Imaginer les chemins pour dépasser le capitalisme Des débats qui décoiffent à l’université d’été d’ATTAC (2 articles)

dimanche 30 août 2009.
 

1) Des débats qui décoiffent

Les réflexions sur le dépassement du capitalisme et le mouvement d’émancipation marquent les débats de la dixième université d’Attac à Arles

Ce qui se passe à Arles depuis vendredi le montre une fois de plus : « l’université citoyenne » organisée par Attac chaque fin d’été depuis dix ans rencontre un succès qui ne se dément pas. Et ce, quelques soient les aléas que traverse l’association altermondialiste qui semble péniblement se relever de la crise interne qu’elle a connue il y a quatre ans. Preuve s’il en est de l’engouement de militants divers pour le débat, la réflexion, le travail d’appropriation des connaissances, la recherche. L’actualité de la crise a fait bondir les questionnements des adhérents et sympathisants d’Attac France. La critique du néolibéralisme, du capitalisme financier, suffit-elle à comprendre cette crise globale, « systémique » que nous sommes en train de vivre ? Ne faut-il pas plutôt interroger le système capitaliste lui-même ? Le thème de l’université citoyenne « Que faut-il faire du capitalisme ? » répond sans ambiguïté à cette question (voir l’entretien avec Aurélie Trouvé, coprésidente d’Attac, dans l’Humanité du 21 août). Et quand des chercheurs et des militants se réunissent pour se confronter sur de tels enjeux, ça décoiffe.

Faut-il dépasser le capitalisme ? A Arles aussi, Marx est de retour et le marxisme interrogé. « Je ne veux pas clouer au pilori cette notion de dépassement, explique Pierre Dardot, mais montrer ce qu’elle peut avoir d’équivoque. N’est-il pas périlleux d’imaginer dépasser un système, le capitalisme, dont la première caractéristique fondamentale est de se dépasser lui-même constamment ? » Le philosophe explique qu’il ne s’agit pas d’aller plus loin que le capitalisme dans la même direction qui est « de produire toujours plus de plus value ». Ni de réaliser « la promesse du capitalisme de produire toujours plus de biens matériels ». « La bourgeoisie, en détruisant les sociétés traditionnelles, n’a pas eu une mission civilisatrice comme le prétendait Marx, renchérit l’économiste Geneviève Azam, parce que le mouvement d’expansion du capital a engendré des phénomènes de société et écologiques irréversibles qui sapent les fondement même des sociétés ». Il faut selon elle « penser l’émancipation comme une conservation critique » et non comme un « arrachement » ou « une table rase ».

Mais il ne faut pas non plus penser sans interroger les expériences passées ont souligné plusieurs intervenants. « La crise appelle une bifurcation fondamentale dans le mode de développement de la planète, propose Thomas Coutrot. Et ça ne se fera pas sans un projet collectif, une idéologie ». Le statisticien milite pour un projet d’émancipation porté par « un sujet qui ne peut plus être la classe ouvrière », et suggère de travailler sur l’idée de la construction d’une « société civile démocratique ». « Tous les projets émancipateurs ont échoué parce qu’ils étaient hégémoniques », rétorque Francis Parny lui reprochant de rechercher un projet unique porté par un acteur unique. Le dirigeant du PCF propose de penser « des modèles de développements différents qui prennent en compte la diversité du monde ». Dans le même sens, le sociologue Philippe Corcuff estime qu’on « ne peut pas penser une radicalité anticapitaliste et une pensée émancipatrice sans une vigilance antitotalitaire ». Il appelle à « rompre avec l’applatissement du pluriel dans les gauches au nom de l’unité, de la centralisation. Il faut, selon lui, « se débarrasser de ce vocabulaire », « rompre avec la conception de la politique comme harmonie, comme synthèse, et accepter les antinomies ».

« On m’a demandé : face à la crise, que faut-il faire des riches ? Je réponds : suivre leur exemple ! » lance malicieusement Monique Pinçon-Charlot. La sociologue explique que « l’aristocratie de l’argent » a su se constituer « en véritable classe sociale, une classe mobilisée pour défendre ses intérêts au détriment des intérêts du reste de la société ». Elle montre que la « richesse » de cette caste est économique « mais aussi culturelle, sociale et symbolique ».

D’ailleurs, lance Jean-Louis Sagot Duvauroux : « le libéralisme, c’est très convaincant ! ». « La doctrine libéraliste, c’est que la société humaine ne peut aller plus loin, qu’on a atteint toute la liberté possible avec la démocratie représentative à l’occidentale, avec le progrès tel que l’a développé l’occident, avec la consommation comme clé du bien être, avec le libre marché et la direction capitaliste de l’économie », explique le philosophe. Il montre que « l’émancipation, c’est au contraire continuer l’histoire ». « On sait faire de l’émancipation sans totalitarisme », avance-t-il, ébauchant un inventaire allant de la Sécurité sociale aux logiciels libres. Mais « l’émancipation n’est pas le destin de l’humanité, c’est un possible, ce n’est pas la vérité de l’Histoire ». Il appelle à « apprendre à être libre ».

Glanés ici ou là à travers les ateliers de l’université citoyenne d’Attac, ces propos montrent combien le champs de la réflexion est ouvert pour ceux qui veulent transformer le monde. Et beaucoup à gauche attendent des partis qu’ils ouvrent de tels espaces de rencontres, de recherches et de travail.

Olivier Mayer

Envoyé spécial

Arles, Bouches du Rhône

2) Interview d’Aurélie Trouvé avant l’Université d’été

Comme thème central de votre université d’été, vous posez une question surprenante : « Que faire du capitalisme ? » Vous hésitez entre le refonder et le dépasser ? Le moraliser et l’abolir ?

Aurélie Trouvé. En tout cas cette question n’a jamais été posée ainsi de façon frontale au coeur d’une université d’ATTAC. L’objectif est d’abord de s’interroger sur le capitalisme. Nous nous sommes toujours situés, à ATTAC, contre le capitalisme financier, une phase néolibérale, exacerbée du capitalisme. Mais nous sommes aujourd’hui dans une crise globale, une crise systémique qui interroge les fondements mêmes du capitalisme comme système d’exploitation des ressources humaines et naturelles. On pose aussi la question des alternatives. On ne veut pas seulement proclamer un souhait de dépasser le capitalisme.

Vous posez donc les questions plus globalement. N’est-ce pas vous mettre sur un terrain plus politique, qui dépasse un peu le terrain social, de mouvement d’éducation populaire, tel que vous l’avez conçu au départ ?

Aurélie Trouvé. Au contraire la question du capitalisme interpelle l’ensemble des mouvements sociaux et citoyens. C’est une question politique mais qui n’est pas circonscrite au champ des partis politiques. ATTAC, qui a un rôle d’expertise, doit poser centralement cette question et imaginer les chemins pour dépasser ce système. Depuis le début, l’association, qui milite pour une socialisation des richesses et une gestion collective des biens communs, se place évidemment dans la perspective de dépassement du capitalisme.

Un des prochains grands objectifs d’ATTAC, c’est le sommet de Copenhague en décembre sur le climat. Vous préparez un contre-sommet. Pourquoi et qu’y ferez-vous ?

Aurélie Trouvé. Le sommet de l’ONU à Copenhague en décembre sera décisif sur la question climatique. Les contraintes écologiques et plus précisément climatiques se posent pour l’ensemble des activités humaines sur la planète. Nous redoutons un accord minimal, bien en dessous des enjeux de cette crise climatique. Et surtout nous redoutons une emprise, une mainmise de la finance sur la question du climat à travers le marché carbone, le marché des « droits à polluer » décidé dans le processus de Kyoto. Pour Copenhague, nous exigeons que les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre soient à la hauteur des enjeux. Les experts conseillent une réduction de 40 % d’ici à 2020, l’Europe propose - 25 % et les États-Unis - 10 %. Nous exigeons également une aide aux pays du Sud pour leur permettre de remplir leurs objectifs de réduction et d’affronter les dégâts actuels des changements climatiques. Et nous appelons à des interventions publiques très importantes pour mettre en oeuvre des politiques de reconversion qui permettent de limiter à la source les émissions polluantes.

Vous avez été un mouvement très attractif avant de connaître, il y a quelques années, un creux. Sentez-vous aujourd’hui un nouvel engouement ?

Aurélie Trouvé. La crise interne qu’a connue ATTAC est aujourd’hui dépassée. On est revenu à un fonctionnement serein et démocratique. On pâtit surtout d’une faiblesse de la gauche en général, pas seulement des partis, dans toute l’Europe. Hors d’Europe, le mouvement altermondialiste connaît un très fort élargissement social et géographique et le réseau ATTAC se renforce à l’échelle mondiale. En France, ATTAC se mobilise pour Copenhague, mais lance aussi des campagnes, notamment une sur les banques : « Je change ma banque ou je change de banque ». On veut que les citoyens soient acteurs dans leur façon de consommer comme dans leurs pratiques quotidiennes.


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