Demain, tous apologistes du terrorisme ?

jeudi 9 mai 2024.
 

De fait, ce n’est pas la première fois que l’arsenal antiterroriste est utilisé hors de son champ initial d’application — les attentats terroristes en France — puisque par exemple les casseroles ont été au printemps interdites en manifestation « afin d’assurer la sécurité d’un lieu ou d’un événement exposé à un risque d’actes de terrorisme« . La nouveauté est peut-être que les procédures se multiplient, atteignant visiblement plusieurs centaines, ce qui fait craindre la volonté de « criminaliser les oppositions » et le « détournement du délit d’apologie du terrorisme visant la remise en cause de la liberté d’expression ».

La tendance de certains responsables à employer le terme flou et galvaudé de terroristes à toutes les sauces, comme celui d’« éco-terroristes » par le ministre de l’Intérieur, laisse penser que, comme pour les casseroles, nous pourrions bientôt voir des poursuites contre l’apologie du terrorisme sur les sujets les plus variés, et pas seulement ceux liés au massacre du 7 octobre.

Tous terroristes comme Mandela ?

Il y a en effet tant de motifs d’être considéré comme faisant l’apologie du terrorisme. Par exemple, comprendre et soutenir les Parisiens du 14 juillet 1789 qui ont attaqué la Bastille, au prix de l’assassinat, entre autres, du gouverneur de la Bastille, le marquis de Launay. Comprendre et soutenir Pierre Georges, dit Colonel Fabien, qui a exécuté le 21 août 1941 d’une balle dans le dos l’aspirant Moser, dans le métro parisien, et soutenir les « terroristes » de cette époque — terme dont les Nazis affublaient les résistants —, y compris quand ils recouraient à l’assassinat, comme celui de l’amiral Darlan.

Doit-on donc s’attendre à ce que les descendants du marquis de Launay, de l’aspirant Moser, de l’amiral Darlan, et de tant d’autres, entreprennent des poursuites contre tous ceux qui légitimeraient leur meurtre par des « terroristes » ? Au-delà de ces exemples historiques, pour lesquels il y a peu de chances (?) de voir surgir des procédures, on peut s’inquiéter que toute action débouchant sur des violences soit de plus en plus considérée comme terroriste et que, donc, toute prise de position favorable à cette action ne soit considérée comme une apologie du terrorisme. Après tout, Nelson Mandela et l’ANC ont bien été considérés comme des terroristes par la Grande-Bretagne et les États-Unis pendant la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud.

Qui empêchera, demain en France, tout individu ou organisation d’entamer une procédure contre ceux qui sont contre leurs intérêts ? Deux exemples. Le gouvernement birman lutte contre une rébellion armée et le pays est à feu et à sang : pourquoi les soutiens de ce gouvernement ne porteraient-ils pas plainte contre ceux qui soutiennent cette rébellion en la qualifiant de terrorisme ? La Russie a qualifié devant le Conseil de sécurité de l’ONU de terrorisme les attaques contre la ville de Belgorod : son ambassade en France pourrait-elle porter plainte contre les soutiens de l’Ukraine dans les médias pour apologie du terrorisme ? Nul doute (?) que ces procédures n’aboutiraient pas, mais les mis en cause ayant pu être interrogés par la police, ce qui n’est pas l’expérience la plus agréable, cela dissuaderait d’autres voix de se faire entendre : faire taire le plus d’opposants possibles suffira au bonheur de ceux qui auront porté plainte et des États qui sont derrière eux. Pour l’instant ces procédures se limitent à Israël, mais demain ?

Martial Villefort


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