L’EPR et ses légers dommages collatéraux

samedi 29 août 2009.
 

Cinq ans d’enquête préliminaire… C’est sans aucun doute un record historique dans l’histoire de la justice française. Sans qu’aucun juge d’instruction soit désigné, Stéphane Lhomme, le porte-parole du Réseau Sortir du nucléaire (SDN), a donc fait l’objet d’un harcèlement hors du commun pour avoir rendu public, en novembre 2003, un document estampillé “confidentiel défense” concernant les risques de collision entre des avions de ligne et un réacteur nucléaire “nouvelle génération”, le fameux EPR (European Pressurized Reactor). Finalement, SDN vient d’apprendre du procureur que cette enquête faisait l’objet d’un « classement sans suite »… Excellente occasion de revenir sur les nombreux dommages collatéraux qu’a déjà causé ce réacteur, pourtant toujours à l’état de prototype.

La décision du procureur, que SDN a rendue publique le 21 août, ne doit pas faire oublier que Lhomme a été placé en garde à vue par la DST (aujourd’hui DCRI), à deux reprises (mai 2006 et mars 2008), sur réquisition de la section antiterroriste (sic) du Parquet de Paris. Comme quoi l’antiterrorisme est encore le prétexte à tous les excès, dans ce cas il s’agissait de faire taire un contestataire. Il aurait d’ailleurs été sans doute poursuivi pour diffamation s’il avait affirmé, sans document à l’appui, qu’un réacteur nucléaire, quel qu’il soit, est difficilement protégé contre des attaques suicides de type 11-septembre…

EPR-confidentiel

Cette enquête préliminaire, placé donc sous la seule autorité du procureur, est également un bon moyen de placer un individu sous surveillance sans lui assurer les mêmes droits que dans le cadre d’une information menée par un juge d’instruction. « Les conséquences principales de ce “sur-place” judiciaire était l’impossibilité d’accéder au dossier et le fait de garder sur la tête une “épée de Damoclès” de 5 ans de prison », indique SDN. Rappelons aussi qu’une écoute téléphonique réalisée en “préliminaire” permet par exemple de retranscrire des conversations entre le suspect et son avocat… Ce qui est normalement interdit dans toute procédure classique. Pratique, surtout lorsque l’on sait que les militants antinucléaires sont depuis longtemps surveillés de près. Rappelons que, en lien direct avec cette affaire de document confidentiel défense, EDF aurait mis en place des opérations illégales d’espionnage de Stéphane Lhomme et du réseau SDN (et de Greenpeace par la même occasion). Une plainte a été déposée pour résoudre cette énigme, et elle court encore — les victimes se sont constitués parties-civiles. « Il est nécessaire que toute la vérité soit faite sur cette seconde affaire », indique SDN.

L’EPR est également source de gros soucis pour la filière électronucléaire française en Chine. SDN s’est fait l’écho ce mois-ci d’une affaire de corruption impliquant Kang Rixin, chef du programme nucléaire chinois et président de la société China National Nuclear Corporation (CNNC). Il serait lié à l’engagement de la Chine d’acheter à Areva deux réacteurs EPR. Vente qui pourrait donc être annulée, affirme SDN qui ajoute : « Areva et EDF étant les bénéficiaires de la transaction, il est légitime de se demander si les PDG de ces deux entreprises n’ont pas “oublié” quelques millions de dollars dans la voiture de Kang Rixin après avoir signé des accords avec lui (cf les documents publiés par SDN) pour la construction (par Areva) et la co-exploitation (par EDF) des deux EPR en question ».

Le réacteur EPR, malgré les qualités de son VRP numéro 1, le président Sarkozy en personne, n’a pas encore craché le moindre Kwh d’électricité. Le chantier qu’Areva exploite en Finlande accuse retards sur retards, et personne ne sait quand il sera opérationnel. Un autre chantier EPR est en cours à Flamanville (Manche), il suit le même chemin. Et un autre est prévu à Penly (Seine Maritime), mais pas avant 2012. En décembre dernier, l’Afrique du Sud a annulé les 12 réacteurs (dont des EPR) qu’elle prétendait construire, en avril c’est l’américain AmerenUE qui a annulé un projet d’EPR dans le Missouri. Ajoutez à cela le fiasco des EPR chinois, et le bijou d’Areva brille un peu moins que sur le papier. D’ailleurs, affirme SDN qui a fait ses calculs, tous réacteurs confondus la “renaissance” du nucléaire qu’on veut nous faire avaler ne se vérifie pas dans les faits.

Enfin, preuve que la question rend les autorités quelque peu nerveuses ces temps-ci, le simple fait de manifester contre la suprématie de l’atome attire des ennuis. En témoigne l’affaire minable de la stèle — un monument dédié à “l’irradié inconnu” — qu’ont érigé, le 28 avril dernier (pour commémorer les 20 ans de l’accident de Tchernobyl – photo ci-dessous), des militants près du chantier EPR de Flamanville. La stèle avait pourtant été placée sur un terrain privé, mais le 10 juin, elle a été… dérobée ! Seul un commando bien équipé a pu commettre un tel larcin, la plaque faisant au bas mot une centaine de kilos… Et récemment, les militants ont découvert que le responsable serait… le Conseil général de la Manche.

« A la suite d’une enquête de gendarmerie, peut-on lire dans la Manche Libre, la stèle a finalement été retrouvée dans un hangar appartenant au Conseil Général de la Manche. En effet, la stèle a été enlevée par les services de l’Autorité portuaire [du CG] sous prétexte qu’elle n’était pas sur un terrain privé mais sur le domaine public maritime. Par ailleurs, le monument (…) aurait, selon le Conseil Général, constitué un danger pour le public ». On attend avec impatience les résultats de l’enquête pour vol qu’ont déposé les antinucléaires.


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