Lamentable Etat turc qui envoie à nouveau Leyla Zana, kurde, progressiste et féministe en prison

vendredi 31 juillet 2009.
 

1) Une militante kurde, ancien député, condamnée en Turquie Article Le Parisien

La militante kurde Leyla Zana, ancien député au parlement turc, a été condamnée à 15 mois de prison mardi pour des déclarations favorables aux rebelles kurdes, a-t-on appris de sources judiciaires.

Le tribunal de Diyarbakir, plus grande ville de la région sud-est, peuplée en majorité de Kurdes, a jugé que les déclarations de cette militante constituaient de la propagande en faveur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le mouvement interdit en lutte depuis 25 ans contre le régime turc.

Lors d’une conférence l’an dernier à Londres, elle avait déclaré que le PKK et son leader emprisonné à vie Abdullah Öcalan étaient "aussi importants pour le peuple kurde que le cerveau et l’âme pour l’être humain".

Ses avocats ont annoncé qu’elle ferait appel de cette condamnation. Elle a déjà fait appel d’une condamnation à 10 ans de prison qui la frappe depuis décembre dernier, pour appartenance au PKK et diffusion de propagande du mouvement.

Leyla Zana, 48 ans, a été la première femme kurde élue au parlement. Elle a déjà passé dix ans en prison, avec trois autres anciens députés d’origine kurde, pour collaboration avec le PKK. Ils ont été libérés en 2004.

Elle a été élue 1991, mais a perdu son siège en 1994 après l’interdiction de son parti pour liens avec les rebelles.

2) Leyla Zana libérée (12 juin 2004) Article de L’Humanité

Arrêtée, torturée, condamnée à quinze ans de prison, Leyla Zana, quarante-trois ans, est libre depuis mercredi, après dix ans de détention.

Leyla Zana et ses trois collègues - les ex-députés Hatip Dicle, Selim Sadak et Orhan Dogan - sont libres depuis mercredi. Mais que sait-on de cette femme courageuse, de ce qu’a été sa vie et son itinéraire politique ?

Leyla Zana, aujourd’hui âgée de quarante-trois ans, est entrée dans l’histoire et en politique presque par effraction. En 1975, mariée à l’âge de quatorze ans, contre son gré, par son père à Mehdi Zana, militant du POT (Parti communiste de Turquie), Leyla Zana n’a été à l’école primaire que durant un an et demi. Sa vie a basculé quand, après le coup d’État militaire de septembre 1980, son époux est arrêté et condamné à dix ans de prison. Femme au foyer, mère d’un petit garçon et enceinte de sa future fille, Rüken, elle était alors en plein désarroi. Et c’est en rendant régulièrement visite à son mari en prison qu’elle décide de passer à l’action. D’abord en faisant des efforts pour lire des livres politiques dans une langue, le turc, qui n’était pas sa langue maternelle et qu’elle lisait difficilement. Puis, à partir de 1984, en participant à des activités politiques et à une grève devant la prison pour la libération de son mari. " En 1984, je me suis dit : voilà j’existe ", racontait-elle dans un entretien à l’Évènement du jeudi. En 1988, elle est arrêtée durant sept jours. Elle est sauvagement torturée. En 1991, ses camarades de lutte lui proposent de se porter candidate aux élections législatives sur une liste du SHP (social-démocrate). Élue députée le 20 octobre de la même année, elle est alors la première femme kurde à siéger au Parlement d’Ankara.

Lors de la prestation de serment, cérémonial auquel sont soumis les députés élus ou réélus, retransmis en direct par la télévision, elle déclare en kurde : " J’accepte cette cérémonie constitutionnelle au nom de la fraternité des peuples turc et kurde. " Ses propos sont accueillis par des sifflets, des railleries, des insultes dans l’enceinte du Parlement. Elle est forcée de démissionner de son parti, le SHP. Il n’empêche, elle continue à se battre contre cette image dégradante selon laquelle " être kurde, c’était un déshonneur ", à militer pour la reconnaissance des droits du peuple kurde. Leyla Zana se rend à l’étranger, en France, où elle est reçue par le président Mitterrand, au Parlement européen. Un activisme qui déplaît aux militaires turcs, qui détiennent la réalité du pouvoir en Turquie. Et ce qui devait arriver arriva.

En mars 1994, sur injonction des militaires, une cabale politico-judiciaire, relayée par une presse chauvine, est lancée à son encontre ainsi qu’envers les autres députés kurdes. Suit une procédure de levée de l’immunité parlementaire contre elle et ses trois collègues. Le 5 mars 1994, le Parlement turc la vote à l’unanimité. Leyla Zana, Hatip Dicle, Selim Sadak et Orhan Dogan, présents dans l’hémicycle, sont arrêtés à la sortie du Parlement. Le 27 mars, le premier ministre turc, Mme Tansu Ciller, clame alors triomphalement : " Je les ai chassés du Parlement. " Le 8 décembre de la même année, au terme d’une parodie de justice où les preuves ont été rassemblées après leur arrestation, les quatre députés sont condamnés à quinze ans de prison après que le procureur eut demandé la peine de mort. La solidarité internationale a permis qu’ils échappent à la peine capitale, mais pas à la prison. Lors de ce procès inique, la prestation de serment prononcée trois ans auparavant par Leyla Zana figure dans l’acte d’accusation dans les termes suivants : " Je suis kurde. Je resterai kurde jusqu’au bout. Je veux créer un État kurde. " Pis, les quatre députés sont accusés d’avoir effectué " un stage " dans un camp du PKK (Parti du travail du Kurdistan), alors qu’en vérité ils se trouvaient dans un camp de vacances à l’invitation des ministres des Finances et de l’Industrie turcs. L’un de ses avocats, Faïk Candan, est assassiné quelques jours après la fin du procès à Istanbul. L’opinion internationale se mobilise. ONG de défense des droits de l’homme, hommes politiques de progrès, Parlement européen condamnent cette parodie de justice. En 1996, ce même Parlement lui décerne le prix Sakharov. Sylvie Jan, alors présidente de l’UFF (Union des femmes françaises), et Aline Pailler animent plusieurs actions pour sensibiliser l’opinion publique française, maintenir la pression sur les autorités turques pour exiger sa libération. L’ancienne présidente de l’UFF lui rend visite en prison et restera en contact avec elle durant toutes ces dix années de détention. Sa santé se détériore gravement. L’arrivée d’une nouvelle majorité au pouvoir en Turquie, en novembre 2002, le fait que le gouvernement de Taiyyp Erdogan ait inscrit parmi ses objectifs d’accélérer les réformes démocratiques pour l’ouverture des négociations d’adhésion à l’Union européenne conduisent le Parlement turc à donner suite au jugement prononcé en 2001 par la Cour européenne des droits de l’homme qualifiant le procès de 1994 de " non équitable ". La révision du procès de Leyla Zana et de ses trois collègues débute en mars 2003. En juin de la même année, à l’issue de la quatrième audience, devant les juges de la Cour de sûreté de l’État, Leyla Zana déclare : " L’Europe sans la Turquie sera un projet inachevé. Faites ce signe à l’Europe et au monde, pour montrer que vous voulez démocratiser la Turquie. " La demande est rejetée par la Cour. Ses avocats introduisent un appel du jugement devant la Cour de cassation. Le 21 avril 2004, nouveau procès. Et de nouveau, la sentence prononcée en 1994 est confirmée. Jusqu’à ce que le premier procureur de la Cour de cassation demande que l’on casse ce jugement et qu’une cour d’appel décide de libérer Leyla Zana et ses trois collègues. Dix ans après !

Hassane Zerrouky

3) Interview autobiographique de Leyla Zana dans L’évènement du Jeudi

Je suis née le 3 mai 1961 ; mon père était un petit employé du service des eaux. Nous étions 6 enfants : j’avais 4 soeurs et un frère ; je suis allé un an et demi à l’école primaire, mais mon père, un homme conservateur, traditionnel, m’a forcée à arrêter mes études ; moi je ne voulais pas arrêter, mais je ne pouvais pas m’opposer à sa volonté. Et à 14 ans, il m’a mariée, avec Mehdi, mon cousin. Je ne le connaissais pas ; quand j’étais petite, il venait dans le village faire de la propagande pour son parti (le POT, le parti communiste de Turquie), mais je n’avais pas fait attention à lui. Il avait été arrêté en 1971, et avait passé 3 ans en prison, avant de bénéficier d’une amnistie en 1974. Sa mère venait souvent chez nous, et un jour, fin 1974, elle m’a demandée à mon père, pour son fils. Mon père a accepté.

Un mariage arrangé par mon père

Quand mon père me l’a dit, je l’ai frappé, en lui disant : “c’est comique !” Mais malgré tout il m’a donnée à Mehdi. Quand j’ai vu Mehdi la première fois, j’étais fiancée. Je ne pouvais pas penser à lui comme un mari : j’étais petite, il était vieux : il y avait plus de 20 ans de différence entre nous. Mehdi est né en 1940, il avait près de 35 ans, il était tailleur.

Mehdi Zana avec son fils Ronahi et sa fille Ruken à Paris devant une photo de Leyla ZanaCe n’était pas moi qui choisissais mon mari, et tout de suite j’ai senti que ma vie serait dure : nous avions tellement de différences. J’étais une enfant, je voulais vivre mon age, et lui il était un homme. Mais début 1975 nous étions mariés.

Q : que pensiez-vous des activités politiques de Mehdi ? (un des chefs du mouvement nationaliste kurde en Turquie)

L.Z : A l’époque, il n’y avait pas de mouvement nationaliste. Les militants de cette génération étaient communistes. Et ma famille était très traditionnelle ; donc j’étais anticommuniste. Mon père avait d’ailleurs dit à Mehdi : “Je te donne à ma fille, mais il faut que tu ailles à la mosquée !” Mehdi avait répondu :” D’accord, d’accord, on verra”.

Q : Alors, qui a changé ?

L.Z : C’est moi. Je vivais dans un petit monde. Et tout d’un coup je me suis trouvée dans un monde beaucoup plus vaste ; et j’ai compris que ce monde-là n’était pas ce que je voyais dans mon village. J’ai commencé à changer, progressivement. Quand j’ai commencé à vivre avec Mehdi, je vivais tellement de contradictions : je n’avais pas décidé ma vie, c’était quelqu’un qui m’imposait la vie que je menais. Pendant cinq ans, ce n’a pas été ma vie : j’étais quelqu’un pour Mehdi, pour faire plaisir à Mehdi.

En 1980, Mehdi a été arrêté, et il est allé en prison (il devait y passer 10 ans). J’avais 20 ans ; j’avais un petit garçon, et j’étais enceinte ! : pendant un an je n’ai pas arrêté de pleurer. Je me demandais : comment vais-je vivre ? comment vais-je nourrir mes enfants ? Ma famille n’était pas riche. Je n’étais pas indépendante financièrement. Au début, j’allais le voir à la prison simplement pour dire “nous sommes là”.

À la porte de la prison j’ai connu beaucoup de gens très différents. Peu à peu, j’ai commencé à changer. Je me posais des questions sur mon identité. Qui suis-je ? Pour moi, avant, ce n’était pas intéressant d’être kurde. L’idéal, c’était d’être turc. On disait : les Kurdes, c’est de la M... Je n’avais pas été influencée par Mehdi sur le plan politique : il ne parlait pas de ces chose-là avec moi : jusqu’en 1980, les politiciens de la génération de Mehdi ne mélangeaient pas la vie de famille et la vie politique. Après, ce fut différent. Il faut comprendre l’idéologie officielle. Les Turcs disaient : ”Les Kurdes ont une queue” (comme les animaux) et nous on acceptait ça. Etre kurde, c’était un déshonneur. Je me souviens très bien, quand j’étais très petite ma mère avait été malade, et on l’avait conduite à l’hôpital de Diyarbakir (la grande ville voisine) ; elle portait ses habits de paysanne kurde, et à cause de cela on l’avait très mal traitée : c’est un de mes premiers souvenirs...

Mais peu à peu j’ai changé. La torture, je savais que cela existait depuis 1979. Mais en prison, ils ont torturé Mehdi et ses camarades ; pendant six mois, pendant qu’il était torturé, battu, je n’ai pas pu le voir : toutes les semaines, j’allais à la prison, mais sans le voir : on me disait : pas de visites. A ce moment-là, j’ai commencé à lire des livres politiques. Le premier dont je me souviens s’appelle “la fille du Partisan” ; à cette époque-là je ne savais pas bien le Turc, je ne comprenais pas tous les mots, c’était difficile pour moi. Après, j’ai lu “les cailloux rouges”.C’était un livre sur l’histoire du parti communiste chinois ; il racontait la lutte des communistes contre le système, il y avait des fascistes, et des héros, qui étaient jetés en prison : j’ai fait le parallèle avec notre situation”. En 1984, j’ai commencé à participer à des activités politiques : j’ai fait la grève devant la prison ; j’ai participé à des manifestations.

Quand j’ai découvert que j’étais différente, cela a été formidable. Mehdi n’était pas là, et j’avais une identité. C’était formidable. En 1984, je me suis dit : voilà, j’existe. C’était vrai qu’il y avait plein de contradictions entre Mehdi et moi : il voulait que je fasse quelque chose, mais pour lui ; il n’était pas content que je fasse quelque chose pour moi.

Dans le monde entier, la femme est maltraitée par les hommes. Mais chez les Kurdes, c’est particulier : elle n’est même pas traitée comme une domestique, la femme est un objet, un animal. Dans ma famille, par exemple, mon père, il dormait du matin au soir. Le soir, il se réveillait, et alors il voyait ses amis, il parlait avec eux. Ma mère, c’était le contraire : elle s’occupait des animaux, elle était dehors toute la journée, elle travaillait. Et malgré cela, le soir, quand elle rentrait à la maison, mon père la battait. Il fallait qu’elle fasse tout ce qu’il voulait, comme une esclave.

Ma mère était restée 12 ans après son mariage sans avoir d’enfant : après, elle a eu quatre filles, coup sur coup. Personne ne lui parlait, surtout pas la famille de mon père. Quand une de mes petites sœurs pleurait la nuit, cela dérangeait mon père : il prenait ma mère et la fillette, et il les jetait dehors, quel que soit le temps.

Une fille, ce n’est rien pour un Kurde

Une fille, ce n’est rien pour un Kurde. Il y a pas longtemps, j’ai eu la visite de mon père, qui m’a dit : “je veux marier ton frère”. Je lui ai demandé pourquoi. Il m’a dit : “Si un jour nous réussissons à faire un Kurdistan, je veux avoir un petit-fils”. Je lui ai dit : , “Mais tu en as un, mon fils”. Mon père a répondu : “Non, celui-là ne m’intéresse pas, il ne porte pas mon nom”.

J’aime beaucoup mon père, mais il a une des originalités des Kurdes : quand il rentre à la maison, il imite la violence qu’il voit à l’extérieur, la violence des gendarmes, des policiers.

Q : Avez vous parlé de toutes ces choses avec votre mère ?

L.Z : non ; on la voyait très peu. Elle travaillait toute la journée. Aujourd’hui, mon père est pas mal physiquement : ma mère, c’est une très vieille femme.

Q : mais quand avez-vous vraiment changé ?

L.Z : En 1988, quand j’ai été arrêtée, tout est devenu clair. J’ai été gardée 7 jours en garde-à-vue, avec interrogatoire, et après, j’ai passé 50 jours en prison. J’étais allée voir Mehdi ; il y avait tellement de monde devant la prison. C’était en juillet, il faisait très chaud, il y avait beaucoup de femmes avec des bébés, des enfants ; et des vieilles femmes. Il n’y avait pas d’eau. Tout d’un coup, ils nous ont enfermés dans un jardin, en nous disant : c’est interdit de voir les prisonniers. Ils ont appelé les hommes qui étaient avec nous, et nous avons entendu qu’ils les battaient de l’autre côté du mur ; alors nous nous sommes révoltées, on a lancé des pierres. J’ai réussi à sortir, en bousculant un militaire. Il a dit que j’avais essayé de prendre son fusil. Finalement, j’ai été arrêtée, avec 83 autres personnes. J’ai été accusée d’avoir “incité le peuple à la révolte”.

Les 7 jours de garde-à-vue ont été terribles. Ils ont employé tous les modes de torture. J’étais conduite les yeux bandés dans la salle d’interrogatoire ; et là, les policiers, c’était des hommes, me déshabillaient : j’étais toute nue, et ils me frappaient. Ils m’ont frappée sur le nez, je suis tombée, j’ai perdu connaissance : alors ils m’ont arrosée avec un tuyau d’arrosage, avec de l’eau froide. Ils m’ont donné mes habits, et m’ont conduite dans ma cellule. Ils m’ont aussi torturée avec l’électricité. Où cela ? sur le sexe. (Leyla Zana, qui jusqu’à maintenant avait raconté ses démêlés avec la police en souriant, est soudain livide, sur le point d’éclater en sanglots. Elle ne le raconte pas, mais ses geôliers l’ont aussi amenée, entièrement nue, devant des hommes qui étaient en prison avec elle. Pour la petite paysanne de Silvan, c’en était trop : ce jour-là, un sentiment nouveau est apparu en elle : une haine sans borne pour ceux qui lui infligeaient un tel traitement). Leyla Zana essuie quelques larmes, et dit : Aujourd’hui encore, j’en fais des cauchemars.

En prison, je partageais la cellule des droits communs, j’étais avec des voleuses, des prostituées, des droguées. J’ai essayé de devenir leur amie. On faisait la cuisine ensemble, on mangeait ensemble, on dormait ensemble, la promiscuité était incroyable.

C’est de cette époque que date mon engagement. Quand j’ai appris qu’il avait des femmes kurdes qui prenaient le fusil, cela m’a beaucoup touchée. Je me suis dit : cela change tout, la femme aussi est un être humain.

Q : Pourquoi avez-vous décidé un jour d’être député ?

L.Z : Ce n’est pas moi qui ai décidé : j’étais en Europe ; toute ma vie, ce n’est pas moi qui ai décidé : c’est le peuple qui l’a voulu.

Q : Mais dans ce cas vous pouviez refuser.

L.Z : On me disait : “Est-ce que tu veux échapper à tes responsabilités ?

Je n’ai jamais accepté d’être esclave, d’être passive. Quand j’avais 9 ans, une fois un de mes parents a eu mal aux dents : il a demandé à sa femme une soupe ; elle l’a préparée et la lui a apportée. Il ne l’a pas trouvée bonne, et il a dit : “enlève ça” ; et il a commencé à la battre : je n’avais que 9 ans, il avait 45 ans, mais j’ai sauté sur lui et je l’ai giflé ! Encore aujourd’hui, il s’en souvient, et il me dit : “j’en ai oublié mon mal de dent”. J’ai toujours été une combattante.

Q : Cela ne se voyait pas quand vous suiviez votre mari, soumise, à la fin des années 70.

L.Z : J’étais en pleine contradiction. Quand j’étais jeune mariée, je devais faire plaisir à Mehdi, je n’avais pas le courage de crier : la différence d’age était trop grande. Mais à l’intérieur, j’étais révoltée. Si je ne suis pas tombée, c‘est parce que j’ai toujours été révoltée.

Q : Combien de femmes députés y-a-t-il au parlement turc ?

L.Z : Nous sommes huit. Je suis la seule kurde. Je suis la première femme parlementaire kurde. J’ai été élue le 20 octobre 1991, avec 45.000 voix. J’étais pourtant en 2° position sur la liste du parti. Le parti a eu 70.000 voix, dont 45.000 pour moi. Il y avait 3 députés pour la circonscription, nous avons eu les trois sièges.

Q : Qu’avez-vous pensé quand vous avez appris que vous étiez élue ?

L.Z : Je n’ai jamais imaginé que j’allais perdre. Cette région est très engagée dans la lutte pour le Kurdistan.

Q : quelle solution proposez-vous pour le problème kurde ?

L.Z : Avec 20 camarades du parti SHP (social-démocrate) nous avions préparé un rapport, une déclaration, que nous avons soumis à Erdal Inonu, le dirigeant du parti ; en résumé, nous disions : il faut que l’Etat accepte notre identité kurde. Le gouvernement a donné beaucoup d’espoirs au peuple kurde, et en même temps il a commencé les massacres.

Le premier jour, en prêtant serment, j’ai dit une phrase en langue kurde : “Moi, j’accepte cette cérémonie constitutionnelle au nom de la fraternité des peuples Kurde et Turc”. Cela a été un vrai scandale. La cérémonie était diffusée en direct par la télévision. Tous les députés ont crié : “Une terroriste au Parlement”, “sale kurde”, “va-t-en”, “c’est pas ta place”, “dehors”. Depuis ce jour-là, je n’ai jamais pris la parole. Le lendemain, ils m’ont forcée à démissionner du parti SHP, et tous les députés ont pris position contre moi. Après, j’ai essayé de donner des interviews à la presse, dans lesquelles je disais : “Les Turcs parlent de fraternité, mais ce n’est pas vrai”. Ils me traitent en personne de 2° classe. Si on veut être frères, il faut être égaux. J’ai été menacée. On m’a dit : il faut travailler avec nous, sinon vous n’avez aucune chance de travailler dans ce parlement.

Q : Vous présenterez-vous aux prochaines élections ?

L.Z : Je ne crois plus à ce Parlement. Si je parle, je parle aux murs. Mes camarades essaient encore d’aborder certaines questions. Mais les gens les traitent de menteurs. Le rôle de ce Parlement, c’est de couvrir l’action de l’Etat, de l’armée, de la police. Au-dessus du Parlement, il y a les membres du conseil de sécurité nationale, qui prennent les décisions. Les parlementaires sont comme des notaires, qui enregistrent leurs décisions. S’il y a de nouvelles élections, je ne me présenterai pas. Je me sens très heureuse dans le peuple, et avec lui.

(L’Evènement du Jeudi, 24 Mars 1994


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