, pour lui fixer un taux ridiculement bas, ou conditionner sa mise en œuvre à l’accord de l’ensemble des places boursières. De quoi rassurer les financiers.

Des mesures concrètes et efficaces seront-elles prises au niveau international contre le changement climatique ? Non, l’appel des pays du G20 sur la question apparaît complètement creux, puisqu’aucune proposition concrète en terme de mesure et de financement n’est avancée. Leur intention affichée de "ne pas ménager leurs efforts pour conclure un accord à Copenhague" ne doit pas faire oublier que les positions actuelles des pays riches empêchent tout accord sérieux, à la hauteur des exigences écologiques.

Les conclusions d’Attac Le G20, dans ses trois réunions de Washington (novembre 2008), Londres (avril 2009) et Pittsburgh, confirme que les gouvernements des pays les plus puissants considèrent que le système financier doit être remis en selle et non pas remis en cause : la foi en la capacité des marchés à s’autoréguler reste globalement intacte. Pourtant, la gravité de la crise, s’étendant de la finance à l’économie, au social et à l’écologie aurait dû servir de dernier avertissement.

Le sauvetage des banques et de l’ensemble du système financier sans aucune contrepartie pour la société, la relance de l’économie à coups de déficits publics sans imaginer un mode de développement écologique, et les atermoiements face au dérèglement climatique dont la régulation est confiée au marché créeront malheureusement les conditions d’une prochaine crise encore plus grave.

Les services publics, l’assurance maladie et les retraites continuent d’être privatisés dans les pays du G20, sous la pression des compagnies d’assurance et des fonds de pension, acteurs majeurs de la spéculation financière.

Les revenus du capital ne seront pas limités et ceux du travail attendront d’être revalorisés. Le G20 ne dit rien sur cette question d’autant plus cruciale que la montée extraordinaire des inégalités est l’une des principales raisons du caractère systémique de la crise.

L’association Attac réaffirme son opposition radicale à un système économique et financier prédateur et inégalitaire et son engagement en faveur : d’une socialisation du secteur bancaire et financier avec un contrôle citoyen ; d’une taxation internationale des transactions financières ; d’une limitation stricte des revenus financiers ; du placement hors marché des biens publics mondiaux ; d’une régulation mondiale de la finance, de l’économie et de l’écologie (en particulier du climat) sous l’égide de l’ONU.

2) Pittsburgh : encore un G20 pour rien (par Thomas COUTROT, ATTAC)

Le G20 de Pittsburgh s’inscrira dans la continuité des précédents : tout l’indique. Il se gardera de toute mesure contraignante envers l’industrie financière, se contentant d’admonester les banques et les paradis fiscaux. Il ne s’agira pas de modérer l’appétit des investisseurs pour des rendements extravagants (10 à 30 % par an !), ni de réduire la ponction imposée sur l’économie. Non. L’objectif est de passer, par l’autorégulation des acteurs financiers, d’une financiarisation anarchique à une « financiarisation durable ». Il s’agit d’aider la finance à se protéger de ses propres excès pour lui permettre de continuer à prélever une part croissante de la richesse sociale.

On amuse la galerie avec les bonus des traders : si une opération a permis un gain sur six mois grâce à un placement très risqué à deux ans, la banque devra étaler sur deux ans le versement du bonus. Beau principe qui oublie un détail : la crise a démontré de manière accablante que les modèles mathématiques de calcul du risque utilisés par les petits génies de la finance ne valaient rien. Les banques, tout comme les autorités de régulation et les agences de notation, ne savent plus apprécier les risques. Grâce à la déréglementation, « la finance de l’ombre » (shadow banking) a tellement prospéré que plus personne ne peut aujourd’hui avoir une appréciation d’ensemble de l’état du système, et encore moins faire rentrer le torrent dans son lit. La prolifération des bulles financières et des crises monétaires n’est pas près de se terminer.

Pourtant, les mesures qui permettraient de domestiquer la finance sont bien connues. Ce n’est pas Attac qui le dit, c’est Adair Turner, le président de l’Autorité britannique des services financiers (FSA) : « Si vous voulez faire cesser les rémunérations excessives dans un secteur financier hypertrophié, vous devez réduire la taille de ce secteur ou appliquer des taxes spéciales sur ses bénéfices avant rémunération. » Pour M. Turner, le niveau de rémunération dans les banques vient d’« une dérégulation financière caricaturale », et une grande part des activités de la finance est « socialement inutile ».

Il connaît également les remèdes : augmenter le capital minimum nécessaire pour exercer des activités boursières serait une arme « puissante pour éliminer activités et profits excessifs », et il faudrait en outre « examiner la possibilité de taxes sur les transactions financières, des taxes Tobin ». Examen qui a d’ailleurs déjà été fait maintes fois, par exemple par la commission Landau, réunie en 2005 par Jacques Chirac. Bien entendu, il sera impossible de ramener l’industrie de la finance à de plus justes et modestes proportions sans une taxation significative et une réglementation beaucoup plus sévère de ses activités, qui dissuadent ou empêchent les financiers de jouer à la roulette russe avec la vie des autres.

Ces déclarations de bon sens du régulateur des marchés financiers britanniques sont tombées pendant la campagne électorale allemande, et ont inspiré les dirigeants du SPD, et même Angela Merkel. Un silence assourdissant a accueilli en juin dernier les propositions, modérées mais déjà quelque peu iconoclastes, de la commission des Nations unies présidée par Joseph Stiglitz, sur la réforme des institutions financières. Mais cette fois le tabou a sauté : un débat international au plus haut niveau s’est engagé sur la taxation des transactions financières, une mesure portée depuis plus de dix ans par les altermondialistes.

L’explication est sans doute la suivante : l’explosion des déficits publics laisse prévoir la nécessité de coupes claires dans les dépenses sociales, et de soubresauts politiques importants. L’irruption de la manifestation des ouvriers de l’industrie automobile dans la Bourse de Paris le 17 septembre est une première qui pourrait faire des émules. Certains dirigeants estiment donc qu’il vaut mieux lâcher du lest en ébauchant une taxation de la finance, pour pouvoir se prévaloir d’un souci de justice sociale et de partage des sacrifices.

Mais sur le fond, droite néolibérale et gauche de gouvernement sont d’accord : non, le problème n’est pas que la finance domine la société, c’est qu’elle le fait de façon désordonnée. En France, cette dénégation prend un tour aigu : les « experts » de tous bords, quasi unanimes, affirment que la finance n’a pas accaparé une fraction croissante de la richesse créée, et que les profits financiers n’ont pas accru leur part dans la valeur ajoutée au détriment des salaires. La France serait une exception dans un tableau général de baisse de la part des salaires et de montée des inégalités, pourtant désormais admis même par l’OCDE et la Commission européenne. Après le rapport Cotis sur le partage de la valeur ajoutée, une note de la « Fondation progressiste » Terra Nova, rédigée par d’éminents économistes proches du Parti socialiste, répétait récemment ce diagnostic autiste, sans même prononcer le mot « dividendes ». C’est pourtant un fait que la part des dividendes versés dans la valeur ajoutée des entreprises est passée en France de 3,2 % en 1982 à 8,5 % en 2007. Un fait que le consensus actuel préfère ignorer.

« Le secteur financier hypertrophié », « ses profits excessifs », « ses activités socialement inutiles » ont donc encore de beaux jours devant eux. Les gouvernements continueront à faire des « recommandations » floues et sans valeur juridique, auxquelles les financiers et les paradis fiscaux n’auront guère de mal à se conformer sans rien changer. La vraie autorité de régulation mondiale de la finance - la Banque des règlements internationaux de Bâle - a bien édicté à l’été 2008 quelques nouvelles règles qui réduisent un peu les possibilités de spéculation - ce que les financiers appellent « l’effet de levier » - mais sans toucher à l’essentiel. Et il y a fort à parier que les velléités de taxation de la finance finiront en caricature - comme cette « taxe volontaire » que préconise sans sourire Bernard Kouchner. A moins que les citoyens ne commencent à s’emparer vraiment de ces questions.

Thomas Coutrot

* Thomas Coutrot est économiste, membre du conseil scientifique d’Attac France.


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