Des conflits sociaux de plus en plus radicaux ?

vendredi 25 septembre 2009.
 

Séquestrations en série de cadres, au printemps 2009, à Sony, 3M, Caterpillar, Molex, Scapa, Faurecia ou FM Logistics ; saccage d’une sous-préfecture par les « Conti » ; menaces répétées d’explosion d’usines ou de pollutions cet été à New Fabris, Nortel, JLG, Serta : les formes de la conflictualité se radicaliseraient-elles en France, sous l’effet de la crise et de son cortège de licenciements ? Tenter de répondre à cette question implique d’abord un détour par l’analyse du rôle que jouent, et que les salariés en lutte font jouer, aux médias.

En effet, c’est en partie pour eux que sont adoptées ces formes d’actions « violentes », qui ne choquent que lorsqu’il s’agit d’ouvriers : les agriculteurs ont une longue tradition d’actions violentes qui choquent bien moins. Les guillemets sont, en outre, de rigueur car il y eut très peu de violence directe dans ces conflits. Celle, indirecte, invisible, reléguée dans le temps ou dans la vie quotidienne des familles, que subissent les licenciés mais aussi les « survivants » (on appelle ainsi ceux qui restent), attire par contre bien moins l’attention des journalistes. Or, lorsqu’un conflit est évoqué dans les médias, les salariés enrôlent de nouveaux acteurs dans leur combat, obtiennent de meilleures indemnités et parfois une réduction du nombre de licenciés ou des « solutions » pour certains (préretraites, reclassements, etc.). Au-delà - car ces « succès » sont loin d’être toujours au rendez-vous -, la défense de sa dignité et la restauration d’un honneur bafoué par des décisions parfois cyniques sont des éléments qui contribuent à faire des médias une arène essentielle pour les conflits. Car ils permettent aussi d’obtenir une reconnaissance publique - même si elle peut n’être que symbolique - du tort subi. Alors, plus radicaux, ces conflits ? En un sens oui, car les formes d’action évoquées témoignent d’un ras-le-bol (les bonus des traders et les rémunérations de dirigeants l’attisent) et d’un désespoir qui s’accommodent mal des formes pacifiées de la négociation, ou même de l’arrêt de travail plus ou moins ritualisé. C’est pourquoi des usines sont de nouveau occupées pour garder des stocks, des machines et avoir de quoi négocier. C’est pourquoi aussi on se bat pour une indemnité davantage que pour un emploi, qu’on pense condamné et pour lequel on a souvent déjà accepté des sacrifices. Mais c’est surtout médiatiquement que ces conflits sont présentés, et sont conduits, de manière plus « radicale ».

Cette radicalité, pourtant, n’est pas nouvelle (qu’on se souvienne du conflit Cellatex, en 2000) et loin d’être générale : combien de licenciements silencieux et sans vagues depuis des mois ? Finalement, elle vient de la mise en scène d’une violence potentielle, qu’on se propose de contenir pour faire comprendre l’intérêt d’une prise en compte des revendications exprimées. Elle vise donc aussi à exprimer, mettre en scène et rendre concret des rapports de forces. De ce point de vue, de nombreuses luttes ont lieu aujourd’hui, avec, à chaque fois, des tentatives où se réapprennent, se développent, s’inventent des dispositions et des techniques visant à se faire entendre et à défendre ses intérêts, à contester des décisions prises unilatéralement et souvent loin des lieux de travail. Car l’éloignement des décideurs est aussi une dimension de ces conflits : séquestrations, blocages ou menaces de violence rappellent que les décisions économiques ne s’imposent pas mécaniquement mais que des cadres, des actionnaires, des responsables font ces choix, même si c’est à distance.

Rappelons enfin que ces formes de lutte s’inscrivent dans un mouvement d’extension des conflits, depuis une dizaine d’années, qui prennent des formes diversifiées (refus d’heures supplémentaires, pétitions, manifestations, débrayages…). L’enjeu de la rentrée pourrait bien être, du côté des directions syndicales, d’articuler ces conflits locaux, vis-à-vis desquels elles sont loin d’être toujours à l’aise, et les grandes manifestations qu’elles ont organisées, sans aucun résultat tangible, lors du premier semestre. Cela passe peut-être par une nouvelle considération des manières d’établir un rapport de forces collectif avec son adversaire, qu’il s’agisse du gouvernement, d’organisations patronales, d’employeurs ou d’actionnaires.

Jérôme Pélisse,

Coauteur, avec S. Béroud, J.-M. Denis, G. Desage et B. Giraud, de La lutte continue ? Les conflits du travail dans la France contemporaine, Éditions du Croquant, 2008.


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