3 septembre 1859 Naissance de Jean Jaurès : Une pensée toujours vivante (par Patrick Le Hyaric, directeur de l’Humanité)

mardi 8 septembre 2009.
 

Nous célébrons aujourd’hui le 150e anniversaire de la naissance de Jean Jaurès. Le fondateur de l’Humanité a été un journaliste actif, un professeur, un historien de la Révolution française, un parlementaire courageux.

Jean Jaurès aura produit tout au long de sa vie des idées, des projets en constante évolution, participant aux avancées du progressisme à la française. Contrairement à certaines allégations qui circulent dans quelques milieux tendant à affaiblir ses actions et sa pensée pour s’efforcer de récupérer l’homme politique dans quelques discours de bas niveau, Jean Jaurès aura étudié et s’inspira des expériences des révolutions de 1789 et 1848, de la Commune de Paris. Il soutint la révolution russe de 1905. Il fit siens les travaux de Karl Marx sur le thème de la valeur et de la plus-value. Jaurès aura été le promoteur de la laïcité, de la République sociale, avec ses avancées, des retraites à la réduction du temps de travail. Sa défense de la paix et son action persévérante pour empêcher le déclenchement de la Première Guerre mondiale lui ont coûté la vie. Sa défense inlassable du capitaine Dreyfus, avec d’éminents intellectuels de son époque, à commencer par Émile Zola, est d’une portée considérable pour tout le mouvement progressiste, au sens où son combat portait sur une question majeure° : celle de la liberté pour tous les individus, quelle que soit leur position dans la société leur opinion ou leur religion. Il l’a fait au nom d’une valeur universelle, indivisible.

En permanence proche des ouvrières et des ouvriers de son époque, il portait avec un grand talent oratoire, mêlant la force et la pertinence des arguments, un français de qualité où perçaient son immense culture et la passion des femmes et des hommes du peuple. Jean Jaurès avait soulevé, souvent avec force, l’antagonisme de classe entre les propriétaires des moyens de production et les salariés.

« C’est le rapport de l’homme à la propriété qui détermine et commande ses rapports aux choses et aux hommes », lançait-il. « La contrariété la plus décisive, l’opposition la plus forte est de celui qui, ne possédant que ses bras, est sous la loi du capital à celui qui, possédant le capital, tient à sa merci le travail des autres ; l’un n’est qu’une portion de nature et il est enfoncé dans la servitude des choses° ; l’autre, par l’intermédiaire de l’humanité asservie et mécanisée, domine les choses (…) la propriété, principe d’attraction et de répulsion, centre de la bataille des classes (…). »

Régulièrement revient chez lui la notion de service public, universel, gratuit, laïc, comme un fondement de la République. Sa conception était celle d’une pluralité d’appropriations dans une multiplicité de formes. Déjà, il alertait sur la différence entre nationalisation et étatisation.

Dans un article de l’Humanité, en février 1911, on lit sous sa signature : « Le Parlement a intérêt, pour la transformation de la société capitaliste en société socialiste, à ce que de grands services publics, administrés selon des règles de démocratie et avec une large participation de la classe ouvrière à la direction et au contrôle, fonctionnent exactement et puissamment. (…) Les services publics démocratisés peuvent et doivent avoir ce triple effet d’amoindrir la puissance du capitalisme, de donner aux prolétaires plus de garanties et une force plus directe de revendication, et de développer en eux, en retour des garanties conquises, ce zèle du bien public qui est une première forme de la moralité socialiste. »

Il sera l’homme de la paix et de l’amitié entre les peuples. Il voyagera beaucoup en Europe et en Amérique latine. Il sera un praticien de la fraternité entre les êtres humains. Il dénoncera la haine de classe de la bourgeoisie contre « les classes dangereuses » de l’époque.

Dans les colonnes de l’Humanité, il combat l’intervention française au Maroc, dénonce la guerre russo-japonaise et celle des Balkans et la confrontation avec l’Allemagne. Il fait un lien entre l’utilisation des armes et la guerre économique. Dès 1895, il parle en ces termes du Parlement : « Il n’y a qu’un moyen d’abolir la guerre entre les peuples, c’est abolir la guerre économique° ; le désordre de la société présente, c’est de substituer à la lutte universelle pour la vie qui aboutit à la lutte universelle sur les champs de bataille un régime de concorde sociale et d’unité. »

Reprenant la formule de Karl Marx de « l’évolution révolutionnaire », il imaginait la transformation sociale comme un processus continu dans lequel le peuple devrait être le maître de bout en bout. « Si le prolétariat pouvait attendre la transformation de l’ordre capitaliste en ordre collectiviste ou communiste d’une autorité neutre, arbitrale, supérieure aux intérêts en conflit, il ne prendrait pas lui-même en main la défense de la cause. »

À propos de l’émancipation et de la société nouvelle, il confirmait : « À cette œuvre immense de construction sociale, c’est l’immense majorité des citoyens qui doit concourir (…) Dans l’ordre socialiste, ce n’est pas l’autorité d’une classe sur une autre qui maintiendra la discipline, la coordination des efforts ; c’est la libre volonté des producteurs associés. Comment un système qui suppose la libre collaboration de tous pourrait-il être institué contre la volonté ou même sans la volonté du plus grand nombre ? »

On pourrait ainsi multiplier les exemples très actuels de la pensée et de l’action de Jean Jaurès, qui utilisait indistinctement les mots de socialisme et de communisme pour qualifier son projet.

Cette modernité vaut aussi pour la conception de l’Humanité, qu’il fonda. Il lui fixait comme but, l’action pour « la réalisation de l’humanité ». Parce que, écrivait-il : « L’humanité n’existe point encore ou elle existe à peine. » Il souhaitait un journal porteur de la voix du peuple travailleur et des forces de la création. Ainsi, écrit-il dans son premier éditorial : « Nous voudrions que notre journal fût en communication constante avec tout le mouvement ouvrier, syndical et coopératif. » Et quelques lignes plus loin, il ajoutait° : « Et quelle autre marque plus grande de respect pouvons-nous donner à la classe ouvrière que de demander aux maîtres écrivains, polémistes sociaux, observateurs, philosophes, qui veulent bien collaborer avec nous, d’interpréter ici la vie humaine ? »

Jaurès et son journal auront beaucoup œuvré pour l’unité des socialistes, dès 1905. Il a toujours voulu le faire sur des bases claires, sans compromissions, toujours dans l’intérêt des ouvriers, des paysans, de tous les travailleurs de son époque.

Fidèle à son fondateur, c’est tout ce que veut cultiver aujourd’hui l’Humanité dans les conditions de notre époque. Sa réalisation et sa parution restent un combat quotidien. Déjà, Jaurès dut se battre avec acharnement pour sa diffusion et trouver les moyens financiers pour faire vivre un journal prenant le parti du peuple contre les puissants. Dans un monde en constante évolution, frappé par une crise sans précédent ; à un moment où l’immense majorité de notre peuple souffre, a besoin d’être défendue et a besoin d’inventer aujourd’hui un post-capitalisme, un nouveau projet de développement humain, solidaire et durable, notre journal va se rénover dans le courant du mois d’octobre. Pour cela, nous voulons associer le maximum de lectrices et de lecteurs.

Imaginons aujourd’hui le paysage médiatique sans ce journal fondé par Jean Jaurès. Raison de plus pour le défendre et le développer. Raison de plus de relire Jaurès. Son message, ses idées, son action sont toujours vivants. Raison de plus pour se rassembler, résister et combattre le plus achevé des anti-jaurésien : M. Sarkozy et sa politique.


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