Lettre au Parti de Gauche à propos de son congrès fondateur (par Gauche Unitaire)

mercredi 23 septembre 2009.
 

Lors de notre rencontre du 9 juillet dernier, le Parti de Gauche nous a proposé “de fonder le Parti de Gauche lors de son congrès programmatique de décembre.” et “de rentrer au comité de co-organisation de ce congrès.” Nous avions indiqué que nous répondions par écrit à cette proposition. Lors de sa réunion du 5 septembre, le Conseil National Gauche Unitaire a débattu de cette question et a adopté la lettre suivante.

Chères et Chers Camarades,

C’est avec un grand intérêt que nous avons examiné votre proposition que Gauche unitaire s’inscrive comme composante du congrès refondateur du Parti de gauche. Cette invitation étant d’importance, nous voulons y répondre avec le sérieux qui s’impose.

Nous recevons votre offre comme l’expression des rapports de confiance que nos deux courants ont tissés ces derniers mois, singulièrement dans le cadre du Front de gauche aux dernières élections européennes.

Pour notre part, nous tenons à vous dire que la naissance du Parti de gauche a représenté, à nos yeux, un changement éminemment positif de la situation à gauche. La décision courageuse de celles et ceux qui en étaient membres de rompre avec le PS a incontestablement, conjugué avec la proposition du conseil national du Parti communiste, ouvert la possibilité que se constitue le Front de gauche et que commence à s’affirmer une alternative à gauche.

1. Il nous semble qu’il existe, entre nos deux organisations, plusieurs points d’accord solides.

Vous et nous partons de la conviction que nous sommes entrés dans une nouvelle période historique. Le nouvel âge dans lequel est entré un capitalisme financiarisé et globalisé, la crise qui affecte désormais ce modèle d’accumulation et remet en cause les bases mêmes de la visée néolibérale, l’effondrement simultané des projets qui ont longtemps structuré la gauche et le mouvement ouvrier à l’échelle internationale, nous amènent à conclure que les formes organisationnelles du passé doivent être dépassées, que se trouve posée l’exigence de la refondation d’une perspective socialiste et démocratique, intégrant plus particulièrement les apports de l’écologie politique et du féminisme. Ces nouvelles dimensions sont évidemment décisives et c’est la raison pour laquelle nous saluons le travail que vous avez engagé pour intégrer l’écologie à votre réflexion et à votre programme. Indiscutablement, les forces de gauche doivent entamer une “révolution culturelle” sur une question de cette nature, qui implique une rupture radicale avec le productivisme qui a si profondément dominé le mouvement ouvrier.

Vous et nous défendons, dans ce cadre, l’idée qu’il faut aller vers une nouvelle gauche, une force politique pluraliste et radicale qui synthétiserait le meilleur des traditions du mouvement ouvrier et de la gauche (socialiste, communiste, écologiste,autogestionnaire, marxiste-révolutionnaire …). Plusieurs expériences en Europe, en particulier celle de Die Linke en Allemagne, mais aussi celles du Bloc de gauche au Portugal ou de la coalition Synaspismos-Syriza en Grèce, nous paraissent, quant à nous, tracer le chemin qu’il convient d’emprunter pour faire renaître un espoir dans les classes populaires.

Vous et nous avons en commun de considérer qu’il n’est de gauche digne de ce nom, c’est-à-dire se mettant au service d’une classe travailleuse représentant aujourd’hui la majorité de la population dans une société comme la nôtre, que se situant résolument dans le prolongement de ce qui fait son identité originelle : la défense intransigeante de la souveraineté populaire qui donne son contenu à la démocratie depuis la Révolution française ; la volonté de répondre à l’intérêt général à partir de la question sociale qui dessine une alternative possible aux logiques égoïstes et prédatrices du système capitaliste.

Vous et nous prenons acte que, partout, la social-démocratie est entrée dans une mutation « démocrate » qui l’amène à rompre totalement avec l’héritage des combats émancipateurs du passé, avec la référence au socialisme et avec la perspective même d’une autre société, libérée de la domination du capital. En France, quoique avec retard si l’on considère l’état de la gauche européenne, le Parti socialiste s’est à son tour engagé dans sa transformation en force démocrate, cherchant dans des alliances au centre qui tourneront le dos à sa référence traditionnelle aux unions de la gauche, la voie de son retour aux affaires. Pour ce qui nous concerne, c’est la confirmation de l’évolution que nous avions décelée dans la nouvelle « Déclaration de principes » du PS. Une évolution qui nous conduit à considérer que l’indépendance envers ce parti est la condition de la reconstruction indispensable d’une perspective de nature à battre les politiques réactionnaires et à redonner confiance aux classes populaires et à la jeunesse.

Vous et nous orientons, par conséquent, notre politique en fonction de la lutte de classe. Ce qui nous amène à nous retrouver systématiquement dans la solidarité avec les travailleurs, dans les mobilisations sociales ou démocratiques, dans une opposition intransigeante aux menées du pouvoir sarkozyste. Vous et nous sommes de cette gauche qui conteste ainsi, sur le fond et pas simplement sur la forme, les tentatives de ce dernier visant à une refonte réactionnaire de la société française, les dérives autoritaires et liberticides de sa politique, la présidentialisation accrue imposée aux institutions de la V° République dont nous récusons par ailleurs les fondements antidémocratiques, l’atlantisme qui l’amène à s’engager derrière les Etats-Unis, et la multiplication d’aventures militaires comme en Afghanistan.

Tous ces points dessinent les premiers éléments d’une orientation cohérente, apte à relever les défis du moment politique présent et d’intervenir efficacement dans la situation. Nous avons commencé à en tester la portée pratique, lors des élections européennes, avec le Front de gauche. L’écho de la campagne menée ensemble et le succès électoral qui l’a couronné, quelles que soient ses limites, vaut encouragement à poursuivre et approfondir cette démarche. Elle appelle aussi à poursuivre et approfondir les débats entre nos deux courants sur des points tels que le contenu de la perspective socialiste que nous appelons de nos vœux, son rapport avec la référence à la République sociale, la stratégie propre à faire émerger un débouché politique à la hauteur des attentes populaires, l’articulation qui doit dans ce cadre être recherchée entre la mobilisation populaire et les processus électoraux…

Un seul exemple des questions à propos desquelles il nous faudrait échanger. Vous avez coutume d’évoquer le besoin d’une « révolution par les urnes ». Nous partageons le souci, essentiel, de rassembler une majorité de citoyens autour d’une démarche de rupture anticapitaliste. La démocratie est une exigence fondamentale à cette fin et l’importance du suffrage universel ne peut être ignorée ou relativisée. Pour garantir le changement révolutionnaire auquel aurait souscrit une majorité populaire, on ne saurait cependant s’en tenir aux seules procédures électorales, la confrontation avec les classes dirigeantes et les puissances d’argent nécessitant simultanément l’intervention directe et l’auto-organisation des travailleurs et de la population pour faire émerger un pouvoir nouveau.

2. Pour ce qui est de l’immédiat, nous partageons amplement deux des conclusions de la déclaration de votre conseil national du 16 juin 2009. Il s’agit d’abord de la volonté exprimée de renforcer le Front de gauche et sa diversité : « Le Parti de gauche propose donc de continuer et de renforcer le Front de gauche […] Enfin, pour renforcer et faire gagner le Front de Gauche, il faut que celui-ci exprime sa diversité qui est la condition actuelle de son attractivité. » Ensuite, de l’ambition affichée de faire émerger une nouvelle force politique : « Nos objectifs particuliers de développement ne nous font pas perdre de vue la grande ambition adoptée par notre congrès constituant : faire naître une nouvelle force politique capable de prendre en charge un changement de cap pour toute la gauche. »

Cela nous met au défi d’appréhender un problème difficile, celui des médiations à trouver entre l’immédiat et le moyen terme, entre le renforcement indispensable du Front de gauche et la visée de la force politique nouvelle. Le Parti de gauche explique qu’à ses yeux existent deux outils, « l’élargissement du Front de gauche, et aussi celui du Parti de gauche ». Nous pourrions appliquer la formule à notre propre cas.

Dans la phase actuelle (sans préjuger de sa durée, qui dépend des évolutions que nous cherchons, vous et nous à enclencher), nous souhaitons prioritairement travailler à l’élargissement du Front de gauche. Ce qui passe également par un élargissement de Gauche unitaire.

À nos yeux, en effet, tant les acquis de la campagne des européennes que le succès obtenu le 7 juin octroient au Front de gauche une responsabilité décisive. Alors que les évolutions en cours du côté de la direction du Parti socialiste peuvent conduire à un désastre similaire à celui qui a vu disparaître la gauche italienne, avec pour effet d’ouvrir un boulevard à une droite de combat et de régression, c’est à une reconstruction globale qu’il lui faut s’atteler. La reconstruction d’une gauche de gauche, se plaçant résolument au cœur de la gauche, s’adressant à cette fin au peuple de gauche dans sa diversité, afin de créer les conditions d’une majorité politique tournant le dos aux impasses des alternances passées et ouvrant la voie à une transformation radicale de la société.

Dans cette entreprise, alors que des débats fondamentaux sur l’avenir ne font que débuter dans l’ensemble de la gauche et du mouvement social, la pluralité du Front de gauche est un acquis à préserver. Tout doit même être fait pour développer cette diversité, enraciner et ouvrir le Front de gauche : aux socialistes ou écologistes qui n’entendent pas renoncer à leurs valeurs ; aux militants du NPA et à ceux de l’extrême gauche qui constatent que la division de la gauche de gauche mène au désastre ; aux Alternatifs et aux composantes de la Fédération qui le souhaitent ; aux acteurs sociaux qui aspirent à disposer d’une perspective d’ensemble ainsi qu’aux citoyens ou citoyennes en quête d’alternative…

L’existence, au sein du Front de gauche, d’un courant comme la Gauche unitaire nous semble dans ce cadre un atout, y compris pour nos partenaires ayant initié avec nous cette construction inédite. Parce que nous sommes issus pour partie du NPA, que nous nous voulons porteurs du meilleur de la tradition de la LCR tout en nous efforçant de l’enrichir d’autres apports, que nous héritons à travers les militants qui en étaient membres du patrimoine d’histoire et d’expérience de la IV° Internationale, il nous revient de nous adresser spécifiquement aux secteurs militants dont les références sont identiques ou qui sont proches de nos idées. Nous le savons, beaucoup d’entre eux, confrontés à l’échec sur lequel débouche la tentative du NPA, en viennent à la conclusion que le Front de gauche est une chance à saisir. Ils sont souvent sensibles aux positions que nous défendons. La Gauche unitaire peut faciliter leur évolution vers le regroupement du plus grand nombre possible des composantes de la gauche de gauche. Notre action, vous le comprendrez, ne serait pas facilitée par notre intégration au Parti de gauche.

Au demeurant, si la volonté du Parti de gauche de dépasser ce qu’était sa réalité originelle nous paraît positive, la notion de « parti creuset », que vous utilisez pour nous convier à rejoindre le processus de votre congrès refondateur, mérite d’être plus amplement discutée. S’il s’agit, pour vous, de vouloir féconder la dynamique unitaire initiée d’idées que vous jugez essentielles (et que nous partageons pour partie), rien de plus légitime. Il reste, vous ne l’ignorez pas, que la définition d’une formation comme « creuset » d’une refondation générale a déjà été utilisée pour tenter de rassembler dans ou autour d’une seule composante politique. Et que cela a conduit à autant d’échecs. La question doit donc être soigneusement clarifiée.

Bien sûr, les forces transformatrices de demain devront se prémunir du fonctionnement monolithique et autoritaire qui caractérisa longtemps les partis ouvriers des origines. Il leur faudra non seulement manifester leur capacité à intégrer diverses traditions et histoires en leur sein, savoir opérer des synthèses audacieuses entre différents apports, mais également s’identifier par une vie démocratique vigoureuse, garantissant par exemple aux courants en présence le droit de se structurer pour défendre leurs positions. Vous êtes donc parfaitement fondés à vouloir ouvrir vos rangs, sans autre préalable qu’un accord sur le programme et les objectifs qui en découlent. Mais nous discutons là d’un processus long, d’une transition dont dépend, au bout du compte, le changement du rapport des forces au sein de la gauche, donc de la conformation même de celle-ci. Dans la mesure où le Front de gauche est déjà parvenu à faire converger dans une construction commune des forces porteuses de cultures longtemps opposées, respectueuse de l’identité de chacun, c’est à lui qu’incombe la fonction de « creuset » d’une réorganisation d’ensemble à gauche.

Cette dynamique, nous en sommes conscients, est aussi fragile que décisive. Nous devrons donc veiller, au regard du double élargissement du Front de gauche et de ses diverses composantes, que l’un ne se fasse pas au détriment de l’autre.

Telles sont les raisons, Chères et Chers Camarades, pour lesquelles nous ne pensons pas souhaitable, à l’étape actuelle, de répondre positivement à votre proposition.

En revanche, l’importance des convergences d’ores et déjà existantes entre nos deux mouvements permet d’envisager, nous semble-t-il, une coopération permanente Celle-ci permettrait déjà de rechercher le maximum d’interventions communes, de former des groupes de travail sur les grandes questions politiques de l’heure, d’instaurer des liens étroits entre nos instances à tous les niveaux. Nous souhaitons en outre, si vous n’y voyez pas d’obstacles, pouvoir contribuer aux débats de votre congrès, étant évident que la réciproque est vraie en ce qui concerne nos propres discussions.

En vous souhaitant plein succès pour votre congrès,

Recevez, Chères et Chers Camarades, nos salutations les plus fraternelles.

5 septembre 2009

Le conseil national de Gauche unitaire


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