Le parti socialiste aujourd’hui. Quelle crise ? Quelle implantation ? Lien entre base sociale et ligne politique. Quel avenir ? (interview de Rémi Lefebvre, universitaire)

vendredi 28 août 2009.
 

Professeur en sciences politiques à l’université de Reims, membre du Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales (Ceraps) de l’université Lille-II, Rémi Lefebvre est coauteur avec Frédéric Sawicki de La Société des socialistes (Editions du Croquant). Il a dirigé le numéro de la revue de l’Office universitaire de recherche socialiste (OURS) consacré aux "transformations du militantisme socialiste" (éd. OURS, juin 2009).

Quel diagnostic portez-vous sur la crise du Parti socialiste ?

Le terme de crise n’est pas vraiment approprié, car il fait référence à une situation transitoire. Le Parti socialiste est, en réalité, confronté à un processus de décomposition lente engagé bien avant le congrès de Reims. Ce congrès a certes accentué cette évolution, en rendant le PS ingouvernable, mais tout cela vient de plus loin. C’est le résultat d’un ensemble de dérèglements intervenus avec la succession de François Mitterrand lors du congrès de Rennes de 1990, qui se sont traduits par la "désidéologisation" et la professionnalisation du Parti. Je ne suis pas sûr cependant que cette crise affecte tous les socialistes. Un grand nombre d’entre eux semblent s’en accommoder et ne connaissent pas ladite "crise". Le PS n’a jamais eu autant d’élus locaux. Le PS est un Janus : un organisme national démobilisé, privé de leadership et de perspectives, un niveau local qui n’a jamais été aussi florissant.

Le PS ne serait-il devenu qu’un parti de notables locaux bien implantés, mais privé de perspectives nationales ?

Il reste difficile de connaître la composition du PS aujourd’hui, l’âge, l’origine socioprofessionnelle de ses adhérents. La dernière enquête remonte à 1998. Ce qui ressort toutefois, c’est qu’il s’agit d’un parti vieillissant, qui compte un grand nombre de retraités et beaucoup de fonctionnaires des collectivités locales. On sait aussi que la moitié de ses membres sont des élus absorbés principalement par la gestion locale. C’est ce lien essentiel et professionnel qui les retient à l’organisation. Le chiffre de 120 000 adhérents, habituellement retenu, correspond à la cartographie de cette implantation locale.

Dans vos enquêtes, vous évoquez aussi le rôle particulier des "professionnels" du PS, collaborateurs d’élus...

La professionnalisation des militants du PS est un phénomène plus récent. La filière de recrutement n’est plus le syndicalisme ou les réseaux associatifs. Un nombre de plus en plus important de ses adhérents vivent de et pour la politique. Avec la décentralisation, on a assisté à la montée en puissance d’une haute fonction publique territoriale et de collaborateurs d’élus, membres des cabinets ou salariés des collectivités locales qui se retrouvent militants semi-professionnels. Ce système endogamique fonctionne en vase clos, dans un milieu social fermé, entre personnes liées par des intérêts professionnels et politiques qui se confondent. Loin en tout cas des groupes sociaux que le Parti est censé représenter ou défendre.

Le PS s’est donc coupé de ses racines populaires et laïques ?

A l’exception de certaines grandes fédérations comme celles du Nord et du Pas-de-Calais, le Parti socialiste n’a jamais été un parti de masse, ancré dans le monde ouvrier. Il a notamment compensé ses faiblesses dans ce milieu par ses liens privilégiés avec les enseignants, une composante stratégique au coeur de l’organisation, qui étaient des relais d’opinion et la courroie de transmission auprès des classes populaires. Ces liens ont été rompus. Certes, le PS n’en est pas seul responsable. Le monde enseignant s’est transformé. Il est moins politisé et s’est embourgeoisé. Mais le Parti n’a rien fait pour reconstruire ces liens, notamment avec les syndicats. Il n’assure plus de promotion aux enseignants. Il suffit de se souvenir du nombre d’enseignants parmi les députés de la "vague rose" de 1981. Il n’y en a pratiquement plus aujourd’hui chez les nouveaux élus.

Cette transformation a-t-elle eu une incidence sur la ligne politique ?

Cette mutation s’est accompagnée d’un phénomène de désidéologisation. Même si on y débat en permanence - sans rien clarifier -, le PS n’accorde plus d’importance à la réflexion doctrinale, alors même que le déclin du modèle social-démocrate la rend impérieuse. Les prises de position cachent - mal - les luttes de position. Les élus sont dans une culture du pragmatisme. Ils sont devenus des notables qui cherchent à rassembler, à créer du consensus, en masquant souvent à cette fin leur étiquette politique. Cela ne signifie pas que la gestion de gauche est identique à celle de la droite. Le PS continue de s’appuyer sur le pouvoir local, mais il ne le conçoit plus comme un outil de transformation sociale. On est loin du cercle vertueux des années 1970, dans la relation entre le local et le national, lorsque les municipales de 1977 avaient préparé la victoire de 1981. Le désinvestissement de la question idéologique renvoie aussi aux courants en déshérence et aux liens totalement décomposés avec le monde intellectuel.

Comment évaluez-vous le désarroi des militants ?

Le PS, parti pluraliste, a toujours été agité par des divisions internes très fortes. C’est une constante historique. Mais pour les militants, elles s’appuyaient sur des substrats idéologiques qui n’existent plus. Les courants sont devenus des agrégats volatiles de soutiens qui se font et se défont. Les luttes internes, artificielles, n’ont plus de sens que pour les dirigeants. Confrontés aux citoyens et aux électeurs, les militants portent le fardeau de ces divisions et paient l’image de la dégradation de leur parti, d’où beaucoup de souffrance. Ce qui ne rend pas le parti attractif, d’où le repli dans l’entre-soi. Comment adhérer à une organisation qui donne un tel spectacle de mise en scène permanente de ses divisions ?

Sur quelles bases le PS peut-il espérer se reconstruire ?

L’équation sociologique est complexe : il doit réfléchir à la reconstruction d’une alliance de classes entre les catégories populaires et des classes moyennes, et pour cela redonner de la lisibilité au monde social. Ce n’est pas évident de faire converger des intérêts parfois contradictoires. Mais on ne sait plus qui le PS représente, qui il défend, quel est son adversaire. Il y a un déficit de conflictualisation, or la gauche ne peut faire l’économie du conflit dans une société profondément inégalitaire.

Le PS a tenté de se renouveler avec les adhésions à 20 euros. Quel bilan en tirez-vous ?

Comme toujours, le PS agit et bricole dans l’urgence et le court terme. Cette formule a été un succès, puisque 80 000 adhérents l’ont rejoint. Mais la plupart sont aussitôt repartis. Ces militants à 20 euros ont été souvent stigmatisés comme "utilitaristes". Ils ont adhéré pour la désignation de Ségolène Royal à la candidature de l’élection présidentielle. Comme elle a perdu, ils se sont retrouvés disqualifiés. Mais rien n’a été fait pour intégrer ceux qui voulaient rester et s’engager plus durablement. Le nouveau militant n’est pas forcément bien accueilli dans une organisation qui s’en méfie, car il perturbe les équilibres, peut contester l’élu en place, apporter un regard extérieur que l’appareil redoute. Or le PS a besoin de s’ouvrir. Un parti qui veut penser et changer la société ne peut se contenter d’une base étroite de 120 000 militants.

Propos recueillis par Michel Delberghe


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