Chili : La gauche dans les élections présidentielles, les médias, la détermination d’Arrate et le Jedi MEO

lundi 24 août 2009.
 

La campagne électorale présidentielle au Chili connaîtra son point de départ réel le 13 septembre, lorsque tous les candidats déposeront officiellement leurs candidatures. Pour l’heure, les manœuvres, petites et grandes, continuent. Les médias (presse écrite et TV) travaillent avec obstination à façonner un certain paysage politique. Ce travail idéologique de sape est d’abord l’œuvre d’El Mercurio. Ici, ce journal est une institution. Le groupe qu’il représente, dirigé par la famille Edwards depuis maintenant trois générations possède plus de la moitié des journaux dans le pays, et pratiquement la totalité des journaux régionaux. Il reçoit, à lui seul, 80 % des investissements privés pour la publicité dans la presse. Avec le groupe COPESA qui possède son seul réel concurrent La tercera, journal qui a une large diffusion mais n’a pas du tout la même influence économique et sociale, ils représentent 99 % du marché. Voilà la réalité de la presse dans un pays ou la libre concurrence est le dogme de tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 1973. Idéologiquement ces deux journaux défendent sans complexe la même orientation éditoriale, à coté de laquelle en comparaison notre Figaro national est une feuille gauchisante : ultra libérale sur le plan économique et sécuritaire et réactionnaire sur le plan social (et bien sûr, par exemple grossièrement opposé au Président Hugo Chavez, ou complaisant vis à vis du coup force au Honduras contre le Président Zelaya).

Le poids de ces groupes de presse conservateurs est symptomatique des contradictions qui traversent le Chili d’aujourd’hui. Alors, qu’il est maintenant clairement établi que la direction d’El Mercurio a participé activement à la déstabilisation du gouvernement Allende pendant les trois années de la UP et au coup d’état militaire de 1973, depuis le départ de Pinochet, ce journal n’a rien perdu de son influence, bien au contraire. Régulièrement, il fait démissionner des ministres, impose ses thèmes au gouvernement et étouffe et censure ce qu’il ne veut pas entendre. Ces derniers jours, il mène une campagne féroce contre le gouvernement car deux ministres ont utilisé leur voiture de fonction pour participer à une réunion du candidat de la Concertation Eduardo Frei.

Un dernier quotidien La Nacion est détenu à 70 % par l’Etat. C’est lui qui nomme son Directeur. Mais ce journal vivote dans les kiosques. Son impact est très faible sur les milieux populaires.

La télévision n’est pas plus indépendante des milieux d’affaires. Il existe six chaines télévisées chilienne. TVN est la seule à avoir une diffusion sur la totalité du territoire (c’est-à-dire même sur l’Ile de Pâques). C’est la seule chaîne publique, mais elle ne touche pas un centimes de l’Etat ! Son seul financement est dû aux publicités. Les autres chaines sont la propriété privée de grands groupes : la plus regardée est à l’Université Catholica (Canal 13), deux autres à des investisseurs mexicains, et une dernière (Chilevisionest) est même possédée par le milliardaire Sébastian Pinera, dont je vous ai déjà parlé. C’est lui le candidat unique de la droite à cette élection.

Plongés en ce contexte inouïe de quasi monopole d’une poignée de familles, seul quelques journaux comme une édition chilienne du Monde Diplomatique, ou encore Punto final et El Siglo (l’hebdomadaire du PC Chilien) font entendre des voix différentes. A cela, il faut ajouter pour être complet l’hebdomadaire El Periodista, plutôt favorable à la Concertation et le journal satirique The Clinic.

Dans ces conditions, Jorge Arrate continue sa campagne avec une détermination de plus en plus forte. Bien entendu, c’est surtout à partir de la mi septembre que cette campagne connaitra toute sa puissance. Mais, contrairement à la censure absolue que j’avais constaté il y a un mois, à présent, elle existe y compris dans les médias si verrouillés qui sont obligés de l’évoquer lorsqu’ils parlent des différents candidats. Toutefois, elle ne repose que sur les forces militantes qui se sont regroupées dans le Front de gauche Juntos Podemos Mas. C’est-à-dire notamment le Parti communiste chilien, la Gauche chrétienne (IC), et les socialistes qui ont rompu avec le PS pour soutenir Arrate (qui se regroupent essentiellement dans les Socialistes allendistes et les jeunes d’Izquierda 21). Depuis ces dernières semaines sa campagne se développe en profondeur et commence à se voir dans le pays hors de la Région capitale, sur le terrain et sur les murs des villes moyennes. Mais, toutes ces forces manquent cruellement de moyens financiers.

Cette semaine avec Raquel Garrido, secrétaire nationale chargée des relations internationales, au nom du PG, nous avons rencontré Jorge Arrate. Durant plus de deux heures, nous avons eu avec lui en échange passionnant sur la situation politique du Chili. Jorge est un homme chaleureux, un intellectuel précis, d’une grande culture politique, fin connaisseur de l’histoire de la gauche dans le continent latino américain. Ensemble, nous avons abordé beaucoup de thèmes : le bilan de la Concertation, la crise du PS, la lutte contre les inégalités, le combat pour une autre répartition des richesses, la question Mapuche, les raisons de sa candidature de rassemblement, la nécessité d’une nouvelle gauche…

Comme vous le savez, je prépare pour le quotidien L’Humanité un reportage sur la campagne présidentielle chilienne. Aussi, je réserve pour ce journal la primeur des propos du candidat. Vous lirez donc l’interview de Jorge Arrate à cette occasion, durant la première quinzaine de septembre (Important : il faut lire L’Huma ). Jorge est également très intéressé par la situation française, il nous a interrogé longuement sur les relations entre les forces qui composent le « front de gauche » et la construction du Parti de Gauche. Avec Raquel Garrido, nous allons rédiger bien vite un compte rendu de cette rencontre qui sera sans doute publiée sur le site du PG. Il nous semble que des tâches concrètes de solidarité doivent être menées à partir de septembre en France pour aider cette candidature. Je vous en reparlerai. Bien vite, nous allons également rencontrer Alejandro Navarro, pour l’heure encore candidat pour le MAS. C’est important. J’insiste sur le fait qu’à mes yeux ces deux candidatures ne doivent faire qu’une, car elles expriment des idées d’une grande proximité. Nous souhaitons donc en discuter avec lui. Mais, obligé de partir pour le nord du pays, Navarro a déplacé notre rendez-vous à la semaine prochaine.

Et puis, il y a deux jours, j’ai aussi rencontré Marco Enriquez-Ominami (MEO). J’ai déjà évoqué sur ce blog combien cette candidature est un cocktail détonnant de différentes choses très contradictoires. Elle se présente à priori comme anti système, mais « MEO » est partout dans cette presse qui soutient ce système économique si injuste. Ici, il fait la une du principal magazine people avec son épouse, l’animatrice TV la plus en vue du pays. Dans un autre hebdomadaire grand public, le fils du candidat de la droite, Sebastian Pinera Jr, déclare qu’il soutient son père mais qu’il a beaucoup d’amitié pour MEO. En même temps, le frère de Pinera, José Pinera, homme politique réactionnaire, ex Ministre de Pinochet, reconnait avoir donné sa signature à MEO pour qu’il puisse se présenter. En effet, la loi oblige, quand on n’est pas présenté par un parti officiellement reconnu, à être soutenu par 35 000 électeurs d’un certain nombre de régions qui, devant notaire, attestent vous "parrainer". Ce frère du candidat de droite, pinochetiste, soutient publiquement Enriquez-Ominami en déclarant à l’AFP « Pour la justice, j’aide Marco à réunir les signatures. Signer n’est pas voter. J’ai été le premier candidat indépendant à la présidentielle en 1993. Je sais que c’est difficile à obtenir. »

Tous ces soutiens, d’apparence contre-natures, sont la suite logique d’autres faits. Je découvre que MEO a confié la partie économique de son « commando » (c’est-à-dire de son équipe) à Paul Fontaine, un homme d’affaire de droite trés en vue, formé à l’ultra libérale école de Chicago, qui déclare avoir voté Pinera contre Bachelet lors de la dernière présidentielle, et assure que cette fois ci encore au second tour, il votera Pinera si MEO n’y ait pas. A la question « Quelle vision avez-vous du régime militaire ? », Paul Fontaine répond avec franchise : « Je reconnais l’œuvre économique et condamne les violations des droits humains » (in Qué pasa ? Juillet 2009). Parallèlement, Marco Enriquez-Ominami, en direction de l’électorat socialiste, assure que sa candidature est « la continuité logique et naturelle de la présidence Bachelet ». Enfin, il rassemble encore autour de lui Pascal Allende, considéré par la presse comme un homme d’extrême gauche, neveu de Salvador Allende, et dirigeant historique du MIR des années 70, et son père adoptif, Carlos Ominami, ex Ministre des finances qui a mené bien des privatisations, et qui fut l’organisateur du voyage du Chili de Ségolène Royal en 2006.

Et depuis hier, nouveau coup d’éclat médiatique : cette candidature attrape tout, choyée par les médias, vient d’être consacrée par un nouveau sondage largement diffusé et commenté.

Selon ce sondage IPSOS, réalisé sur 1507 personnes, au premier tour Pinera obtiendrait 35,6 %, Frei 22,9 % et MEO 20,6 %. Au second, Pinera battrait Frei par 45,5 % contre 38,1 % (avec 16,4 sans opinion). Mais, lorsqu’on sonde un second tour Pinera contre MEO, on obtient 43,6 % pour le premier et 40,3 % pour le second, soit moins de 3 points de différence.

Ainsi donc, cette candidature, qui n’est soutenue par aucun partis, ni aucune réelle force militante, s’envole dans les sondages. Jusqu’où ira-t-elle ? Quelle est la part de vérité, et la part de manipulation dans tous ces résultats ? Difficile à établir. La lecture du programme de MEO, son « décalogue », (que l’on lire en espagnol ici ) est d’une grande généralité.

Dans cette ambiance, alors qu’il est sans doute l’homme le plus médiatisé actuellement au Chili, qu’il enchaine les interviews et les déplacements, Marco a accepté de me rencontrer très facilement. La rencontre est rapide, agréable, directe (Marco pratique le tutoiement) mais somme toute assez superficielle. MEO qui s’exprime parfaitement en français (c’est là, à Paris, qu’il a fait une partie de ses études) est un homme politique malin. Il écoute poliment ma présentation du PG, mais il glisse sur les questions précises en faisant souvent référence à des actes qu’il aurait mené les années précédentes, que j’ignore, et que je peux difficilement juger. Sa vision du bilan de la Concertation, et les raisons de sa candidature reposent essentiellement sur une critique du fonctionnement interne de la Concertation et sur un refus de la part des Partis qui la composent, de pouvoir lui permettre de se présenter. Marco est favorable à un changement de constitution, mais ne le fera pas par une Assemblée constituante. Il veut des réformes fiscales, mais cite principalement l’alcool et les cigarettes qui sont des produits populaires de consommation courantes. J’en reste là.

J’utiliserai les autres éléments rassemblés lors de cette entretient dans mon reportage pour L’Huma. Drôle de rencontre à la vérité. Cet homme peut il devenir le prochain Président du Chili ? J’en doute, mais dans un pays qui connait une telle crise, tout est possible. Même le plus invraisemblable. Pour l’heure, sa candidature fait indiscutablement exploser le cadre vermoulu de la Concertation. A ce titre, elle affaiblit cette alliance dépassée, avantage momentanément Pinera, et asphyxie les autres candidatures de gauche indépendante de la Concertation (et en premier lieu celle de Jorge. Peut être est-ce aussi un des buts initiaux ?). En même temps, elle modèle un nouveau visage pour une force électorale de centre gauche, sociale libérale, plus « branchée » ouverte sur les questions de sociétés, mais peu sensible aux questions sociales et aux problèmes du droit du travail, qui ne veut plus assumer les vieux compromis entre les quatre partis qui composent la Concertation. Selon moi, le PS Chilien sortira moribond de cette campagne électorale. Peut être, MEO y fera un retour triomphal, en prendra la direction, et fabriquera un Parti de type « Démocrate » néo blairiste, débarrassé de toutes les « vieilleries » de la UP, référence symbolique à Allende, etc... D’un certain point de vue, il ira jusqu’au bout, et de la façon la plus conséquente qui soit, du processus engagé dans le PS chilien depuis 20 ans.

Dans son feu nourri de déclarations tous azimuts, sur un mode de communication trés semblable à celui utilisé par le candidat Sarkozy en France, MEO utilise aussi quelquefois des provocations nauséabondes à mon goût, faisant le jeu de la droite chilienne qui évidemment jubile. Ainsi, par exemple, au sujet de l’accès de la Bolivie à l’océan par un passage sur le sol chilien (vieux motifs de tension entre les deux pays), Marco se déclare « pinochétiste sur cette question », car il semble que le vieux tyran était favorable à cet accès. Le propos provocateur décomplexe une partie de ceux qui avaient soutenus les militaires. Si même le fils de Miguel Enriquez, grand dirigeant marxiste du MIR mort assassiné par les militaires, se dit « pinochetiste » sur certaines questions, alors ceux qui se sont enrichis durant ces sombres années vont pouvoir eux aussi s’assumer « pinochetiste » sur le plan économique. Et, c’est exactement ce que fait Paul Fontaine son conseiller économique cité plus haut.

L’originalité de la campagne de MEO est qu’elle est d’un type nouveau pour le Chili. Marco, fier de sa communication politique tapageuse, me dit avoir travaillé aux cotés de Jacques Séguéla, notamment lors de la présidentielle au Pérou. C’est là qu’il m’assure avoir beaucoup appris. C’est un « fils de pub » qui vend sa candidature comme un produit commercial, avec vaisselle à son effigie, carnet, sac à main, photo avec sa famille et même... son poster en chevalier Jedi, tel Luke Sky Walker, sabre laser à la main !

Ce clin d’oeil, assez grotesque m’interroge. Dans la série des Star Wars, Luke, le fils du méchant Dark Vador, devient le gentil héros qui sauve le système planétaire. Pour la bourgeoisie chilienne, le fils du « méchant » dirigeant révolutionnaire des années 70, va-t-il devenir au début du XXIe siècle le sauveur de leur système économique ?

Il est à craindre, que comme avec Pinera et Frei, à travers sa candidature aussi "L’empire contre-attaque". Grisé par les sondages, MEO ne serait il pas en train de basculer du coté obscur de la force ?


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