Front de gauche : quels contenus pour avancer ? Coupé (Solidaires), Dumas (CGT), Sire-Marin (syndicat de la magistrature), Billard (députée), Trouvé (ATTAC), Aschieri (FSU), Noguères (LDH)

vendredi 24 juillet 2009.
 

À l’initiative du Front de gauche, 600 personnes étaient réunies le 3 juillet à Paris, dans une salle de la Mutualité. Trois thèmes ont été abordés : la transformation sociale dans notre société ; l’écologie, un nouveau type de développement ; les droits et libertés.

Le Front de gauche est au travail et fait appel à toutes les compétences, toutes les énergies, pour comprendre l’état réel du pays, les souffrances qui s’y expriment, pour innover et trouver des solutions qui changent réellement le cours des choses. Pour faire en sorte que toutes les élections, les prochaines comme celle qui vient d’avoir lieu, soient des tremplins qui permettent d’élargir et d’approfondir sa démarche, des moyens aussi de renforcer les luttes en cours. La parole qui, ce jour-là, a circulé entre militants d’origines différentes et responsables politiques, a révélé toutes les potentialités d’échanges dans le respect des identités et des spécificités de chacun. Dans le même esprit, d’autres réunions sont annoncées dans les départements. Des ateliers sont projetés pour approfondir les questions soulevées. Ci-dessous, nous donnons de façon synthétique les interventions des grands témoins qui introduisaient les différents thèmes.

1) Des luttes porteuses d’éléments de transformation sociale

Par Annick Coupé, porte-parole de l’union syndicale Solidaires.

Solidaires a accepté de participer à ce débat car si nous ne nous situons pas en soutien à tel ou tel parti, nous pensons utile de dialoguer en toute indépendance.

La politique de Nicolas Sarkozy est marquée par sa volonté de liquider tout ce qui reste du pacte social élaboré dans notre pays au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Son action s’est déployée sur tous les terrains en même temps pour mieux saturer le débat social et politique. On assiste à une précarisation et à une mise en concurrence généralisée, à une casse des liens sociaux dans un contexte où la rentabilité financière est au centre de toutes ses réformes. Tout cela s’accompagne logiquement dpolitique sécuritaire tous azimuts dont les immigrés sont les premières victimes.

Face à la crise, ces fondamentaux ne sont pas remis en cause.

La période que nous venons de vivre a été marquée par une remontée de la conflictualité, et pas seulement depuis le début de l’année 2009. Contrairement aux discours de certains, le conflit social est encore à l’ordre du jour !

Nous avons connu deux grandes journées de grèves et manifestations interprofessionnelles les 29 janvier et 19 mars : cela n’a pas été suffisant pour imposer d’autres choix. La question d’aller au-delà de ces journées de vingt-quatre heures, de tracer la perspective d’un mouvement d’ensemble, d’une grève générale reste posée. Nous ne pourrons pas faire l’économie d’un affrontement global, si nous voulons une sortie de crise qui soit sur d’autres bases que celles qui y ont conduit, mais il y a des divergences sur ce point au sein de l’intersyndicale nationale.

Dans ce contexte, comment nous voyons la question de la transformation sociale ?

Cette question ne peut se restreindre aux programmes, aux campagnes et aux échéances électorales. Elle se pose tout autant dans le contenu des luttes et des mobilisations, et dans les pratiques des mouvements sociaux.

Nous nous revendiquons de la charte d’Amiens et de la nécessité pour le syndicalisme d’allier la défense immédiate des travailleurs au combat pour la transformation sociale. Il y a pour nous une légitimité de l’intervention syndicale sur le champ politique. Il nous semble légitime de débattre, sur un pied d’égalité, entre forces syndicales et forces politiques pour confronter nos positions, voire de nous retrouver dans des luttes communes pour construire des convergences utiles aux rapports de forces.

Il s’agit aussi que les luttes d’aujourd’hui ne soient pas seulement défensives mais soient porteuses d’éléments de transformation sociale, de projet de société. Ainsi quand nous voulons défendre les retraites, il s’agit bien de poser la question du partage des richesses et de l’utilisation des gains de productivité ; quand nous nous opposons à la privatisation de La Poste, nous en faisons un enjeu de reconquête des services publics… On voit bien aussi qu’on ne sortira pas positivement de la crise sans croiser les questions environnementales et les questions sociales…

Il s’agit aussi de développer des pratiques démocratiques, des pratiques d’auto-organisation qui impliquent les salariés dans les choix qui les concernent directement, qui fassent qu’ils se prennent en main. La question de l’émancipation se pose aussi à travers les pratiques dans les mouvements sociaux.

Au fond, comme nous l’avons fait ensemble au moment du TCE, il nous appartient aux uns et aux autres de participer à une « repolitisation » des enjeux en montrant que d’autres choix sont possibles !

2 Les réflexes d’hier nous mettent sur la défensive

par Maryse Dumas, secrétaire confédérale de la CGT

Notre présence dans ce débat de la Mutualité a deux raisons. D’une part, le sujet - la transformation sociale -, qui intéresse la CGT au plus haut point ; d’autre part, la forme du débat, qui respecte l’indépendance et l’identité de chacun. Les syndiqués de la CGT sont divers. Ils sont engagés dans différents partis politiques. Pour la majorité, ils ne sont engagés nulle part, ce que la CGT regrette parce qu’elle considère que la politique et l’engagement politique sont des choses importantes. Au-delà de cette diversité, qui doit être respectée, nous pensons que le rôle des syndicats n’est pas le même que celui des partis politiques. Mais la spécificité des fonctions et des rôles ne doit pas élever un mur étanche entre les uns et les autres. Nous sommes dans la même société, nous pouvons porter des diagnostics communs et confronter nos points de vue.

Nous sommes dans une nouvelle phase de la crise. Les gens ne sont pas d’accord avec la politique économique et sociale qui est menée ; les enquêtes d’opinion et nos propres rapports avec les salariés le démontrent, mais ils se demandent comment faire autrement… Le résultat de l’élection européenne et l’échec de la dernière mobilisation syndicale du 13 juin, qui doivent être analysés de façon spécifique, ont un trait commun : le repli des salariés. Ce comportement comme les oppositions intercatégorielles ou la montée des phénomènes populistes, voire d’extrême droite, se sont manifestés dans toutes les crises que le capitalisme a déjà surmontées. Les mobilisations intersyndicales que nous avons réussies, la plate-forme de revendications élaborée, pour la première fois dans l’histoire, par toutes les organisations syndicales, ont fait qu’au moins pendant plusieurs mois, les questions se sont posées dans notre pays en termes de changement, de mouvement social et de rapport de forces.

Comment reprendre l’initiative aujourd’hui ? Je vois quelques pistes pour y répondre. S’agissant des services publics, des statuts, des licenciements, etc., nous avons tendance, les uns et les autres, à faire davantage appel aux réflexes qu’à la réflexion. Or, nous vivons un tel bouleversement que les réflexes d’hier ne marchent plus et nous mettent sur la défensive. Ce qu’il nous faut, c’est expliquer en quoi nos propositions répondent aux réalités d’aujourd’hui. Ensuite, nous sommes face à un rouleau compresseur qui détruit tout. Mais c’est moins l’inquiétude que nous devons nourrir, que l’espoir et la perspective. Il nous faut donc indiquer aussi comment faire aboutir ces propositions, ce qui amène la question du rapport de forces, des luttes et du changement politique. Sur ce dernier point, je fais confiance aux partis politiques pour tenir leurs responsabilités. Nous devons aussi faire vivre et exprimer dans le temps présent des thèmes qui correspondent à nos valeurs historiques : inégalités et injustices sociales, transformations du travail, protections sociales, services publics, sachant que nous devons en conquérir de nouveaux, État nation par rapport à la mondialisation et à l’Europe. Et nous devons faire vivre le rapport entre démocratie sociale et démocratie politique pour gagner le droit, pour les salariés, de contester le pouvoir du capitalisme depuis l’entreprise, ce qui participera à un processus de transformation fondamentale de la société.

Par Maryse Dumas, secrétaire confédérale de la CGT.

3) Abolir les dix-neuf lois sécuritaires votées depuis 2001

Par Évelyne Sire-Marin, juge, ancienne présidente du Syndicat de la magistrature.

Juge et donc témoin de ce qui se passe dans la société, de la déréliction sociale de personnes, pour la plupart chômeurs ou érémistes, je suis signataire de l’Appel des appels et de l’appel « Nous refusons la politique de la peur ». Travailleurs sociaux, avocats, psychologues, éducateurs, magistrats, nous avons signé ces textes parce que nous en avons assez de la politique de démantèlement de l’État social au profit d’un État pénal. Nicolas Sarkozy est en train de détruire tous les contre-pouvoirs qui existent dans la démocratie française.

Dans la justice, le projet de suppression des juges d’instruction aboutira à donner tout le pouvoir au parquet, émissaire direct du gouvernement, tandis que la suppression de 300 tribunaux démolit le service public de la justice. Lors des élections de 2007, j’ai été atterrée par ce que proposait le Front national en matière de justice et de police. Mais, sur 24 de ses propositions, 16 sont aujourd’hui réalisées. La construction de 13 000 places de prison, c’est réalisé. Les peines incompressibles, c’est réalisé avec les peines plancher. Le renforcement des liens entre la justice et la police, c’est réalisé, car on voit maintenant des magistrats avec des écouteurs sur les oreilles, en lien permanent avec des officiers de police judiciaire pour régler les problèmes de garde à vue. Il n’y a plus aucun contrôle réel de l’action de la police par la justice au niveau du parquet parce que les procureurs sont totalement dépendants du gouvernement. Autre proposition du FN : l’expulsion des délinquants étrangers. Or, ce gouvernement expulse chaque année 25 000 personnes. Il est donc temps, pour les professionnels comme moi, de faire le lien entre ce que l’on pense de ce que doit être la justice et les changements plus globaux au sein de la société.

Aux politiques qui sont là et à tous les militants, je veux dire que, si un programme d’urgence devait être mis sur pied, il faudrait immédiatement abolir les dix-neuf lois sécuritaires votées non pas depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy, mais depuis 2001. Parce que c’est malheureusement Daniel Vaillant, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, qui a commencé cet engrenage sécuritaire. Il faudrait aussi se pencher sérieusement sur la question pénitentiaire : 64 000 personnes sont en prison aujourd’hui. « Quand on ferme une école, on ouvre une prison », disait Victor Hugo. Mais, depuis vingt-cinq ans, on a fermé des usines et ouvert des prisons, 57 depuis vingt ans. Une société carcérale est en train de se construire sous nos yeux. Et nous devons nous interroger sur le sens de la prison, qui ne fait qu’enfermer et exclure. Ceux qui en sortent n’ont plus rien, pas même d’avenir. L’objectif de la peine doit devenir la réinsertion grâce aux alternatives à la prison, qui existent et sont peu utilisées. Autre urgence : les fichiers de police. Il y en a de plus en plus, plus de 45 en 2009, où des millions de personnes restent inscrites pendant vingt-cinq à quarante ans. Il faut donner beaucoup plus de moyens à la CNIL pour qu’elle exerce son contrôle sur ces fichiers. Enfin, il faut absolument repenser les rapports entre la police et les citoyens, rétablir une police démocratique, créer un conseil national des libertés indépendant du gouvernement pour que les citoyens puissent avoir des recours en cas de violences policières. Je voudrais, pour terminer, reprendre une phrase de Thomas Jefferson : « Ceux qui sacrifient la liberté pour se sentir en sécurité ne méritent ni l’une ni l’autre. »

4) Il est urgent de changerde mode de production

Par Martine Billard, députée

On ne peut pas laisser l’écologie à une seule force politique, tandis que les forces de gauche s’occuperaient des questions sociales. La bataille est globale et doit être commune, avec une gauche qui devient écologiste et des écologistes qui retrouvent leur gauche.

On ne peut pas continuer à écrire des programmes électoraux en plaçant en catastrophe l’écologie dans le dernier paragraphe, parfois en contradiction avec le reste. Et on ne peut pas se contenter de faire ce que, dans la gauche des Verts, on appelait de l’écologie d’aménagement en opposition à l’écologie de transformation. Si on isole les bâtiments mais en continuant à exploiter des sans-papiers et avec autant d’accidents du travail, on diminuera l’émission de gaz à effet de serre mais on passera à côté de l’amélioration des conditions sociales des salariés. Toutes les questions économiques et sociales doivent intégrer la question écologique et réciproquement. C’est une habitude à prendre.

Quoi qu’on pense d’Europe Écologie, le score du 6 juin exprime le fait que la crise écologique est là. Et comme le capitalisme cherche toujours à trouver un nouveau souffle, il nous annonce maintenant un capitalisme vert. Polluer et réparer, cela crée de nouveaux marchés. Nous devons critiquer ce capitalisme vert sans jeter le bébé avec l’eau du bain, en posant la question de la transformation sociale et écologique, en faisant des propositions cohérentes. Ainsi, dans les programmes des régionales, il ne suffit pas d’indiquer qu’il faut construire des écoquartiers si par ailleurs on prévoit l’extension des autoroutes, des aéroports, etc. Il faut améliorer l’offre de transport en commun mais en même temps limiter l’étalement urbain. L’écologie ne doit pas être une mode compatible avec la poursuite du productivisme. Réfléchissons à ce qu’ont été le productivisme et la croyance en la science toute-puissante. Le réchauffement climatique est là. Le temps n’est plus à la recherche de solutions techniques invraisemblables. Il est urgent de changer de mode de production, de consommation et d’échange. Notre réflexion sur la répartition des richesses et la justice sociale doit prendre en compte des limites de la planète. Si les peuples du Sud consommaient comme nous, dans le Nord, quatre planètes seraient nécessaires. N’ayons pas peur de ce débat. On ne doit pas demander les mêmes efforts à tous. Ce sont ceux qui gaspillent qui doivent réduire leur consommation.

La lutte contre l’exploitation salariale doit aller de pair avec celle contre l’exploitation de la planète. Et tous ceux qui se réclament de la remise en cause du capitalisme, précisément parce qu’ils contestent fondamentalement le système, ont moins de difficulté que les autres à intégrer la dimension écologiste et les changements de culture nécessaires. Il faut donc s’y mettre, travailler avec ceux qui ont engagé cette réflexion depuis longtemps, aller vers la convergence de ces cultures. Si nous réussissons à construire un projet commun, il peut redonner l’espoir et permettre une perspective meilleure.

5) L’écologie n’est pas une question de riches

Par Aurélie Trouvé, coprésidente d’ATTAC.

Une partie de ladite gauche a fait le choix du néolibéralisme économique, désastreux à la fois sur le plan social et écologique. Mais, pour l’autre partie de la gauche, se dire antilibéral ou anticapitaliste ne suffit pas. En particulier, une rupture définitive est nécessaire avec la croyance productiviste selon laquelle l’augmentation de la production et de la consommation est forcément bénéfique pour l’humanité.

Construire une gauche réellement écologiste suppose de considérer le capitalisme comme un mouvement « conjoint » d’exploitation des ressources humaines et naturelles, considérées chacune comme un instrument au service de l’accumulation illimitée du capital. Ainsi, la question écologique doit être abordée de façon tout aussi centrale que la question sociale, et non comme un appendice. Sinon, l’oubli des limites écologiques pourrait justifier la poursuite du modèle, la croissance verte et le capitalisme vert. La question sociale doit elle-même être repensée en intégrant pleinement la question écologique : les sociétés ne peuvent se concevoir en dehors des écosystèmes dans lesquels elles vivent.

Il s’agit aussi d’abandonner définitivement l’idée selon laquelle l’écologie est une question de riches : les premières victimes de la crise écologique sont les travailleurs exposés aux risques environnementaux, ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter une alimentation de qualité, les populations du Sud spoliées de leurs ressources naturelles… Une gauche altermondialiste, qui défend l’accès aux droits humains fondamentaux partout dans le monde, se doit de défendre la diminution de notre production et de notre consommation énergétiques et matérielles. Car, celles-ci ne sont en aucun cas reproductibles à l’échelle de la planète et ne peuvent se poursuivre que par la spoliation des ressources au sud par les pays riches. Ce sont d’ailleurs ces peuples du Sud qui ont porté cette question au Forum social mondial de Belém, à travers l’appel des indigènes : le capitalisme impérialiste s’est révélé être non seulement dangereux en raison de la domination, l’exploitation, la violence structurelle, mais aussi parce qu’il nous tue nous et la Terre mère, et conduit la planète à un suicide qui n’est ni « utile » ni « nécessaire ».

Il s’agit enfin de cesser de penser, où que ce soit à gauche, que la technique et la science vont pouvoir compenser l’épuisement des ressources naturelles et nous dispenser d’une diminution radicale de notre production et de notre consommation énergétiques et matérielles. C’est cette diminution radicale qui devrait être posée comme base de construction d’un modèle alternatif. Cela passe aussi par une redistribution des richesses, car ce sont les plus riches qui, par leur consommation, imposent des modèles écologiquement insoutenables, tout en poussant les moins riches à vouloir les imiter.

Si on veut une écologie résolument de gauche, alors la gauche doit donner envie aux écologistes de s’y rallier. Sinon, le risque est de donner des gages à ceux qui prônent une écologie de droite, ou ni de gauche ni de droite. Une écologie qui pourrait tout à fait s’absoudre des questions sociales et démocratiques. Et c’est à la gauche de montrer que ce serait un leurre. La pleine intégration de la question écologique est même l’occasion d’un renouvellement de la question de la socialisation des richesses. Notamment parce que la préservation des ressources naturelles doit se faire par le biais d’une gestion démocratique, collective et citoyenne des biens communs.

Une occasion sera donnée à la gauche pour exprimer cette convergence nécessaire avec les mouvements écologistes : les négociations sur le climat à Copenhague, en décembre 2009, qui seront la suite du processus de Kyoto et devraient être un moment important, voire historique, pour le mouvement altermondialiste. C’est une opportunité pour progresser dans l’idée d’une gauche résolument écologiste et d’une écologie résolument de gauche.

* Ce texte a été travaillé avec Geneviève Azam.

6) Être clair sur la différence de point de vue

Par Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU.

Si je suis présent à ce débat c’est que, comme mes camarades, je pense que le mouvement syndical n’a pas à avoir peur de débattre avec les politiques ou avec le mouvement associatif. Bien au contraire, cet échange est indispensable à condition d’être clair sur la différence de point de vue : si je parle, c’est en tant que responsable d’une organisation représentative porteuse de l’expérience, des revendications, des attentes de catégories de salariés et celles-ci doivent être prises pour telles et se confronter avec d’autres. Cela me conduit à une première idée : le mouvement syndical a besoin que les organisations politiques qui se veulent porteuses de progrès social lui donnent les moyens d’une véritable démocratie sociale, élément constituant de la démocratie tout court.

Ma deuxième idée est que, derrière les revendications, se posent en général les questions de l’intérêt général et de la justice sociale et il importe d’être clair là-dessus. Si je prends l’exemple de l’école, tout le monde semble prêt à dire que la formation des jeunes est fondamentale. Mais la question de fond, celle qui fait la différence est de savoir ce qui aujourd’hui est à transformer : selon moi c’est la lutte contre les inégalités qui doit guider toute démarche de progrès. Il ne faut pas se cacher l’ambition et la difficulté de cette lutte car nous touchons depuis quelques années à un noyau dur de l’échec scolaire qui ne se réduit plus. Nous devons articuler la conscience de cette difficulté et la nécessaire ambition si nous voulons répondre aux vrais problèmes.

Troisième idée : il nous faut, nous aussi, renouveler notre façon de penser et d’aborder les questions, non pas pour renoncer à nos principes et à nos ambitions mais pour au contraire les retrouver et les consolider. Je prendrais volontiers l’exemple des retraites : nous n’avons à rejeter a priori aucune hypothèse, mais en sachant et redisant avec force que les projets actuels sur l’âge de la retraite n’auraient comme effets que de nouvelles régressions et une baisse généralisée des retraites et pensions. Ne nions pas la nécessité de ressources nouvelles pour financer l’allongement de la durée de vie mais posons la vraie question, celle d’une distribution plus juste des richesses produites.

Quatrième et dernière idée : nous devons dans le mouvement social mener le débat sur les résultats des mobilisations. C’est un débat fréquent : peut-on faire bouger des choses et confrontés à une politique de casse sociale telle que nous la connaissons comment apprécier ce que nous avons fait bouger ? S’agit-il de points d’appui pour aller plus loin ou de concessions qui nous sont faites pour faire passer malgré tout un projet de régression ? Et comment continuer à mobiliser si on ne met pas en lumière que les mobilisations paient ? C’est un débat difficile, souvent source d’affrontements mais il est indispensable de le mener avec lucidité aussi bien dans les syndicats que dans les partis et associations si l’on veut poursuivre nos luttes.

7) Le traitement des étrangers est révélateur de l’état d’un pays

Par Dominique Noguères, avocate, membre de la Ligue des droits de l’homme.

Une question me paraît fondamentale dans l’élaboration d’un programme de gauche, c’est celle des libertés et donc du type de société que nous voulons, et ce n’est pas une société dans laquelle les étrangers, les grévistes et les jeunes sont considérés comme des délinquants potentiels.

Ce n’est pas non plus une société dans laquelle la justice et la police sont des régulateurs sociaux.

Cela m’amène à un sujet très difficile à aborder mais dont il faut parler : la sécurité. Je fais la différence entre sécurité et sûreté. La sécurité, c’est le fait de pouvoir se promener sans risquer de se faire voler son sac ou son téléphone portable.

La sûreté, c’est l’assurance, pour le citoyen, que le pouvoir de l’État ne s’exercera pas sur lui de façon arbitraire et excessive.

Quand l’État est défaillant sur ce point, nous sommes dans une situation de danger. Or aujourd’hui nous constatons au quotidien que nous avons une police dangereuse. Justice et police posent des problèmes et nous empêchent finalement de nous sentir pleinement sereins dans un État qui devrait nous protéger.

La question de la sécurité doit être abordée parce qu’elle est liée inévitablement à des sujets d’actualité, à ce qui se passe dans les banlieues et à l’exclusion sociale dont elles sont victimes, à la violence qui y règne. Dire qu’il n’y a pas de violence serait se couper de la réalité et ne pas être crédible. La violence existe, et il faut, tout à la fois, la réprimer et chercher à comprendre ce qu’elle exprime.

Ce ne sont pas les méthodes utilisées aujourd’hui, le tout-sécuritaire, le tout-violent, le tout-répressif, qui vont permettre d’y répondre. Nous devons travailler ensemble pour argumenter face aux réactions populistes et pour combattre l’exclusion qui entraîne cette violence et les déséquilibres inquiétants pour notre démocratie.

Nous devons aussi nous préoccuper de la façon dont sont traités les étrangers, non seulement chez nous, mais en Europe. Des directives européennes extrêmement graves ont été prises récemment. Et aujourd’hui l’Union européenne paye l’externalisation de camps de rétention au-delà de ses frontières, au Maroc, en Libye, etc.

Or le traitement des étrangers est révélateur de l’état d’un pays. Plus il va mal, plus ils sont traités en boucs émissaires.

Nous ne devons pas ignorer qu’à l’avenir, il y aura de plus en plus de réfugiés écologiques, des personnes qui fuiront les inondations pour les unes, la sécheresse, pour les autres, et qui essaieront de trouver un endroit où vivre dans de meilleures conditions. Nous devons donc réfléchir à la façon de traiter, en France, la question des étrangers.

Et il me paraît essentiel de mener la bataille du droit de vote des étrangers non communautaires. La gauche l’avait mis dans son programme en 1981 mais elle a reculé et certains nous disent que la société n’est pas prête. Ce n’est pas vrai, cela contribue au contraire à alimenter des discriminations dangereuses.

Nos libertés, notre démocratie sont mises à mal en ce moment, soyons extrêmement vigilants. Nous avons besoin de travailler ensemble, nombreux et solidaires.


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