Le Traité de Lisbonne rend possible la peine de mort « pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection"

samedi 14 mars 2015.
 

*** Pouvez-vous imaginer une raison pour laquelle on prend ce genre de décision ?

Les gouvernements s’attendent manifestement à des insurrections. Le scepticisme à l’égard des gouvernements et de l’appareil européen ne cesse d’augmenter. La crise financière et économique accentue la pression sur la population.

*** Donc on a l’intention de tirer sur les manifestants ?

C’est ce qu’il semble.

Interview de Karl Albrecht Schachtschneider, universitaire allemand en droit

Olivier Janich, du magazine Focus-Money : D’après ce que vous affirmez dans la plainte contre le Traité de Lisbonne que vous avez adressée à la Cour constitutionnelle allemande, ledit Traité permet la peine de mort et le fait de tuer des personnes. Cela paraît énorme. Sur quoi fondez-vous votre argumentation ?

Karl Albrecht Schachtschneider : La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dans les « explications » des droits fondamentaux, rend explicitement possible – contrairement à l’abolition de la peine de mort en Allemagne (art. 102 de la Loi fondamentale), en Autriche et ailleurs, fondée sur le principe de dignité humaine – le rétablissement de la peine de mort « pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre » et également le fait de tuer des personnes « pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection ».

Mais la Charte n’interdit-elle pas la peine de mort ?

Ce qui est déterminant à cet égard, ce n’est pas l’article 2-2 de la Charte, qui interdit la peine de mort (« Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté. »), mais l’« explication » reprise du commentaire de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Selon l’article 6 alinéas 1 et 3 du Traité de Lisbonne, « les droits, les libertés et les principes » de la Charte sont à interpréter en fonction des dispositions générales du Titre VII de la Charte qui en définit l’interprétation et l’application ainsi qu’en tenant dûment compte des « explications » mentionnées dans la Charte et où sont indiquées les sources de ces dispositions.

Pourquoi tant de complication ?

C’est pour dissimuler les choses. On ne présente aux députés que le texte du Traité, qui est de toute façon difficile à comprendre et beaucoup trop long.

Mais est-il maintenant tout à fait clair qu’il sera possible de tuer des personnes quand le Traité sera en vigueur ?

Oui. La Charte des droits fondamentaux a été adoptée en 2000 à Nice. Mais comme tous les pays n’étaient pas d’accord, elle n’avait pas de caractère obligatoire au regard du droit international. Lorsque le Traité entrera en vigueur, la Charte aura ce caractère obligatoire.

Mais le passage en question ne figure que dans les explications …

Mais selon l’article 53 alinéas 3 et 5 de la Charte, elles sont contraignantes. Elles figurent au Journal officiel de l’Union européenne. Il n’y a pas de marge d’interprétation.

En reconnaissant le Traité de Lisbonne, la Cour constitutionnelle allemande n’a-t-elle pas réfuté votre interprétation ?

Absolument pas. Elle ne s’est pas prononcée à ce sujet.

Est-ce habituel de sa part ?

C’est même la règle. Quand elle ne veut pas étudier une question, elle ne se prononce pas.

Est-ce juridiquement possible ?

C’est plus que discutable, mais habituel.

Selon l’explication, la peine de mort peut être introduite en temps de guerre ou de danger imminent de guerre. Il s’agit là d’un cas très théorique.

Vous croyez ? Ne sommes-nous pas en guerre en Afghanistan ? Qu’est-ce qu’un danger de guerre ? Qu’en était-il de la guerre en Yougoslavie ?

Mais il n’est pas normal, en temps de guerre, d’exécuter des déserteurs, par exemple ?

Si, dans les dictatures.

Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que l’on puisse tuer illégalement et sans ordonnance d’un juge lors d’un émeute ou d’une insurrection. Qui définit cela ?

C’est là le problème. A mon avis, les « manifestations du lundi » à Leipzig, en 1989, pourraient être qualifiées d’insurrection, comme pratiquement toute manifestation non autorisée. Prenons les émeutes en Grèce ou les manifestations récentes de Cologne et de Hambourg. Il suffit que quelques « autonomistes » lancent des pierres.

Il y a des politiques et des juristes qui affirment que les droits fondamentaux d’un pays ne peuvent qu’être améliorés par le Traité de Lisbonne, qu’ils ne peuvent pas être dégradés.

La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’affirme ni la priorité des droits fondamentaux nationaux ni un principe d’avantage et elle ne formule aucune clause restrictive. Ceux qui prétendent cela montrent qu’ils ne connaissent pas le droit communautaire.

Comment cela ?

Ils se fondent sur l’article 53 de la Charte, mais le texte ne dit pas cela. Il stipule qu’« aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d’application respectif, par le droit de l’Union, le droit international et les conventions internationales auxquelles sont parties l’Union, la Communauté ou tous les Etats membres, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que par les constitutions des Etats membres ». Le passage « dans leur champ d’application respectif » est essentiel. En effet, si c’est le droit communautaire qui s’applique, les droits fondamentaux de l’Union européenne sont déterminants (article 51-1) et si c’est le droit national, les droits fondamentaux nationaux sont déterminants. Les deux textes ne s’appliquent jamais simultanément.

Mais la Cour de justice européenne pourrait établir que dans ce cas, le droit national est prioritaire.

Mais c’est justement ce qu’elle n’a jamais fait. Elle s’estime toujours compétente. En outre, l’interdiction de la peine de mort n’est pas un droit fondamental, si bien que l’argument selon lequel les droits fondamentaux ne peuvent pas être dégradés n’est pas valable.

Un autre argument avancé par les milieux de la Commission européenne consiste à dire que ce passage devrait permettre d’accueillir la Turquie.

C’est grotesque. En tant que Communauté, nous devrions dire que nous n’accueillerons aucun pays dans lequel il est permis de tuer des personnes, et non l’inverse.

Les politiques sont-ils conscients de ce qu’ils décident là ? Peut-être pas tous, mais au moins le groupe parlementaire CDU/CSU. J’ai fait distribuer à cet effet un résumé de 5 pages seulement de ma plainte afin que les parlementaires n’aient pas trop à lire. Et le SPD devrait connaître le problème car l’un de leurs parlemen­taires, Meyer, a essayé de s’opposer au Traité de Nice.

Pouvez-vous imaginer une raison pour laquelle on prend ce genre de décision ?

Les gouvernements s’attendent manifestement à des insurrections. Le scepticisme à l’égard des gouvernements et de l’appareil européen ne cesse d’augmenter. La crise financière et économique accentue la pression sur la population.

Donc on a l’intention de tirer sur les manifestants ?

C’est ce qu’il semble.

Que peut-on faire là-contre ?

A mon avis, le Traité de Lisbonne justifie la résistance, également parce qu’il sape la démocratie.

A quelle forme de résistance pensez-vous ?

Par exemple à des manifestations et à toutes les formes d’opposition publique, à la voie suivie par Gandhi.

Manifestations qui vont être qualifiées d’insurrections. Cela évoque les dictatures.

Le terme de dictature est impropre mais très usité. Depuis la République romaine, on la définit comme une législation de l’état d’urgence d’une portée limitée dans le temps. Je parlerais plutôt de despotisme, lequel peut dégénérer en tyrannie. D’ailleurs, si en octobre les Irlandais acceptent le Traité de Lisbonne, la peine de mort sera rétablie.


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