Convocation pour « apologie du terrorisme » – la déclaration de Mathilde Panot devant les enquêteurs

mercredi 8 mai 2024.
 

« À ceux qui m’ont convoquée, mon message est clair : vous participez à une instrumentalisation de la police et de la justice pour des raisons politiques et en vue d’un résultat électoral. ». Le 30 janvier, Mathilde Panot et Rima Hassan étaient convoqués par la police pour « apologie de terrorisme ».

À la manœuvre : l’Organisation Juive européenne qui a déposé plainte contre les insoumises, et contre des dizaines d’autres personnalités, dont Guillaume Meurice. Cette association est un lobby actif du génocide à Gaza et dépose plainte contre tous ceux qui le dénoncent. À la manœuvre aussi : Eric Dupont-Moretti, aux ordres de Macron, qui a publié une circulaire aux magistrats du parquet pour ouvrir des poursuites abusives pour apologie de terrorisme, en partenariat tacite avec l’OJE. L’objectif ? Bâillonner les opposants.

A la suite de la convocation, Mathilde Panot a publié sa déclaration devant les enquêteurs. Un courrier dans lequel la présidente du groupe parlementaire insoumis détaille et analyse les ressorts de cette convocation. Elle revient sur cette forme grave et inédite de répression politique condamnée tant par la Cour européenne des droits de l’Homme que par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme. L’Insoumission.fr relaye dans ses colonnes la déclaration complète de Mathilde Panot.

Apologie du terrorisme : un motif aussi inouï qu’absurde À ceux qui m’ont convoquée aujourd’hui, je veux dire ce dont ils se rendent complices.

À ceux qui m’ont convoquée, vous vous rendez complice aujourd’hui d’attaque contre les parlementaires et contre la séparation des pouvoirs.

Pour la première fois de l’histoire de la Ve République, une présidente de groupe parlementaire d’opposition est convoquée devant une brigade criminelle sur la base d’un communiqué de presse de son groupe parlementaire. Le motif est aussi inouï qu’absurde : apologie du terrorisme ! Sous Emmanuel Macron, une présidente de groupe d’opposition doit rendre des comptes sur ses opinions politiques devant la police. Et cela pour des propos et des écrits venant directement de l’activité parlementaire.

Je vous rappelle que les parlementaires sont protégés des poursuites depuis la Révolution Française, non comme un privilège, mais pour assurer leur liberté de parole, l’indépendance de leur mandat et les protéger des pressions de l’exécutif.

À présent l’attaque politique vient directement de l’exécutif. En effet le Garde des Sceaux a adressé le 10 octobre 2023 une circulaire aux magistrats du parquet sur ce point. Il les y a appelé à poursuivre et à traiter prioritairement les « infractions susceptibles d’être en lien avec les attaques terroristes subies par Israël depuis le 7 octobre 2023 ». À ceux qui m’ont convoquée, mon message est simple : vous vous rendez complice aujourd’hui d’attaque contre la liberté d’expression et d’opinion dans le pays.

La Cour Européenne des droits de l’Homme a déjà condamnée la France en 2022 en raison de la manière dont elle sanctionne les prétendues < apologie du terrorisme ». La rapporteure spéciale des Nations Unies avait d’ailleurs dans cette décision écrit le commentaire suivant : « « l’incrimination du délit d’apologie du terrorisme » est lourde de conséquences sur le droit à la liberté d’expression. En chiffres absolus, ce délit constitue l’infraction pénale la plus fréquemment réprimée en France dans le cadre du dispositif de lutte contre le terrorisme. L’assimilation du délit d’apologie à un « jugement moral favorable » est particulièrement préoccupante.

La loi est rédigée en termes généraux, ce qui entraîne une grande insécurité juridique et un risque d’abus du pouvoir discrétionnaire, et porte atteinte à la protection de la liberté d’expression et à la liberté d’échanger des idées dans un système démocratique solide. La définition de ce délit vise un éventail d’opinions et d’acteurs. Il est à ce point large et ouvert qu’elle est l’illustration d’une restriction injustifiée à la liberté d’expression, telle que celle-ci est protégée par le droit international des droits de l’homme. »

Le 3 avril 2024, c’est le Président de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme qui a écrit au ministre Dupond-Moretti pour dénoncer les poursuites abusives pour apologie du terrorisme et les atteintes à la liberté d’expression et au débat.

Il y écrit notamment : « Il semble que cette circulaire ait pu engendrer une confusion entre l’approbation, l’éloge d’un crime et/ou des criminels, et des prises de position relatives au contexte dans lequel ils ont été commis. Ces derniers s’inscrivent dans un débat d’idées et devraient pouvoir bénéficier de la liberté d’expression.

Il ne revient pas aux autorités judiciaires d’intervenir dans ces débats en qualifiant d’apologie du terrorisme toute mise en perspective historique des attentats du 7 octobre dussent-elle choquer certains. En ma qualité de président de la CNCDH, je vous invite à rappeler, par la voie d’une nouvelle circulaire adressée aux magistrats du parquet, deux principes fondamentaux garants de la liberté d’expression.

D’une part, la loi pénale est d’interprétation stricte : or, en toute rigueur, expliquer ou rendre compte du contexte d’un drame n’est pas l’approuver. D’autre part, et conformément à une jurisprudence établie de la Cour européenne des droits de l’homme, mis à part l’éloge d’actes terroristes, la liberté d’expression vaut pour les idées qui « < heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population ». Les magistrats du parquet doivent faire preuve de discernement dans l’identification des propos susceptibles d’être qualifiés d’ »apologie du terrorisme » afin de préserver la liberté d’expression dans notre pays »

La censure était un attentat contre la pensée – Flaubert À ceux qui m’ont convoquée, une nouvelle fois, mon message est clair : vous participez à une instrumentalisation de la police et de la justice pour des raisons politiques et en vue d’un résultat électoral.

Cette convocation fait suite à six annulations de conférences de Jean-Luc Mélenchon et de Rima Hassan, qui sont autant d’atteintes à la liberté d’expression et de réunion de l’opposition politique.

Elle fait suite à la convocation de candidats aux élections poursuivis pour apologie de terrorisme. À celle de Rima Hassan, juriste en droit international et candidate sur la liste de l’Union Populaire conduite par Manon Aubry.

Elle fait suite à la condamnation pour un an de prison avec sursis de Jean-Paul Delescaut, secrétaire départemental CGT du Nord pour un tract sur la Palestine.

À ceux qui m’ont convoquée, je le dis bien en face : vous vous rendez complice d’une judiciarisation de la vie politique et démocratique. Cela blesse la liberté et humilie la justice, utilisée comme moyen de règlement de compte politique.

Comme le rappelle la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’être humain. Et c’est de cette confrontation d’idées que naît la liberté d’opinion et que se forge la pensée de chacun.

Sans garantie de la liberté d’opinion, d’expression et de presse, il n’y a ni vérité, ni débats d’idées, ni formation intellectuelle, ni raison cultivée. Flaubert disait autrefois que la censure était un attentat contre la pensée.

Les services antiterroristes n’ont-ils pas d’autres choses à faire que de poursuivre des militants et opposants politiques ? À ceux qui m’ont convoquée, j’accuse : vous dévoyez les moyens antiterroristes. C’est un abus de pouvoir qui déshonore notre pays et souille son image devant le monde.

Depuis des années, nous dénonçons l’utilisation de moyens antiterroristes pour criminaliser des militants et des opposants. En 2015, l’état d’urgence antiterroriste est utilisé lors de la COP21 pour assigner les militants écologistes à résidence.

Depuis 2017, vous avez fait à Bure une série d’abus de pouvoir pour criminaliser les militants qui luttent contre l’enfouissement des déchets nucléaires pour 100 000 ans. Vous en avez fait un laboratoire de répression. Une association de malfaiteurs cassée depuis par la justice. 26 interdictions de territoire, une cinquantaine de procès, rien qu’en 2018. Surveillance physique, géolocalisation, balise sur véhicule, placement sur écoute qui représente l’équivalent de 16 années entières d’écoute de messages interceptés, tentative de sonorisation d’une maison, expertise génétique, ou encore des dizaines de perquisitions.

En 2019, face aux actions pacifique de décrochages des portraits officiels d’Emmanuel Macron pour dénoncer l’inaction climatique du gouvernement, une directive de la police judiciaire a appelé les gendarmeries à se rapprocher du Bureau de lutte antiterroriste pour rétablir le crime de lèse- majesté.

En 2021, c’est la DGSI qui a placé en garde à vue quatre syndicalistes CGT de RTE pour avoir participé à une grève pour l’augmentation des salaires.

En 2023, à Sainte Soline, les 30 000 manifestants engagés pour un partage de l’eau contre les méga-bassines font face à 4000 grenades lancées, soit une par seconde. A des armes de guerre. A une ambulance empêchée d’arriver alors que deux personnes étaient dans un état grave. Et un gouvernement qui les qualifie d’éco-terroristes.

En 2023, puis en 2024, des personnes ont été arrêtées à la suite d’une action contre la multinationale écocidaire Lafarge avec les moyens de l’antiterrorisme. C’est pourtant Lafarge qui est toujours poursuivie pour complicité de crime contre l’humanité et financement du terrorisme de Daesh.

Aujourd’hui vous videz de son sens l’apologie du terrorisme. Le moment venu, nous abrogerons la loi du socialiste Bernard Cazeneuve qui, en inscrivant le 13 novembre 2014, l’apologie du terrorisme dans le code pénal et durcit les peines, a permis cette dérive.

Vous rendez-vous compte à quel point cette dérive est dangereuse ? Nous sommes à la veille des Jeux Olympiques. Les services antiterroristes n’ont-ils pas d’autres choses à faire que de poursuivre des militants et opposants politiques ?

Contre le génocide à Gaza, les voix de la paix ne se tairont pas Surtout je dis à ceux qui m’ont convoqué, vous vous rendez complice aujourd’hui des tentatives de faire taire les voix pour la paix qui s’élèvent contre le génocide en cours à Gaza.

Je suis fière de toutes les positions que j’ai porté au nom de mon groupe parlementaire. Oui j’assume de dire qu’il y a un génocide en cours et je le dénonce. C’est mon devoir, mon honneur et ma liberté de le dire. Je le dis en tant que présidente de groupe, et personne en France n’a le pouvoir de me censurer. Aucune attaque politique ou judiciaire ne nous fera jamais changer les idées que nous défendons.

Vous perdez votre temps.

Nos idées sont justes.

Notre combat est celui pour la liberté, l’égalité, la fraternité et la paix.

Où vous arrêterez-vous ? Partout où des citoyens se mobilisent pour la paix, pour la cause sociale, pour la survie de notre espèce, pour notre avenir, vous y voyez des ennemis irréductibles. Vous vous rassurez en vous disant que ce sont eux qui menacent la démocratie, que vous devez protéger la République. Entre-temps, vous aurez déchiré la démocratie entre vos doigts.

À ceux qui nous ont convoqués, vous croyez nous faire peur, mais c’est vous qui avez peur de nous.

Ce gouvernement pensait incarner un ordre immuable. Il le sent trembler. Vous voulez nous faire peur, mais c’est ce régime qui a peur du peuple. Jamais un gouvernement n’aura autant attaqué les libertés civiles sous la Ve République.

Vous vous rendez complice aujourd’hui d’un abus de pouvoir qui n’aura pas l’effet escompté.

Nous ne nous tairons pas.

Les démocrates, même s’ils ne partagent pas nos opinions politiques, ne peuvent plus rester silencieux. Ce n’est plus l’histoire d’un groupe politique mais l’histoire d’une pluralité républicaine qui s’écrit aujourd’hui.

En 1790, le drapeau français était planté et portait l’inscription « Ici commence le pays de la Liberté ».

Contre la censure, contre l’arbitraire, insoumis nous continuerons fièrement à défendre la paix, l’égale dignité des êtres humains, les libertés publiques et le débat démocratique.

Mathilde Panot, Présidente du groupe parlementaire LFI-Nupes à l’Assemblée nationale


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